Blendecques (62) – Deux moulins à eau au milieu de l’Aa

Entre septembre et décembre 2019, le bureau d’études Éveha a réalisé une fouille préventive rue du Vieux-Moulin à Blendecques sous la direction d’Audrey Jezuita. Cette opération intervient dans le cadre d’un programme de lutte contre les inondations de l’Aa. Les terrains concernés par l’intervention occupent un îlot délimité par les deux bras du fleuve qui traverse la commune. Deux moulins avaient été mis en évidence lors du diagnostic archéologique et ont amené le Service régional de l’archéologie à prescrire une fouille exhaustive de l’îlot.

L’essor des moulins au Moyen Âge

Artère indispensable pour la fertilisation et la salubrité de la plaine marécageuse de Saint-Omer, l’Aa a joué un rôle important à la fin du Moyen Age. L’essor des moulins en constitue une illustration remarquable, notamment pour l’industrie du drap ou encore du papier, activité toujours présente sur la commune de Blendecques.

On dénombre une dizaine de moulins en fonction à l’époque moderne sur l’ensemble du territoire communal, tous orientés vers des industries diverses. Parmi ces derniers, on peut citer le « moulin Galamez-Joly » situé entre la rue Roger-Salengro et l’ ancien chemin départemental 77. Doté d’une roue de part et d’autre du corps du bâtiment, il était utilisé pour battre le feutre, le drap, mais aussi le fer. Le « moulin au Fer Blanc » servait à fondre le fer des cloches des églises à partir de 1793 pour la fabrique de monnaies à Saint-Omer. Ces moulins ont été plusieurs fois reconstruits depuis le Moyen Âge, victimes d’invasions et de guerres successives, comme ce fût le cas pour le moulin « Alleghier », brûlé par les « Français » en 1476.

Des moulins connus par les cadastres et plans anciens

La fouille intégrale de l’îlot a permis d’étudier deux moulins séparés par un bief interne aménagé comprenant un système d’écluses dont il ne reste que les marques d’emplacement, un canal de roue pour le moulin Sud (dit moulin « Martel-Alleghier ») et plusieurs voûtes, ainsi que les dépendances du moulin Nord (dit moulin « Martel-Brouwette »).

Ces vestiges sont connus par le cadastre de 1770, sur lequel une dépendance et un pont sont visibles à l’est de l’îlot. Un document datant de la fin du XVe siècle, intitulé « le rouleau de l’Aa » confirme également la présence de deux moulins séparés par un bief. Un plan-relief de Saint-Omer et de ses environs, conservé dans les réserves du musée des plans-reliefs à Paris , montre les deux moulins, une écluse en amont de ceux-ci dans le bief, ainsi que deux dépendances sur la partie nord de l’îlot, une à la pointe ouest et une à l’est en proximité immédiate d’un pont. Les vestiges mis au jour lors de la fouille confirment ces plans de différentes époques. Leur état de conservation est exceptionnel comme le montre le bief intégralement aménagé entre l’écluse et la sortie du pont à l’est. En outre, un sol entièrement dallé a pu être dégagé, ainsi qu’un dispositif permettant le renforcement de l’ensemble par des poutres en bois et deux voûtes adjacentes. La première est constituée de briques jaunes tandis que la seconde, en briques rouges recouvertes de sable vert, montre quelques pavements (également en briques) encore en place, attestant de son utilisation en tant que pont pour la traversée du bief.

Les deux moulins semblent appartenir à la ville de Saint-Omer depuis 1280 ou 1321, les documents ne sont pas explicites quant à la vente et la localisation des terrains, mais aucune mention de leur date de construction n’y est faite. La découverte de pieux servant à asseoir les fondations en calcaire des moulins permettront, grâce aux analyses dendrochronologiques, d’affiner la date de construction ou les dates de construction. En effet, il n’est pas impossible que les deux moulins ne soient pas contemporains comme semblent le préciser les registres des rentes (jusque 1462, il n’est question que d’un seul moulin).

Le moulin « Martel Alleghier »

Le moulin « Martel-Alleghier », situé au sud de l’îlot est composé d’un bâtiment rectangulaire de 89 m² environ, séparé en son centre par un double mur. On note également la présence d’une annexe composée de blocs calcaires grossièrement équarris et dont il ne reste qu’une assise dont la fonction n’est pas encore clairement définie. La fouille a permis de comprendre que de nombreuses réfections ont eu lieu, avec des changements de distribution des pièces mais aussi des matériaux de constructions. Ces constatations sont confirmées par les documents relatant la destruction du moulin (1476 , le moulin est brûlé ; 1638 , il est détruit pendant le siège de Saint-Omer) et un bail de 1482 accordé aux héritiers de Gilles Robins « à condition que les preneurs assurent la réfection du moulin ». Plusieurs niveaux de sol se succédant ont été mis au jour à l’extérieur du moulin mais également à l’intérieur, qu’il s’agira de dater au mieux pour comprendre l’évolution du moulin au cours des siècles.

