CHÂTELLERAULT (86) – Le pont Henri-IV

L’opération archéologique sur le pont Henri-IV à Châtellerault (86), dirigée par Paul Butaud, s’est déroulée dans le cadre du projet de réfection de l’édifice porté par le Département de la Vienne. Les investigations ont permis de mettre au jour des vestiges datés des époques moderne et contemporaine.

Les problématiques scientifiques ayant motivé le suivi de travaux

Cette opération avait pour objectif de documenter de la manière la plus exhaustive possible l’ensemble des vestiges mis au jour ou impactés par la reprise de l’étanchéité du pont, tant lors des terrassements sur le tablier qu’au moment des remaniements et restaurations qui seront faits sur les maçonneries des tours nord et sud, en rive gauche, ou encore dans les salles enterrées. De manière générale, une première réflexion devra être menée dans le sens des différentes thématiques et de manière chronologique, à l’échelle du pont d’abord et ensuite de la place qu’il occupe au sein de la ville, de son rôle dans le trafic terrestre et fluvial, de son rayonnement architectural pendant la Renaissance, etc.

Le pont Henri-IV

Les plus anciens vestiges font état de la morphologie primitive de la clôture du pont côté ville (en rive droite) et des salles enterrées qui lui sont liées. Très peu documentés dans les textes et au travers des pièces graphiques, ces aménagements demeurent énigmatiques, notamment pour ce qui concerne leur utilité. Les mouvements d’assise témoignent des divers sens de progression du chantier de construction et certains détails indiquent des réalités liées à la mise en œuvre des matériaux. L’adoption de formes architecturales complexes souligne, quant à elle, le goût des bâtisseurs de l’époque au service d’un renouveau artistique : la Renaissance française.

Fig. 1 : Élévation et coupe du pont de Châtellerault dans sa situation actuelle et projet pour son rétablissement en 1768. Crédit : Chroniques Conseil 2017

En surface, le dégagement des maçonneries a permis de retrouver les contours de l’ancien mur, accordant une acquisition précise de son tracé. La découverte de ce qui pourrait être un puits ou des latrines, au débouché d’un des soupiraux, indique en outre la présence d’éléments de confort non suspectés jusqu’à présent. En façade, l’appareillage à bossages employé pour l’édification des soubassements du mur, comme pour celle des chaînes harpées observées au revers du mur de quai amont, apparaissent profondément dans le sol. Cela trahirait un important rehaussement des niveaux de circulation à l’entrée de l’ouvrage, confirmant, peut-être, la modification des pentes évoquée dans les sources dès le début du XVIIe siècle. D’autres découvertes faites en marge des limites de la prescription archéologique, à l’occasion de la création de réseaux sur le quai bordé par l’avenue du Président-Roosevelt, nourrissent cette critique des niveaux de circulation aux abords du pont.

Fig. 2 : Élévation de la porte d’entrée du pont du côté du faubourg de Châteauneuf en 1768. Crédit : Chroniques Conseil 2017

Sur l’autre rive, la découverte des fondations du pavillon central de l’ancien portail de Châteauneuf couplée à l’étude des deux premiers mètres des élévations des tours complètent la connaissance du bâtiment, déjà détaillée au travers des gravures réalisées à la fin du XVIIe siècle dans le cadre de travaux de réhabilitation du tablier. Les relevés précis apportent, entre autre, l’échelle et la profondeur des décors au service de restitutions d’avantages fidèles aux dispositions originelles.

Fig. 3 : Les tours de l’ancien pavillon de Châteauneuf. Crédit : Éveha 2022

À l’extrémité rive droite du pont, les vestiges de l’immeuble Leroy et ceux de la Maison Auger sont les plus importantes traces du premier programme, réalisé entre 1784 et 1791, destiné à résoudre les problèmes d’infiltration d’eau dans l’ouvrage. La confrontation des analyses stratigraphiques menées au travers des diverses fenêtres d’observation authentifie les sources archivistiques liées au projet, qui sous-entendent un dérasement complet du tablier primitif depuis le niveau de circulation jusqu’aux extrados des arches. Mis à part les parapets, il ne reste donc vraisemblablement rien de cette partie du pont d’origine et sans doute aucune trace d’éventuelles fondations de maisons en vue de la mise en habitation du pont, comme ce qui était envisagé dans la prescription de fouille.

