Les fouilles menées sur le site des Boucaniers à Sainte-Anne ont été réalisées par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité de Guillaume Seguin. Elles interviennent dans le cadre du projet de rénovation et d’extension du Club Med. L’opération de fouille a porté sur une superficie avoisinant 6000 m².
Le site fouillé se positionne à l’extrémité de la Pointe Marin, sur une bande de terre bordée à l’ouest par la plage et à l’est par la mangrove. Cet emplacement, à l’interface entre deux riches écosystèmes, a vu l’implantation d’une occupation amérindienne pérenne et importante principalement au cours de la période du Saladoïde moyen (4-7e siècles). L’intervention archéologique a permis la localisation et la fouille intégrale de 257 structures précolombiennes, parmi lesquelles des puits d’approvisionnement en eau douce et un groupe de sépultures constituent les principaux résultats.

Les puits amérindiens
En l’absence de source ou de cours d’eau à proximité immédiate, les groupes amérindiens qui se sont implantés au niveau de la Pointe Marin ont mis en place une stratégie d’approvisionnement en eau douce originale. À une profondeur d’environ 70 cm, se positionne une nappe d’eau potable, alimentée par les eaux de pluie qui se sont lentement infiltrées. Pour l’atteindre, les amérindiens ont creusé des trous dans le sable et, afin que ces derniers ne s’éboulent pas, ont réalisé des cuvelages en empilant de grands vases au fond percé. Ce type de puits amérindiens n’est pas complètement inédit dans les Caraïbes mais restait encore très faiblement documenté. Si quelques exemplaires fouillés dans les années 1990 étaient connus sur l’Île de la Barbade, aucun aménagement similaire n’avait jamais été observé en Martinique. La fouille du site des Boucaniers a permis la découverte de 73 puits amérindiens, ce qui constitue de loin la plus grande série pour ce type de structure archéologique jamais découverte dans tout l’archipel des Petites Antilles.

Ces puits se composent d’un empilement de 1 à 6 vases, calés par de larges tessons appartenant à d’autres vases, eux aussi souvent très bien représentés. Certains arborent des décors polychromes remarquables. Les vases les plus décorés sont dits de type
« Mario » et étaient destinés à la consommation de ouïcou, une sorte de bière de manioc fermenté. D’autres formes de grands vases (jatte, bassine, marmite à anses…) sont également bien représentées et illustrent un vaisselier très diversifié. On note également la présence de petits pots destinés au puisage de l’eau et de petits plats de service, eux aussi richement décorés. D’après les premières observations réalisées, l’ensemble de ce mobilier semble se rattacher à la période du Saladoïde modifié (entre 350 et 700 de notre ère). Cette datation sera affinée lors des études céramologiques en post-fouille et la réalisation d’analyses radiocarbones.
Le nombre de récipients sub-complets (sans le fond) livrés par ces puits n’a pas été décompté précisément au cours de l’opération mais peut être estimé entre 200 et 250 vases. Le comblement basal de ces puits a fait l’objet de prélèvement systématique (10 L en moyenne). Leur tamisage a été engagé dès la phase de terrain et a dévoilé les premiers résultats : présence de restes d’invertébrés marins (crabes, oursins…), d’ossements de poissons, d’oiseaux, de rongeurs, perles et fragments d’objets en pierre ou en coquillage… Plus surprenant encore, la grande stabilité hydrique du remplissage de ces puits a permis la conservation de matière organique : graines, fragments de végétaux ou d’objets en bois, fragments de calebasses, fibres tissées (ficelle) et même un petit fragment de tissu…
La fouille de ces puits a nécessité le déploiement de pompes spéciales afin d’abaisser suffisamment le niveau de l’eau. Le fond de certains puits a été atteint à une profondeur de 2 m en dessous du niveau de sol actuel.
Les sépultures amérindiennes

Quatorze sépultures primaires ont été fouillées au cours de l’opération. La conservation osseuse est bonne. Parmi les individus bien représentés, on note la présence de 13 adultes (hommes et femmes) et d’un seul enfant, âgé d’environ 2 ans lors du décès. Ce dernier a été inhumé sur un duho (siège cérémonial en bois) en partie brisé. Ce siège cérémonial, en principe réservé au cacique (chef de tribu), témoigne de la grande attention portée à l’inhumation de ce jeune enfant. La couverture de sa tombe a été réalisée au moyen de larges fragments de platine (sorte de plaque circulaire en céramique destinée à la cuisson des galettes de manioc).

