ALLAINES (80) – La Couture

Les fouilles archéologiques menées sur le site de Allaines (80) – Secteur 3_S3-T016 – MS6 du lot 3 de l’AC du Canal-Seine-Nord-Europe (6021) (La Couture – Secteur 3 – Site 8 – Fouille I) ont été réalisées par le bureau d’études Éveha, sous la responsabilité d’Alexandre Wimlot, dans le cadre du projet d’aménagement porté par la Société du Canal Seine Nord Europe (SCSNE). Les investigations archéologiques ont permis de mettre au jour des vestiges datés du Néolithique à l’époque contemporaine.

Les objectifs scientifiques de la fouille

La prescription avait pour objectif l’exploration diachronique des éléments funéraires mis au jour : les différents cercles de l’âge du Bronze, les crémations de l’âge du Fer et le cimetière du haut Moyen Âge. Les éléments d’habitat présents dans l’aire prescrite devaient également été traités afin de déterminer au mieux les relations liant les aires funéraires et les occupations auxquelles elles étaient liées.

Plus globalement, l’étude devait permettre de documenter l’intégralité du site, de participer à la synthèse de ce secteur géographique et d’établir d’éventuelles correspondances avec des vestiges issus de sites analogues.


Au final, la fouille a révélé une densité de vestiges plus importante que prévue ainsi qu’une étendue chronologique plus vaste. L’occupation se caractérise par de nombreux recoupements, qui permettent d’individualiser six grandes phases qui peuvent encore être subdivisées en sous-périodes.

Fig.1 : Décapage. Crédit : Éveha, 2025.
Fig.2 : Vue aérienne de l’emprise de fouilles. Crédit : Éveha, 2025.

La Préhistoire

Cinq fosses profondes, aux profils en Y et en W, que l’on date généralement du Néolithique voire du Mésolithique, constituent les vestiges les plus anciens et correspondent donc à la première phase d’occupation du site. La présence d’une meule et d’une molette dans le comblement supérieur de l’une d’elles oriente la datation vers le Néolithique. Il n’est cependant pas impossible que ces fosses aient été creusées à divers moments, puisque celles-ci ne semblent pas obéir à une organisation particulière.
Ces fosses, identifiées le plus souvent comme des fosses de chasses, sont en général creusées à faible distance de l’habitat, que l’on retrouve en bruit de fond dans les parcelles diagnostiquées à proximité.

L’âge du Bronze

La seconde phase est caractérisée par l’édification de trois grands monuments à l’âge du Bronze, ancien ou moyen. Ils avaient déjà été identifiés lors des diagnostics de I. Praud et D. Delaporte, réalisés en 2023, et l’un d’eux pouvait être observé grâce à la photographie aérienne. Ils se répartissent en deux localisations distinctes qui s’articulent de part et d’autre d’un potentiel espace de circulation.

Fig.3 : Vue aérienne du double enclos circulaire et d’un enclos quadrangulaire. Crédit : Éveha, 2025.

Aucune élévation n’a pu être repérée avec certitude pour ces monuments vraisemblablement funéraires, même si les séquences de comblements semblent indiquer la présence d’un tertre à l’intérieur de l’espace délimité par les fossés. Le développement postérieur de la nécropole protohistorique plaide également en faveur de la présence d’un tertre capable de marquer le territoire.

La méthodologie de fouille a permis d’appréhender les techniques de creusement de ces fossés d’enclos. En effet, ceux-ci était creusés par segments linéaires, qui ne se rejoignent pas toujours avec précision. Les nombreux recreusements, liés à des curages, compliquent l’observation de ces segments, qui ne peut intervenir que sur les parties les plus basses durant la mécanisation. La morphologie des parois semble quant à elle adaptée au type de sédiment rencontré lors du creusement des fossés. Ainsi, elles sont obliques quand le substrat crayeux est atteint, et verticales lorsque le fossé est creusé dans le limon.
Un aménagement, potentiellement réalisé en clayonnage, permettait de maintenir ces parois verticales, en limitant leur érosion.

Les trois enclos ont livré de la céramique en quantité limitée, des fragments d’industrie lithique, ainsi que des éléments ligneux carbonisés qui devraient permettre un affinement de la chronologie. En outre, au milieu de l’enclos double, deux fosses ont livré des charbons et des esquilles d’os qui pourraient être contemporaines du monument, mais l’absence de matériel associé invite à la prudence en attendant les datations au radiocarbone. Enfin, une fouille fine, aussi bien manuelle que mécanique, a permis d’identifier des empreintes de pas, piégées par les boues stagnantes. Ces empreintes pourraient être liées aux activités de réfection des fossés.


