VEYNES (05) – Saint Marcellin – Le Plat – Avenue des Martyrs

Les fouilles menées sur le site de Veynes-Le plat ont été réalisées par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité de Cédric Lepère. Elles interviennent dans le cadre d’un projet d’aménagement de logements sociaux par la société 3F sud. Les investigations archéologiques, qui ont mobilisé une quinzaine d’archéologues pendant environ 6 mois, ont permis de mettre au jour la superposition (sur une épaisseur moyenne de 2 m) d’au moins 4 phases d’occupations allant du Néolithique (5500-2200 av. J.-C.) à la période moderne/contemporaine. Si la parcelle, qui couvre une surface de l’ordre de 2 hectares, a été occupée sur un temps long (plusieurs millénaires), le millier de structures documentées reflète, en majorité, plusieurs étapes du Néolithique.

Les problématiques scientifiques qui ont motivé la fouille

Cette opération offrait la possibilité d’étudier, d’un point de vue cultuel, matériel, organisationnel et structurel, deux installations humaines de la pré-protohistoire extrêmement rares dans la région alpine et exceptionnellement bien conservées, mais mises en péril par un projet d’aménagement extensif.

Pour ce qui concerne la phase néolithique (3500-2500 av. J.-C.), il convient de redire la pauvreté des données à notre disposition pour cette période dans ce secteur alpin et la rareté de fouilles de sites de cette période, tout particulièrement pour documenter des structures en creux et bâties.

Pour la phase protohistorique (2200-800 av. J.-C.), il est important de souligner que si, au niveau de l’Europe occidentale, l’existence de sites de plaine ou de fond de vallée, à côté d’établissements de hauteur, était bien définie, au niveau régional (en dehors du territoire de Marseille), la diffusion, les choix d’emplacement géographique et l’organisation interne de ce type d’habitats restaient à préciser. Cela était encore plus vrai pour le territoire alpin, où cette phase était connue surtout grâce aux dépôts de bronzes et aux sites funéraires, notamment les nécropoles tumulaires. Le cadre de l’occupation alpine aux âges des métaux (2200-50 av. J.-C.), faute de recherches (à l’occasion de fouilles), restait donc très flou au niveau de la caractérisation de la fonction des sites et très imprécis au niveau de leurs déterminations chronologique et culturelle. La fouille du site de Saint-Marcellin-Le-Plat constituait donc l’occasion d’approfondir les recherches sur une période méconnue au niveau du secteur alpin, zone pourtant clé pour les mouvements de population et de groupes à l’échelle de l’Europe occidentale dès cette période.

Un lieu de mémoire du début du 4e millénaire av. J.-C.

En première analyse, les occupations les plus anciennes peuvent être placées dans un segment chronologique compris entre 4000 et 3800 av. J.-C. Elles se situent principalement dans la moitié sud de la parcelle où elles s’ouvrent entre 1,8 et 2,2 m sous le sol actuel. Cette phase s’organise autour de 8 « monuments » originaux, sans équivalents, à notre connaissance, dans le Néolithique du Sud de la France (Fig. 1). Compte tenu de cette « découverte d’importance exceptionnelle », le service régional de l’Archéologie a pris un arrêté de fouille modificatif qui a prolongé l’opération de 6 semaines.

Fig. 1 : Plan des structures néolithiques. Crédit : Éveha 2024

Les trois monuments les plus simples sont représentés par des monolithes dressés (menhirs ou stèles), longs de 1,2 m à 0,5 m environ, isolés ou couplés, calés dans des fosses dont les comblements contiennent parfois des dépôts d’ossements de grands ruminants.

Cinq autres ensembles apparaissent plus complexes. Bien que des tendances directement comparables dans leurs modes de fonctionnement aient été identifiées, tous sont de types différents. Prenons 3 exemples.

Fig. 2 : Différentes vues du premier ensemble de monolithes. Crédit : Éveha 2024

Un premier ensemble de monolithes

Un premier ensemble (Fig. 2) regroupe 6 monolithes (blocs de pierre), pour une part encore dressés, dont les dimensions sont comprises entre 0,8 m et 1,1 m. La plus grosse de ces pierres porte au moins une gravure (piquetée) sur sa face nord (Fig. 3). Ces monolithes sont bordés de gros galets (30 à 50 cm de grand axe) qui recouvrent au moins 7 foyers mêlés à des cendres, des charbons de bois et parfois quelques os brûlés (Fig. 4). Au sud de la stèle gravée, un amas d’os brûlés plus important permet de penser à un dépôt de crémation.

