COMPIÈGNE (60) – 8 rue Hippolyte-Bottier

Les fouilles archéologiques menées sur le site de Compiègne (60) – 8 rue Hippolyte-Bottier ont été réalisées sous la responsabilité d’Ali Rouibi, dans le cadre du projet de rénovation et de requalification par le groupe François Ier Rénovation de bâtiments classés, composant l’imposant ensemble immobilier de l’Ancienne Surintendance du Roi. Dans ce cadre, les investigations archéologiques ont livré des vestiges datés du Moyen Âge et des époques moderne et contemporaine.

Les attentes concernant la fouille

Les principaux objectifs de l’opération consistaient en l’exploration, la caractérisation et le phasage des différentes occupations attestées sur l’emprise de fouille, depuis la Protohistoire jusqu’à la période contemporaine. La fouille devait également contribuer à reconstituer l’organisation du vieux Compiègne tout en tentant d’intégrer les données récoltées dans le contexte historique de ce secteur de la ville et plus largement dans le contexte régional.

Présentation générale du site

La fouille a permis de mettre en évidence une occupation diachronique perceptible au travers d’une séquence stratigraphique dense.

La phase la plus ancienne semble centrée sur une occupation proto-villageoise de la période carolingienne (fonds de cabane, empreintes de poteaux, fosses de natures diverses), bien qu’un bruit de fond mérovingien semble perceptible par le biais du mobilier céramique recueilli, parfois en position secondaire. Cette première phase précède un hiatus chronologique majeur, matérialisé sur le site par l’apposition progressive d’un épais niveau de jardin peu anthropisé venant sceller les vestiges les plus anciens.

Les occupations du Moyen Âge central (11e –13e siècles) sont diffuses et difficilement perceptibles à ce stade de l’étude, alors que les vestiges rattachés au bas Moyen Âge (13e –16e siècles) s’avèrent globalement mieux documentés.

La période moderne a sans surprise livré les éléments les plus spectaculaires compte tenu du contexte de l’intervention,  puisque l’intégralité des fondations correspondant aux écuries royales mises en place dès le début du 18e s. se sont avérées être dans un état de conservation remarquable.

Les vestiges contemporains, repérés en différents points du site, illustrent quant à eux l’histoire récente de la Surintendance, notamment en ce qui concerne les activités militaires liées à sa fonction de caserne jusqu’à sa désaffection en 2012.

Fig. 1 : Vue zénithale du site après décapage. Crédit : Éveha 2023.

Des emprises de fouilles significatives mais morcelées

La fouille intervient dans un contexte urbain densément loti et porte sur une surface significative de 1 396 m². Cette emprise se distribue en divers secteurs d’intervention :
4 zones correspondant aux bassins de tamponnement du projet d’aménagement (bassins B2 à B5) ainsi que l’emplacement d’un futur parking souterrain (P1) totalisant à lui seul
1075 m², soit la plus grande emprise de l’opération. Ce dernier se partage en deux emprises inégales : une vaste cour centrale et une zone de jardin d’agrément délimitée par un mur de clôture en grand appareil.


Fig. 2 : Localisation des emprises de fouille. Crédit : Éveha 2023.

La zone de jardin flanquant le rang nord-est du parking P1 a livré des ensembles de fosses imbriquées mal caractérisées (silos ? extraction de grave calcaire au contact du substrat ?) dont le mobilier est rattaché au haut Moyen Âge. L’apposition d’un niveau de remblai général s’apparentant à un niveau de jardin ancien en scelle systématiquement l’ouverture.

Une occupation diachronique

La phase suivante est quant à elle marquée par un réseau de fondations en blocage et moellons calcaires, témoignant de plusieurs occupations et remembrements parcellaires successifs. Ces ensembles sont à rattacher au bas Moyen Âge et à l’Époque moderne essentiellement.


Fig. 3 : Le parking P1 et les fondations de la zone de jardin. Crédit : Éveha 2023.

La seconde partie du parking a également livré des vestiges du haut Moyen Âge, puisque la frange septentrionale de l’emprise est occupée par une série de fonds de cabane, structures emblématiques de la période. Il s’agit pour la plupart de creusements de modules assez réduits (2 à 3 m de long sur 1,5 à 2 m de marge) et peu profonds, ménagés dans le substrat calcaire, interprétés traditionnellement comme des structures dévolues à l’artisanat. L’examen du mobilier permet de fixer leur abandon au 9e-10e s. Une série d’empreintes de poteaux a également été mise en évidence et semble dessiner quelques alignements remarquables (bâtiments, greniers, délimitations d’espaces privilégiés).
Ils sont accompagnés de fosses et de creusements de natures diverses.

À l’instar de la zone de jardin, on retrouve sur le parking le même niveau de remblai général marquant la fin de l’occupation carolingienne et un hiatus chronologique sur le site.
À l’interface supérieure du niveau de jardin, la fouille a mis en évidence une concentration de restes fauniques sur une centaine de mètres carrés constituant une couche homogène d’ossements divers parfois en connexion anatomique. Cette couche se caractérise par la présence massive d’ossements de mustélidés (mammifères carnivores de petite taille), de canidés de petite stature (probables renards) et d’oiseaux de proie, évoquant vraisemblablement une activité de pelleterie (préparation des peaux destinée à les transformer en fourrure) à proximité, peut-être datée du bas Moyen Âge.

Les écuries royales

Les vestiges les plus spectaculaires découverts sur l’emprise du parking demeurent les éléments rattachés aux différents états des écuries, qui changent à plusieurs reprises de propriétaire et de fonction au cours du temps.