Fig.4 : Empreintes repérées dans une des couches du fond du plus petit fossé circulaire. Crédit : Éveha, 2025.

L’âge du Fer

Fig.5 : Vue d’ensemble d’un bâtiment sur poteaux protohistorique après fouille. Crédit : Éveha, 2025.

Après un hiatus à la fin de l’âge du Bronze et au Premier âge du Fer, l’activité reprend. Celle-ci est caractérisée par quelques bâtiments sur poteaux qui ont livré peu de matériel, correspondant potentiellement à des structures de stockage, et par le développement d’une nécropole de taille moyenne. Celle-ci se développe au pied des monuments de l’âge du Bronze et peut être divisée en plusieurs ensembles. Trois des tombes les plus importantes sont installées au sein d’enclos quadrangulaires et étaient peut-être couvertes par un petit tertre. L’un mesure 3 m de côtés, le deuxième 10 m et le dernier 13 m. Les vases issus de ces sépultures à crémation permettent de les dater de la Tène moyenne. D’autres creusements, très arasés, pourraient correspondre à ce type d’aménagements.

Trois autres tombes s’installent dans un espace délimité par un petit enclos en agrafe. L’une d’entre elles a livré trois vases, tandis que les deux autres sont constituées uniquement par le dépôt des ossements brûlés. Une dizaine d’autres tombes ont été trouvées à proximité et ont livré un mobilier assez pauvre, comprenant en général un à trois vases. Enfin, deux sépultures à inhumation, très mal préservées et n’ayant pas livré de mobilier, ont été découvertes directement accolées à l’enclos quadrangulaire aux dimensions les plus importantes. Les datations radiocarbones permettront de valider ou non l’attribution de ces deux dernières sépultures à la nécropole de l’âge du Fer.

Quoi qu’il en soit, l’espace occupé par cette nécropole s’étend sur 60 m de long et 45 m de large, et les fosses, lorsqu’elles sont observables, sont plutôt quadrangulaires.

L’Antiquité

Fig.6 : Vue aérienne d’une partie de la nécropole Haut-Empire. Crédit : Éveha, 2025.

Un autre noyau funéraire, constitué de treize tombes ayant livré du matériel plus récent, se développe quant à lui sur un axe nord-est/sud-ouest, marqué par deux fossés qui traversent la quasi totalité de l’emprise. Les tombes s’implantent soit le long du fossé sud, soit dans les comblements de celui-ci, soit en bordure du fossé nord. Une voie, non préservée, qui aurait donc survécu à l’abandon de ses fossés bordiers, aurait ainsi attiré ces treize autres tombes. Certaines de ces sépultures, toutes à crémation, mêlent du mobilier de tradition protohistorique et des vases antiques, tandis que d’autres se distinguent par le nombre de vases accompagnant le défunt, et des faciès de céramique plus aisément datables du Haut-Empire.

Fig.7 : Vue d’illustration des vases d’une sépulture Haut-Empire. Crédit : Éveha, 2025.

Le haut Moyen Âge

La cinquième phase correspond à l’occupation alto-médiévale. Celle-ci consiste en quatre noyaux qui se répartissent en plusieurs sous-phases, identifiables notamment grâce aux recoupements stratigraphiques. Un premier noyau, constitué de bâtiments sur poteaux, de silos, de fonds de cabane, et d’un four à coupole, se développe au niveau du double enclos de l’âge du Bronze. Cette occupation s’implante peut-être sur les restes de la levée de terre liée au monument de l’âge du Bronze, au sein d’une zone vraisemblablement humide. Cette occupation est bornée au sud-est et au sud-ouest par un double fossé, et semble s’interrompre au nord-ouest au niveau des deux fossés bordiers pourtant plus anciens. Les structures d’artisanat et de stockage semblent rejetées à proximité de ces fossés, tandis que les trous de poteau aux dimensions importantes semblent dessiner au moins trois bâtiments.

Fig.8 : Occupation médiévale en cours de traitement après redécapage d’un épais niveau de colluvions. Crédit : Éveha, 2025.