Ce moulin possédait deux roues, chacune tournant dans un canal de roue dont le fond était dallé de blocs équarris dans du grès-quartzite, probablement extrait en Artois. Ce moulin à deux roues à longtemps eu usage à fouler les draps et à moudre le « bled ». Les deux parties du double moulin ont été réunies sous un même propriétaire en 1729. La partie sud servait à moudre le blé, comme semble le confirmer la présence de nombreux fragments de meules, tandis qu’on foulait les draps dans la partie nord. Ce n’est qu’au début du XIXe siècle que la production de papier et d’huile est attestée, mais restera éphémère puisque le cylindre à papier est vendu en 1830 et que le propriétaire y moud de la farine. Les différents changements sont perceptibles dans les sondages pratiqués dans le moulin, avec une stratigraphie conservée complexe, rendant la lecture des données récoltées assez difficile.

Le moulin de « La Brouwette »

Le moulin de « La Brouwette », situé au nord de l’îlot, est composé d’un bâtiment rectangulaire de 80 m² environ, dans lequel les fondations de plots et de contreforts ont été mises au jour mais également celles appartenant à des appendances s’étalant vers l’ouest et dont la fonction de certaines pièces n’est pas définie. Seule la pièce accolée au nord-ouest du bâtiment rectangulaire a livré un indice. Un fond de bassine en bois ainsi que le recouvrement des quatre murs et du sol constituant la pièce d’une argile verte dont la fonction d’étanchéité est avérée, laissent penser que la pièce était soumise à un fort taux d’humidité. L’argile a été taillée de manière à recevoir la bassine et de l’étanchéifier également. Ce moulin est dans un premier temps réservé à la fabrication d’huile. Ce n’est qu’au début du XVIIIe siècle que la fabrication de « papier gris » est mentionnée. Il aura double fonction également pendant quelques années, puisque l’activité de production d’huile est saisonnière. Au début du XIXe siècle, un fabricant de papier du nom de Caffieri loua le moulin jusqu’en 1830, date à laquelle le moulin où il est converti à la fabrication de la farine. Peu de réfections ont été faites sur les fondations en elles-mêmes. Il semblerait que le beffroi extérieur de la roue (situé dans le cours de l’Aa) ait subi des réparations en 1719.

Une conservation exceptionnelle

Les fondations des murs des moulins donnant sur bief sont conservées sur 2 m de haut environ. Elles reposent sur des pieux pour la plupart, puis un radier de calcaire mêlé de mortier sableux gris y est installé avant de poser les assises en briques rouges. Cette séquence est redondante sur l’ensemble des murs de façade. On constate que les murs sud et nord en contact avec l’eau sont liés au mortier à la chaux de couleur bleu ou au mortier de tuileau (mortier composé d’eau, de chaux, agrégats de sable ainsi que de graviers et de résidus de briques ou tuiles). Ce dernier est utilisé depuis l’Antiquité dans les constructions hydrauliques car il possède une capacité à durcir au contact de l’eau du fait de la présence de chaux. Seul le mur nord du moulin de la « Brouwette » et le mur sud du moulin « Alleghier » ont révélé la présence d’une poutre en bois sur toute la longueur située entre les pieux de soutènement et le radier.

La fouille n’a cependant pas permis de mettre au jour des éléments architecturaux des roues ou des installations servant à la fabrication des draps ou du papier (ici nous pouvons citer les marteaux des piles à maillets). Seul un petit engrenage, une lanterne d’axe et un fragment d’axe ont été retrouvés. L’hypothèse d’une récupération pour la réparation ou la remise en état d’autres moulins de la commune est envisageable.

Enfin, les moulins sont rachetés par les frères Avot, fabricants de papier, avant leur abandon lors de la mise en service de la fabrique de papier Avot fondée en 1903, aujourd’hui encore en activité sous le nom de « Norpaper Avot Vallée ». Une carte postale datée de 1910 montre une famille sur la rive sud de l’Aa devant les moulins à l’état d’abandon mais toujours en élévation. Les plus anciens habitants de Blendecques nous ont indiqués que les moulins ont été démantelés après la seconde guerre mondiale. Ils ont servi à reconstruire les habitations détruites suite aux bombardements alliés sur la commune d’Helfaut, voisine de Blendecques, où un immense bunker (construit en 1943-1944), aujourd’hui centre d’Histoire et planétarium, devait à l’époque être la base de lancement des fusées V2 contre l’Angleterre.

Conclusion

La fouille de moulins reste rare en France. Il n’y en a pas eu depuis une vingtaine d’années dans la région Nord-Pas-de-Calais. Cette étude permettra de comprendre l’évolution de l’organisation des moulins mais également de leurs nombreuses activités à la base du développement économique de la ville.

Outre l’histoire de Blendecques à travers ses moulins, c’est toute la chaîne opératoire de la gestion des cours d’eau et de l’environnement alentours qui pourra être renseignée ainsi que le domaine de l’archéologie industrielle dans l’Audomarois.

Les études du mobilier ainsi que les données récoltées tout au long de l’opération permettront d’affiner nos connaissances sur l’Histoire économique de la ville et à plus large échelle de l’arrondissement de Saint-Omer, mais aussi les techniques de constructions propres à l’établissement de ces moulins à eau.

Responsable opération : Audrey Jezuita

Suivi SRA : Vincent Garénaux et Laetitia Maggio

Suivi Eveha : Christelle Lagatie