Découvertes exceptionnelles sur la base aérienne de Cambrai-Épinoy (62)

Le bureau d’étude Eveha a réalisé trois fouilles préventives menées dans le cadre de la réhabilitation de l’ancienne Base aérienne 103 – René Mouchotte – sur la commune d’Epinoy (62). Sont ici présentés les premiers résultats des interventions menées sur le site 2 de la tranche 1, sous la responsabilité de Rémi Blondeau.

Lors de la réalisation de la première tranche de fouilles réalisées entre juillet et novembre 2018 par la société Éveha sur l’emprise d’une nécropole d’origine gauloise ayant perduré au Haut-Empire, des tombes romaines à chambres souterraines avaient été découvertes.

Afin de réaliser l’étude de ces structures particulièrement rares en raison de la difficulté de leur identification et du statut privilégié des inhumés, le Service régional de l’archéologie a prescrit une fouille complémentaire pour découverte exceptionnelle. Cette dernière s’est déroulée durant les mois de septembre et octobre 2019.

Des découvertes riches et variées

La fouille d’une cinquantaine de sépultures à résidus de crémation s’échelonnant de la fin de La Tène ancienne – Tène Moyenne au Ier siècle de notre ère, ainsi qu’une dizaine d’inhumations de jeune individus, a été complétée par les découvertes de deux monuments gallo-romains sur fondations en pierre, et trois sépultures en hypogées gallo-romains à caractère exceptionnel : l’un des bâtiments découvert en 2018 s’avère rapidement être un mausolée marquant l’emplacement d’une tombe à chambre souterraine. La suite des investigations permet de mettre en évidence la présence de deux autres escaliers menant à des chambres funéraires signalées par des marqueurs de tombes plus fugaces (probablement des tertres et des bornes en bois) [Fig. 01].

Le secteur est

La fouille du site 2 de la BA103 s’est donc déroulée en deux phases, la première durant l’été 2018 sur une emprise de 12 500 m². Elle a permis, entre autres, d’identifier trois secteurs à vocation funéraire. Le premier, à l’extrémité orientale, regroupe une douzaine de tombes à résidus de crémations accompagnées de vases et d’objets métalliques, ainsi que quelques structures sans dépôt. Un monument funéraire partiellement conservé a été mis en évidence, il se caractérise par l’aménagement d’une structure fossoyé en « L » et plusieurs trous de poteaux [Fig. 02]. Il abrite une tombe à résidus de crémation de taille plus importante que les autres. Cette dernière présentait un amas de grosses bûches carbonisées recouvrant le mobilier d’accompagnement. Deux fossés de parcellaires alignés forment, par leurs interruptions, une ouverture de 13 m de large pouvant correspondre à un axe de circulation perpendiculaire aux fossés, le long duquel les tombes se sont installées. Le comblement final de ces fossés intervient au Haut-Empire.

Le secteur ouest

En partie occidentale un parcellaire gaulois orthonormé a été mis en évidence. Il pourrait correspondre à des aménagements de La Tène finale. Un alignement de quatre tombes à résidus de crémation dont des tombes « à armes » (fer de lance, umbo…) est disposé le long de l’un des fossés NO-SE.

En se rapprochant de la partie centrale de l’emprise, un monument funéraire gaulois vient recouper ce parcellaire. Le monument se compose d’un édifice sur quatre poteaux situé dans l’angle d’un aménagement fossoyé en « L » [Fig. 03]. Cette structure fossoyée s’apparente à une petite palissade composée de nombreux piquets. Une ouverture est aménagée à l’est. L’aménagement est probablement incomplet en raison de l’arasement. Trois tombes sont disposées au nord du monument sur un axe ouest-est et une fosse de curage de bûcher est implantée sur le côté ouest. Cinq tombes à résidus de crémation sont implantées à l’ouest du monument. Elles reprennent l’alignement des tombes principales.