Alors qu’un habitat semble en place jusqu’au 17e siècle, le site est racheté par le pouvoir royal pour y établir la Surintendance des Bâtiments du Roi, qui comprend quelques écuries disséminées à travers l’îlot. Après le déménagement de la Surintendance vers la rue des Domeliers, l’espace est réinvesti pour y accueillir les écuries de Marie-Josèphe de Saxe, mère du futur Louis XVI, alors dauphine de la couronne de France, vers 1747-1748, dont la fouille a retrouvé les états primitifs dans la partie méridionale du parking. Dans le dernier quart du 18e s., après de nombreuses réfections, le site est réaménagé pour accueillir les Écuries du Prince et la Vénerie impériale, plus imposantes encore. Un plan daté de 1808, qui présente alors les écuries du Grand Écuyer, confirme ces transformations. Enfin, à la chute du Second Empire, le site héberge la caserne Othenin, qui conservera en élévation la plupart des éléments de l’écurie du Grand Écuyer encore visibles aujourd’hui.


Fig. 4 : Série de plots de fondation liés aux écuries royales. Crédit : Éveha 2023.

Les découvertes effectuées au sein des bassins de tamponnement

Le bassin B2 reprend l’emplacement de l’ancienne « cour à fumier » de la Surintendance. Localisé au sud-ouest de l’îlot urbain, sur les terrasses alluviales de l’Oise les plus élevées, il a largement souffert des réaménagements successifs et des derniers travaux de décaissement préalables à sa mise en chantier. On ne conserve donc sur ce bassin que les vestiges d’Époque moderne les plus profonds et les mieux ancrés dans le substrat géologique, soit une série de fondations en blocs calcaires délimitant un espace mal caractérisé, un puits à eau se développant en partie en dehors de l’emprise de fouille ainsi qu’un cellier maçonné en blocs calcaires malheureusement en partie détruit par les aménagements contemporains.


Fig. 5 : Puits découvert au sein du bassin B2. Crédit : Éveha 2023.

Le bassin B3 constitue le plus vaste des bassins de tamponnement et une fenêtre d’observation privilégiée se développant jusqu’à la limite septentrionale de la surintendance. Les investigations, menées au-delà des cotes de fond de forme sur injonction du SRA, ont permis l’observation de vestiges se rapportant à une occupation domestique datée du 14e-15e s. (fondations de murs, niveaux de sol en terre battue, âtre de cheminée marquée par des tuiles posées de chant) malheureusement située à une profondeur en limitant fortement l’exploration.


Fig. 6 : L’âtre de cheminée et ses tuiles posées de chant. Crédit : Éveha 2023.

La moitié méridionale du bassin a livré quant à elle une voie de circulation, correspondant vraisemblablement à un chemin charretier ou plus vraisemblablement à une « voyette » permettant la circulation au sein de l’espace urbain. Son utilisation semble avoir perduré sur une période difficilement quantifiable à ce stade de l’étude mais néanmoins assez longue pour nécessiter des phases de réfection et d’exhaussement successifs de la chaussée. Les éléments de datation placent son abandon à la fin de la période moderne.


Fig. 7 : La « voyette » repérée en bassin B3. Crédit : Éveha 2023.

Le bassin B4 reprend les limites de la cour dite « du Maréchal ». Il a livré, à des profondeurs atteignant 2 m, des séries de fondations liées à des bâtiments du bas Moyen Âge. L’exigüité de la fenêtre d’observation ne permet guère à ce stade de l’étude de caractériser davantage ces ensembles. Elle profitera sans aucun doute de la confrontation avec les données archivistiques et les plans anciens.

Fig. 8 : Vue zénithale du bassin B4 en fin de fouille. Crédit : Éveha 2023.

Enfin, le bassin B5 reprend lui l’emplacement de l’ancienne cour dite « du concierge », dans le prolongement de la cour d’honneur. La zone n’ayant pas pu être sondée au moment du diagnostic était présumée largement impactée par l’installation des différents réseaux contemporains. La fouille y a néanmoins livré contre toute attente un four de potier dont le laboratoire conserve les vestiges d’une ultime fournée de mobilier céramique abandonnée in situ (vaisselier commun) rattachée à la seconde moitié du 14e s. Il s’agit d’un ensemble juxtaposant un laboratoire en forme d’ampoule, bilobé et séparé en deux par une arête centrale destinée à supporter la couverture, effondrée sur place.

Fig. 9 : Vue zénithale du bassin B5 en fin de fouille. Crédit : Éveha 2023.
Fig. 10 : Le four de potier en cours de dégagement. Crédit : Éveha 2023.
Fig. 11 : Ensemble de céramiques abandonnées in situ. Crédit : Éveha 2023.

Problématiques scientifiques

L’opération s’inscrit dans une problématique liée à la genèse et au développement des villes médiévales. Les phases anciennes de l’occupation du territoire de Compiègne demeurent mal connues et peu documentées par l’archéologie, notamment pour les périodes alto-médiévales. La fouille constitue donc une occasion rare d’illustrer les premières phases d’occupation de la ville à la période carolingienne, à une époque où se mettent en place les premiers noyaux villageois. De plus, la confrontation des données de terrain avec les sources archivistiques apportera un éclairage décisif sur les installations liées aux différents états des écuries royales ainsi que leur évolution depuis leur établissement jusqu’à leur démantèlement. C’est donc tout un pan de l’histoire du vieux Compiègne qui se dévoile au travers de cette longue campagne de fouille et qui trouve désormais son prolongement lors des études de post-fouille actuellement en cours.