Le deuxième noyau est situé un peu plus au nord. Il est lui aussi délimité au sud-ouest par un des fossés déjà identifiés plus au sud, ainsi que par un double fossé au nord-est et un fossé simple au sud-est. Plus étendu, cet habitat comprend lui aussi des bâtiments sur poteaux, des fonds de cabane, des silos, ainsi que des fours à coupole. Si l’extrémité nord-est de ce noyau était couverte par une épaisse séquence de colluvions, ses extrémités sud-ouest et nord-ouest sont en revanche très arasées. Les structures de stockage et d’artisanat semblent, de nouveau, rejetées vers les bords de cette occupation. C’est le cas, notamment, d’un four à coupole qui s’installe directement dans l’enclos circulaire simple de l’âge du Bronze de 30 m de diamètre, signalant cette fois, la disparition, à cette époque, de toute élévation. Une petite voie, orientée nord-est/sud-ouest, a également été identifiée, et semble diviser cette occupation en deux parties distinctes.

Des fosses de grandes dimensions situées à l’extrémité sud-est de l’emprise constituent le troisième ensemble. Elles étaient peut-être partiellement dédiées à l’extraction de matériaux, même si cette fonction n’explique pas les nombreux recoupements observés. Ces fosses ont livré un matériel alto-médiéval auquel se mêle un bruit de fond antique, prenant la forme de rejets de tuiles. Les restes fauniques y sont très présents, et indiquent une utilisation de ces fosses comme dépotoirs au moment de leur abandon.

Fig.9 : Vue arienne d’un ensemble de sépultures carolingiennes. Crédit : Éveha, 2025.

Enfin, un cimetière s’installe en bordure nord-est de l’emprise de la fouille. Celui-ci est assez mal préservé du fait des labours contemporains et anciens, malgré un très bon état de conservation des ossements. Une cinquantaine d’individus ont été identifiés, occupant des fosses simples qui se recoupent assez rarement. Des aménagements sont parfois réalisés en fragments de blocs de calcaire, et l’étude de la taphonomie semble indiquer des espaces colmatés rapidement. À part quelques éléments métalliques qui correspondent peut-être à des clous, des épingles de linceuls ou à des éléments intrusifs, ces tombes n’ont livré aucun matériel, ce qui permet une datation au plus tôt de la période carolingienne.

Fig.10 : Aménagement en calcaire dans la tombe d’un individu présentant une paléo-pathologie au niveau de la colonne vertébrale. Crédit : Éveha, 2025.

Le bas Moyen Âge

La sixième phase correspond au creusement d’une série de fosses et à la mise en culture de la zone. Celle-ci est caractérisée au nord par des sillons qui entaillent parfois jusqu’au calcaire, et au sud par le remaniement important d’ossements humains et de céramique alto-médiévale. Les fosses ont livré de la céramique glaçurée verdâtre, ce qui permet de dater cette occupation de la deuxième moitié du Moyen Âge. Ces éléments semblent correspondre aux archives historiques et cartes qui indiquent une concentration de l’occupation médiévale et moderne sur l’autre rive de la Tortille, le cours d’eau qui passe non loin de l’emprise fouillée.

L’époque contemporaine

La dernière phase correspond à la Première Guerre mondiale, et est caractérisée par de nombreux impacts d’obus, des tranchées repérables sur les cartes d’état-major ainsi que par des chevaux enterrés dans des trous d’obus. La consultation des documents historiques, corrélée aux vestiges découverts, permettent d’attribuer ces vestiges aux lignes arrières allemandes, qui servaient potentiellement à l’approvisionnement en munitions du front situé non loin.

Perspectives

La post-fouille, menée désormais en laboratoire, poursuivra plusieurs objectifs. Elle permettra d’affiner les datations des différents ensembles et donc de phaser le site le plus correctement possible. Elle permettra également d’évaluer les traditions qui se dégagent des différentes structures funéraires, par l’étude, notamment, de la répartition des vases.

Le volet anthropologique permettra d’évaluer le recrutement du cimetière, et d’appréhender un peu mieux les afflictions de ceux qui y sont enterrés (présence d’un (présence d’un individu souffrant d’une difformité au niveau du rachis cervical).

L’étude micro-morphologique permettra de confirmer les hypothèses liées aux séquences de colluvions, de comblement des fossés funéraires et de potentielles voies de circulation.

Enfin, la nébuleuse de trous de poteau observée durant la fouille pourra être passée au peigne fin afin de dégager des bâtiments cohérents.