Un nouveau fossé de parcellaire NO-SE est creusé sur l’extrémité occidentale de l’emprise. Une aire de crémation quadrangulaire de 7 m de long s’aligne sur cette orientation. Elle présente au moins deux états d’utilisation. On retrouve dans le comblement du fossé des résidus osseux crémés et des tessons passés au feu, indices des rejets de curage lors du nettoyage de l’aire de crémation. Des tombes attribuables au Ier s. sont disposées perpendiculairement au fossé. Deux tombes sont creusées à proximité de l’aire de crémation, les autres se situent de l’autre côté du fossé. Elles présentent des dépôts conséquents, avec de nombreuses céramiques, du mobilier métallique, dont du matériel lié au feu : pelle à feu, grill, broches et trépied ; des éléments liés à la toilette (pinces, cure oreille…) et vestimentaires (fibules, aiguilles…) accompagnent les résidus osseux, ainsi que quelques perles en ambre. La tombe à résidus de crémation 1003 apparaît particulière. Richement dotée, elle contient notamment des dépôts alimentaires et de la vaisselle en alliage cuivreux pouvant être rattachée au domaine de la boisson. Huit inhumations de jeunes individus et une incinération ont été identifiées se développant en « U » autour de la tombe 1003. En raison des mauvaises conditions de conservation, les squelettes ne sont pas conservés. Seuls quelques restes osseux et des monnaies ont été retrouvées. La pratique de l’inhumation, la petite taille des creusements et l’absence de mobilier d’accompagnement, nous orientent sur l’interprétation de l’inhumation de jeunes individus.

Les trois tombes souterraines

Au IIe s. de n.è. des palissades sont mises en place reprenant des axes NO-SE et SO-NE et organisent ce secteur funéraire. Trois tombes souterraines avec chambre en hypogée sont disposées dans les espaces encore disponibles de l’alignement de tombes du Ier s.

La première tombe se compose d’un mausolée en pierre de plan quadrangulaire de 3.20 m sur 2.90 m de côté, avec un escalier de 4 m de longueur pour 1 m de largeur [Fig. 04]. La fouille de l’intérieur du mausolée n’a livré que des fragments de tuiles et un bloc de grès taillé. Le bâtiment a été pillé entièrement. La fouille de l’escalier a permis de révéler un creusement de plus de 4.50 m de profondeur dans les limons et les loess [Fig. 05]. L’escalier conduit sur un petit vestibule renforcé par quelques boisages. La chambre est scellée par une grande meule circulaire en réemploi. La fouille de la chambre funéraire permet de restituer des dépôts sur plusieurs niveaux de niches. En hauteur à l’est : des miniatures céramiques, les accessoires pour le feu : pelle à feu, fourchette, tisonnier trépied, ainsi qu’un miroir en bronze reposent dans une niche à fond plat [Fig. 06]. En dessous une niche avec arc en plein cintre est creusée au même niveau que le sol de la chambre. Diverses céramiques y reposent : il s’agit principalement de coupelles et de cruches. À l’opposé une niche aménagée sur une petite élévation d’une dizaine de centimètres reçoit un coffre quadrangulaire en bois ainsi qu’une patère et une cruche. En partie supérieure on peut restituer également une étagère ou niche haute par l’étude de la taphonomie des chutes d’objets (un grill et une grande jarre contenant des résidus osseux) et de deux encoches préservées dans le substrat. La parois nord est aménagée pour recevoir les os crémés. Deux niches installées à une dizaine de centimètres du sol sont séparées par un plot de substrat préservé. Dans l’angle nord-ouest une bouteille en verre a chuté d’une niche ou étagère en bois, dans l’angle nord-est des restes fauniques et des os crémés se sont accumulés selon un pendage nord-ouest sud-est et du haut vers le bas, confirmant la chute d’une planche supérieure lors de l’effondrement de la voûte. D’autres résidus organiques (bois, cuir) et métalliques (ferrures, anneaux, plaque avec rivets) d’un objet indéterminés ont été découverts au pied de la niche ouest [Fig. 07].