Fig. 3 : Détail sur la gravure d’un monolithe. Crédit : Éveha 2024
Fig. 4 : Vue générale des empierrements du premier ensemble. Crédit : Éveha 2024.

Un deuxième ensemble de 10 monolithes

Le deuxième ensemble, long d’environ 7 m, se présente comme un assemblage hexagonal de galets (30-40 cm) de rivière (probablement récoltés dans le Buëch) et de moraine, au sein duquel se dressent au moins 10 monolithes, travaillés pour une partie d’entre eux. Ces blocs de pierre ont des dimensions comprises entre 0,5 et 1,3 m environ. Quatre, tous en grès, portent des gravures (Fig. 5).

Fig. 5 : Vue générale du deuxième ensemble et détails sur les stèles (gravure). Crédit : Éveha 2024.
Fig. 6 : Vue générale (drone) des empierrements du troisième ensemble, après décapage. Crédit : Éveha 2024.

Un troisième ensemble

Le troisième ensemble regroupe probablement 2, voire 3, monuments. Au sud, apparaît un tumulus formé par un cailloutis brûlé, dont le diamètre est de l’ordre de 4 m. Il recouvre au moins 2 dalles de calcaire dressées. Au nord, 2 autres dalles de même type bornaient un cailloutis sensiblement comparable (Fig. 6). La fouille du tumulus a permis de mettre en évidence plusieurs apports successifs de cailloutis associés à de probables dépôts de mobilier (mandibules de grands ruminants et macro-outillages principalement), indiquant ainsi un fonctionnement relativement long de la structure. Sous les dômes de cailloutis, 6 amas de gros blocs et galets brûlés se développent. Ils nappent de nombreuses bûches soulignant la fonction de foyer de cette structure (Fig. 7). La présence d’un amas d’os brûlés, rangé en son sein, plaide pour un foyer crématoire. Au reste, le lien entre ce foyer et les menhirs tend à renforcer cette hypothèse (Fig. 8). Les 4 autres amas qui recouvrent les fosses de calage des 4 menhirs, présentent beaucoup moins de charbon et très peu de restes osseux brûlés, mais l’hypothèse de dépôts moins visibles n’est pas à exclure. L’un d’eux, situé à proximité du menhir sud de cette structure, recouvrait l’ouverture d’une fosse dans laquelle ont été déposés 3 crânes de bovins (Fig. 9).

Fig. 7 : Vue de l’apparition d’une structure (dépôt d’incinération) située sous le tumulus. Crédit : Éveha 2024.
Fig. 8 : Dépôt d’os brûlés associé au niveau à bûches. Crédit : Éveha 2024.
Fig. 9 : Fosse contenant 3 bucranes de bovidé. Crédit : Éveha 2024.

Autour des monuments, une centaine de foyers à pierres chauffées, de dimensions variées (entre 1 et 3 m de long), complètent cette phase d’occupation. Si les fonctions de ces foyers et leurs liens avec les monuments n’ont pas été encore clairement établis (four crématoire ? Pratiques culturelles associées à ce lieu ? Autres phases d’occupation sans rapport avec les monuments ?), leur position dans les niveaux de sol est sensiblement équivalente. Ces structures forment parfois des concentrations remarquables et présentent des recoupements évidents. Ce constat plaide pour une durée d’occupation relativement longue de ce complexe que l’on pourrait, a priori, qualifier de funéraire. Toutefois, la monotonie des aménagements (uniquement des foyers à pierres chauffées) semble exclure une occupation continue.

Un habitat de la fin du Néolithique (3300-2700 av. J.-C.)

Les installations postérieures rassemblent plus de 700 aménagements de types très variés ; elles concernent principalement la partie nord de l’emprise (Fig. 1). Les premières observations de terrain permettent de les placer dans le dernier tiers du 4e millénaire av. J.-C. (3300-3000 av. J.-C.) ou le début du 3e (3000-2700 av. J.-C.). Ces structures sont en lien avec un paléosol riche en mobilier couvrant les trois quarts de la parcelle et nappant les monuments et les foyers de la première phase d’occupation.

En première analyse, la distribution des structures néolithiques dessine différentes tendances qui pourraient évoquer des zones spécialisées ou dévolues à des activités privilégiées.