Fig. 4 : Le trottoir amont du pont en cours de terrassement. Crédit : Éveha 2022

Les terrassements réalisés sur le tablier du pont ont pour leur part principalement permis de documenter le chantier de construction entrepris entre 1825 et 1830, lequel visait la réfection complète de l’étanchéité des arches sous la voirie, la mise en place des gargouilles et le remontage des trottoirs. L’analyse d’échantillons de mortiers prélevés dans les diverses structures composant le pont met en lumière un tournant dans l’histoire des techniques constructives, avec l’introduction exclusive de la chaux hydraulique dans la formulation des mortiers contemporains, tendant vers le développement d’un nouveau matériau : le ciment Vicat.

Fig. 5 : Sur le trottoir amont, dégagement des maçonneries au droit de la croix des Bateliers. Crédit : Éveha 2022

Les vestiges les plus récents sont associés à diverses modifications d’usage, tel que l’introduction de l’éclairage public au gaz, la destruction de l’immeuble Leroy, le passage des réseaux ou encore plusieurs réfections successives de la voirie. Sur les tours du portail de Châteauneuf, les multiples reprises de parement soulignent notamment la fragilité du tuffeau face aux intempéries et à la circulation voisine. Ces interventions font disparaître certains détails de l’architecture, brouillant petit à petit la lecture primaire du monument.

Fig. 6 : Vue d’un sondage après dégagement de vestiges à l’entrée rive gauche du pont. Crédit : Éveha 2022
Fig. 7 : Observations et enregistrements du bâti. Crédit : Éveha 2022

Il est par ailleurs frappant de constater les importants dégâts causés par le dérasement d’anciennes structures ou par le passage de nombreux réseaux à partir du XIXe siècle. Accentuées par le développement de la mécanisation dans le courant du siècle suivant, ces dégradations sont particulièrement visibles au niveau des voûtes des salles enterrées des deux rives qui ne conservent par endroits que quelques centimètres d’épaisseur, qui sont à d’autres ponctuellement perforées voire entièrement effondrées.

Fig. 8 : Vue générale d’une des salles dissimulées dans la culée de la rive droite du pont. Crédit : Éveha 2023

Au bilan, l’expertise archéologique du pont Henri-IV se joue, dans bien des cas, sur des points de détails parfois difficiles à discriminer les uns des autres et dont la complexité d’observation est accentuée par le mode opératoire de l’intervention : la surveillance de travaux. Elle a l’utilité d’apporter des éléments concrets autorisant à statuer sur les dispositions projetées dans les différents projets architecturaux et les tâches réellement exécutées.

Fig. 9 : Entre maçonnerie et installation artistique : l’étaiement de la voûte d’une des salles dissimulées dans la culée de la rive droite du pont. Crédit : Éveha 2023

La post-fouille à venir

Le travail de post-fouille a pour premiers objectifs l’analyse et la mise en forme des données issues des investigations de terrain. Il s’agit avant tout d’identifier et d’extraire les particularités intrinsèques de chacune des actions reconnues (époque, matériaux, modes constructifs, intention, etc.) afin d’en dresser les faciès mis en perspective dans une proposition de phasage.

L’étude post-fouille est particulièrement attachée à documenter la phase primitive de construction du pont, c’est-à-dire à comprendre d’une part le séquençage du chantier et d’autre part à reconnaître les singularités des diverses mises en œuvre, comme l’utilisation de différents appareils à bossages. Il s’agit également d’appréhender le pont dans son environnement proche, notamment pour comprendre la morphologie ancienne des quais à l’entrée rive droite de l’ouvrage.

Un autre volet de l’étude est dévolue à la discrimination des travaux postérieurs à la phase primitive afin de nourrir une critique d’authenticité de l’ouvrage. En effet, que reste t-il réellement du pont dit « Renaissance » ? L’analyse des échantillons de mortier apporte à ce travail une assise non négligeable puisqu’elle indique d’ores et déjà des changements notables dans les choix constructifs et dans l’emploi des matériaux.

En support, les traitements topographiques, photogrammétriques et cartographiques localisent avec précision les données acquises sur le terrain. Les relevés en trois dimensions permettent d’analyser l’impact des diverses phases de travaux sur la structure primitive du pont et argumentent la restitution précise des masses disparues au travers du faisceau d’indices recueilli. Ces données complètent dès lors la modélisation des grandes mutations du pont au cours de son histoire.

La synthèse des données en cours intègre les nouvelles découvertes dans l’histoire du pont, apportant ainsi du détail aux éléments perçus au travers des recherches archivistiques préliminaires. En effet, le croisement des données historiques et archéologiques justifie certaines hypothèses et donne un visuel au textes anciens.

En définitive, l’étude archéologique a pour but de fournir le maximum d’informations utiles à la connaissance du pont Henri-IV, mais aussi de nourrir des réflexions sur l’histoire, l’histoire des arts et des techniques.