Fig. 4 : Inhumation d’un enfant sur un duho (siège cérémonial en bois). Crédit : Éveha, 2025.
Les corps des défunts adultes gisaient sous une couverture de coquilles de lambis, de blocs de coraux ou de pierres. Ils reposaient dans des positions diversifiées : sur le ventre, sur le dos ou sur le côté. Les membres inférieurs sont souvent en position très contractée. Les membres supérieurs présentent des positions diverses. Le sexe, l’âge, le statut hiérarchique du défunt, les conditions du décès, les décalages chronologiques sont autant de raison qui pourraient expliquer ces différences de traitement. Les contraintes observées sur les squelettes suggèrent un emmaillotement des défunts (inhumations en hamac ?). Dans plusieurs cas, on ne peut que s’étonner de la grande promiscuité entre un puits et une sépulture. Il est probable que ces faits ne soient pas pleinement contemporains. Dans un cas, un puits vient percuter une sépulture plus ancienne. Dans un autre cas, c’est une inhumation qui vient démanteler un puits préexistant. L’étude typo-chronologique des céramiques, couplée à une série de datations radiocarbones sur charbons et ossements, devraient permettre de préciser cet apparent et improbable enchevêtrement entre sépultures et points d’eau potable.
Dans plusieurs cas, il fut observé la présence de concentrations de pierres, coquilles de lambis (mollusque gastéropode) et blocs de coraux mais sans la présence de squelette sous-jacent. Il est plausible que ces structures correspondent à des tombes cénotaphes. Cette pratique se rencontre régulièrement chez les populations de marins chez lesquelles les disparitions en mer sont fréquentes.
L’étude anthropologique qui se poursuivra en post-fouille visera à préciser le sexe et l’âge des défunts, et éventuellement les raisons du décès. Le bilan sanitaire de cette population (marqueurs de stress, marqueurs ostéologiques d’activités…) sera appréhendé, ainsi que les éventuels liens de parenté entre les individus (caractères discrets). L’important échantillon de ce groupe à l’échelle de la Martinique appelle à un bilan des connaissances et à une synthèse sur les pratiques funéraires des groupes saladoïdes.
Les nappes de mobilier

Dans la partie ouest de l’emprise, la fouille a permis la localisation et la collecte de très nombreux éléments mobiliers amérindiens remobilisés par la mer. Les multiples coupes stratigraphiques et sondages géomorphologiques ont permis de caractériser l’importante dynamique littorale de ce secteur. Une partie du site a assurément été remaniée lors de phénomènes érosifs majeurs (tempêtes, tsunami…). De nombreux échantillons ont été prélevés afin de dater au mieux ces différents épisodes. Cette dynamique sédimentaire complexe a entraîné un certain mélange des différents niveaux archéologiques, en particulier dans la partie ouest du site, dans laquelle une stratigraphie inversée a pu être observée. Ainsi du mobilier troumassoïde (700 – 1000 de notre ère) peut se retrouver « en dessous » de vestiges saladoïdes pourtant plus anciens. Les nappes de mobilier observées prennent place dans de légères cuvettes s’étirant suivant une orientation nord-ouest / sud-est, sensiblement parallèle au trait de côte. Elles livrent de grandes quantités de coquilles de lambis et autres coquillages qui ont été consommées. Le mobilier céramique y est abondant et diversifié. On y note la présence d’assiettes décorées, d’adornos anthropo et zoomorphes, de platines à manioc à pieds, de cols et d’anses décorés qui ne se retrouvent pas ailleurs sur le site. Le mobilier lithique y est aussi bien représenté avec la présence de plusieurs haches polies et de polissoirs. La présence de haches ou herminettes en lambis est également à souligner. Plusieurs dizaines de pièces de ce type ont été collectées à différents stades ; simples ébauches, éléments en cours de polissage, objets finis mais jamais utilisés, objets brisés suite à une longue utilisation… L’ensemble de ces pièces permet de restituer l’intégralité de la chaîne opératoire ayant permis leur réalisation et leur utilisation sur le site même.
Ces nappes de mobilier ont également livré des ossements de tortues, d’oiseaux et de lamantins, qui de toute évidence ont été consommés par les amérindiens. On y observe également la présence d’ossements humains épars, résultant du démantèlement complet de sépultures par la mer.
Un pétroglyphe exceptionnel
La fouille du site des Boucaniers a également livré un pétroglyphe. À ce jour, seuls deux sites à roches gravées étaient connus en Martinique (site du Galion et de la forêt de Montravail). Contrairement à ces derniers, les gravures n’ont pas été réalisées sur des affleurements rocheux mais sur un gros galet d’une vingtaine de kilos environ. Il s’agit donc d’un élément mobilier, donc potentiellement mobile. Les yeux, la bouche, le contour du visage se discernent nettement. Il est encore un peu tôt pour affirmer qu’il s’agit d’un objet unique et sans équivalent connu dans les Antilles, mais dans tous les cas il s’agit d’une pièce particulièrement rare. De plus amples recherches bibliographiques s’imposent pour apprécier au mieux le caractère exceptionnel de cette découverte.

Les études du mobilier ainsi que des données récoltées lors de la fouille se poursuivent actuellement et permettront d’affiner les connaissances sur la culture matérielle et les pratiques funéraires des anciennes populations amérindiennes de Martinique.