Le quart nord-ouest de l’emprise se compose d’une majorité de foyers à pierres chauffées (Fig. 1), regroupés en 3 principales grappes. Ces foyers présentent parfois des recoupements et des superpositions (jusqu’à 3 niveaux de superposition). Au sud de ce secteur, 2 dépôts d’incinération, à l’origine vraisemblablement déposés dans des contenants en matériau périssable, ont été identifiés. Toutefois, les relations entre ces 2 types de structures restent encore floues. L’hypothèse d’un secteur dédié à des activités de combustion peut être néanmoins proposée. Pour autant, les foyers à pierres chauffées ne sont pas exclusivement concentrés dans cette zone, mais, au contraire, apparaissent sur toute l’emprise le plus souvent associés à d’autres structures. Ils constituent le type d’aménagement le plus fréquent sur le site. Tous montrent une stratigraphie identique. En revanche, leurs dimensions contrastées (entre 0,5 m et 3,5 m), le calibre et le degré de fragmentation des blocs, tout comme leur taux de ponction soulignent des variations fortes.

Le sud-est de l’emprise concentre la plus forte densité de structures qui s’organisent de façon plus ou moins circulaire (Fig. 1). Sa partie ouest rassemble une majorité de silos de dimensions variées, parfois réutilisés comme fosses de rejet.

En revanche, plus à l’est, d’une façon générale, se mêlent des structures de nature plus diverse. Soulignons particulièrement la découverte de quelques silos dont l’ouverture est recouverte d’argile (Fig. 10).

Fig. 10 : Silo chapé d’argile. Crédit : Éveha 2024.

Cette configuration apparaît, de façon plus lâche, dans la partie nord-ouest de cette occupation.

Ainsi, contrairement à la phase précédente, la densité de structure, leur typologie variée et la diversité des restes archéologiques (macro-outillage, industrie lithique taillée et polie, céramique, faune, etc.) plaident pour un contexte d’habitat ou une zone périphérique à un habitat. Par ailleurs, la présence de nombreux recoupements et superpositions de structures indiquent plutôt une durée d’occupation assez longue (plusieurs générations). Néanmoins, les premières observations sur le mobilier archéologique ne montrent pas d’évolution marquée au sein des productions matérielles.

Des occupations de l’âge du Bronze (2200-800 av. J.-C.) – Premier âge du Fer (800-450 av. J.-C.)

Après une phase d’abandon de plusieurs siècles, le site est réoccupé, comme le montre la présence d’une vingtaine de foyers à pierres chauffées et fosses à rejet charbonneux. Si l’on en juge par les quelques vestiges céramiques récoltés à la fouille, ces installations se rapportent plutôt au Bronze moyen (1600-1350 av. J.-C.). Une partie de ces fosses est regroupée en 2 grappes de 7 à 10 structures ; l’une se situe au sud-est, l’autre approximativement au centre-est de l’emprise.

Dans la partie ouest de l’emprise, dans un autre contexte sédimentaire situé au-dessus du niveau d’apparition des vestiges de l’âge du Bronze, une dizaine de fosses contenaient exclusivement de la céramique modelée qui évoque plutôt le début de l’âge du Fer (800-450 av. J.-C.), mais cela reste à confirmer.

Quoiqu’il en soit, ces vestiges indiquent des occupations plus ténues de la parcelle durant la Protohistoire, probablement dans le cadre d’activités techniques particulières.

Des exploitations agricoles modernes (15e-18e siècle) ou contemporaines (18e-20e siècle)

Enfin, environ 0,6 à 1 m au-dessus des occupations de l’âge du Bronze, s’ouvrent une quinzaine de fosses oblongues uniquement comblées par des pierres calcaires. Réparties sur toute la moitié sud du terrain, elles sont sans doute à mettre en rapport avec une occupation agricole de la parcelle.

Conclusion préliminaire et recherches à venir

En définitive, les opérations archéologiques menées sur le site de Veynes-Le Plat documentent près de 6000 ans d’histoire. Elles renouvellent ainsi significativement les données relatives aux occupations néolithiques (vers 3500-2500 av. J.-C.) et de l’âge du Bronze (2200-800 av. J.-C.) dans les Alpes du Sud, plus particulièrement dans cette zone de la vallée du Petit Buëch restée peu explorée jusqu’à présent.

Les recherches se poursuivent désormais en laboratoire où les analyses des données de terrain, les études des mobiliers et les datations permettront d’affiner notre compréhension de ce site unique.