La seconde tombe en hypogée a été repérée à l’est de cet ensemble funéraire. Elle apparaît en surface de plan oblong avec un escalier de 4.30 de longueur pour 0.50 m de largeur et 3.20 m de profondeur. Un marqueur de tombe a été identifié à l’extrémité nord, en surface du comblement volontaire de l’escalier. L’escalier débouche également sur un petit vestibule étayé par des boisages. L’entrée de la chambre funéraire est condamnée par une planche en bois insérée dans une rainure et s’appuyant sur deux montants verticaux et un linteau en bois. La chambre présente un plan ovoïde sans niche. Les objets étant déposés au sol et sur une étagère en bois composée de deux niveaux de planches. Sur le sol sont déposés des pièces de viande (oiseau), un grill et une céramique ; sur la première planche un rasoir en fer et au fond de la niche un coffre ossuaire rectangulaire ; sur la planche du haut quatre coupelles, des pièces de viande (oiseau), une cruche et une pelle à feu complète le mobilier d’accompagnement. La sédimentation lente par infiltration de sables fins, a permis de mettre en évidence la présence de plusieurs objets en matière périssable qui ont disparu. Il s’agit principalement de contenant souples (tissus, vannerie ou cuir), de pièces de tissus et d’au moins un coffret en matière rigide [Fig. 08].

La troisième tombe en hypogée présente un escalier de 3 m de longueur, menant sur un vestibule situé entre 1.5 m et 2 m de profondeur. Une grande pierre en grès local a été disposée de chant, et calée avec cinq blocs de grès de petite taille [Fig. 09]. Des restes de bois attestent du boisage du vestibule. La pierre ferme l’entrée de la chambre funéraire qui présente un plan en croix avec le creusement de trois niches. Une niche orientale dans laquelle ont été disposées deux cruches indique un creusement en sape d’environ 0.35 m de hauteur. La niche nord est de faible profondeur, mais se développe jusqu’au plafond de la chambre. Elle accueille un coffre ossuaire disposé à la verticale. La niche orientale est également creusée en sape sur une hauteur d’une trentaine de centimètres. Elle présente un amas de résidus organiques mêlant bois, objets en fer, ferrures, plaques en alliage cuivreux, cuir décoré à la feuille d’or… Dans la partie centrale, au devant de l’entrée, un bassin en étain décoré de cabochons à pâte de verre rouge et un nécessaire à feu (pelle à feu, cuillère en fer, pince, tisonnier) sont complétés d’un dépôt de faune, de boites en os, d’un grill et de broches en fer disposés sur le fond de la chambre. Sur ces objets est installé un second coffre ossuaire contre lequel viennent s’appuyer un couteau en fer, un manche de miroir en étain, et deux autres boites en os (pyxides) disposés sur l’arrête de la niche orientale. Au dessus et de part et d’autre de la niche septentrionale, des céramiques sur des trépieds en fer circulaires, des chenets en fer, plusieurs gobelets et miniatures en fer, une verrerie, débordants dans la niche orientale, semblent confirmer un empilement contraint par l’espace restreint [Fig. 10]. L’étude des comblements permet de restituer un comblement volontaire de l’escalier et une chambre funéraire surmontée d’un petit tertre circulaire, le tout complété par des poteaux marquant l’emplacement de la tombe.

Enfin un bâtiment sur fondation en grès et calcaire, de plan rectangulaire de 6.30 m de long sur 4.50 m de large est installé au sud du groupement d’inhumations autour de la tombe 1003. Il présente la même orientation générale NO-SE et se compose d’une entrée au sud, ouvrant sur deux pièces : un pronaos de 3.2 m sur 1.30 m et un naos de 3.30 m sur 3.10 m [Fig. 11]. La fouille de l’intérieur des deux espaces n’a livré aucun mobilier. Seule une monnaie a été découverte dans la semelle de fondation du mur nord. À l’extérieur du bâtiment deux structures circulaires, dont l’une recoupant une inhumation, ont livrés les dépôts de 13 et 7 monnaies. Ces dépôts successifs de monnaies dans ces deux fosses posent questions sur l’interprétation de ce bâtiment funéraire ou religieux.

Les études du mobilier ainsi que des données récoltées se poursuivent actuellement et permettront d’affiner nos connaissances de ce site et de son occupation.

Responsable d’Opération : Rémi Blondeau

Suivi Scientifique SRA : Gilles Leroy

Suivi Scientifique Eveha : Christelle Lagatie