VIENNE (38) – 37 rue Vimaine

Les fouilles menées sur le site du 37 rue Vimaine à Vienne (Isère) ont été réalisées entre les mois de juillet et août 2021 par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité de Thierry Argant. Elles interviennent dans le cadre du projet de construction d’un ensemble immobilier par le promoteur Biens Sûrs. Au sein de trois fenêtres de fouille totalisant environ 530 m², les investigations archéologiques ont essentiellement conduit à la mise au jour d’un ensemble sépulcral diversifié daté du Haut-Empire (1er-3e s. ap. J.-C.) ainsi que de la portion d’une voie bordée d’un mur en périphérie sud de la ville antique.

En tout, 21 structures archéologiques ont été observées. Un mur de moellons de gneiss local liés par un mortier sableux beige traverse la parcelle d’ouest en est depuis la rue Vimaine, qui reprend le tracé de la via mediana antique. Il s’interrompt brusquement vers l’est au milieu de la parcelle. Il limite au sud un espace de circulation présentant plusieurs niveaux de recharges caillouteuses, initialement bordé par un fossé, qu’il remplace en dernier lieu. Vers l’est, cet axe viaire est manifestement remplacé par un chemin beaucoup plus fruste, largement perturbé par les racines des nombreux arbres du verger préexistant. Un second fossé, observé dans la fenêtre de fouille orientale, pourrait, lui, marquer la limite nord de ce chemin.

Vue de l’espace de circulation bordé par un mur au sud, depuis l’ouest. Crédit : Éveha, 2021.

Dans la partie orientale du site, au sud de la ligne formée par l’axe viaire et ses fossés, se développe une zone à vocation funéraire, marquée dans un premier temps par deux inhumations alignées. L’une d’entre elles correspond à une inhumation orientée d’une femme de plus de 30 ans, en contenant en bois cloué, qui occupe une fosse très largement surdimensionnée par rapport à son encombrement modeste.

Vue de la sépulture d’une femme inhumée dans un contenant en bois cloué. Crédit : Éveha, 2021.

À l’ouest de celle-ci, un sarcophage en plomb scellé a constitué une découverte totalement inattendue qui a nécessité la prise de précautions sanitaires pour l’équipe de fouille et la mise en place d’un protocole particulier. Une fois les observations sur le remplissage supérieur de la structure réalisées, puis le couvercle dégagé, l’anthropologue a pu débuter la fouille de cette inhumation avec le renfort d’un, voire de deux collègues. La première étape a été le soulèvement du couvercle, qui ne présentait pas de trace de scellement et dont l’état fendillé au niveau du thorax de l’individu nous assurait que la structure n’était plus étanche depuis longtemps. Aucun sédiment n’avait néanmoins recouvert le squelette, juste voilé d’une petite pellicule de sédiment fin craquelé, justifiant une étude sur place pour éviter les risques inhérents au transport. Un carroyage en carrés de 10 cm de côté a été mis en place, découpant artificiellement le sarcophage en 32 compartiments dont les sédiments ont été intégralement prélevés par couche et aussitôt mis au frais dans une glacière. Ces sédiments feront l’objet de quelques analyses en post-fouille (parasitologie, palynologie, analyses physico-chimiques diverses…), qui pourront nous apporter leur lot d’informations supplémentaires. L’étude anthropologique du squelette permet d’ores et déjà d’identifier une femme, dont l’âge au décès peut être valablement estimé dans une fourchette entre 17 et 22 ans. Au pied du sarcophage, fichées dans le sédiment encaissant de la fosse d’installation, sont apparues des lettres de fer inversées qui, vues dans un miroir, se lisent « E RES ». Elles pourraient avoir été incrustées dans le bois du cercueil (attesté par des clous conservés jusqu’à nos jours) entourant la cuve en plomb. La fin du dégagement de la fosse autour de la cuve permettait par la suite de mettre au jour un radier. Une fois la cuve retirée, qui reposait directement sur les pierres du radier, une dernière surprise nous attendait sous la forme d’une lampe à huile africaine datée des 2e – 3e s. ap. J.-C., cassée en deux morceaux séparés, comme si elle avait été se fracasser sur le radier avant l’inhumation du cercueil.

Vue en différentes étapes du dégagement du sarcophage de plomb. Crédit : Éveha, 2021.
Instantané de la fouille du sarcophage de plomb. Crédit : Éveha, 2021.

Une grande fosse de prise de matériaux, aux parois verticales, de 5 m de largeur pour au moins 13 m de long, vient recouper le creusement de ces deux inhumations et se trouve par la suite comblée par des déversements successifs de déchets formant autant de lentilles charbonneuses séparées par des couches de limon. Ces lentilles avaient été identifiées au diagnostic comme des dépôts secondaires de crémations, justifiant la partie anthropologique de la prescription de fouille. La nature du mobilier, comprenant céramiques fines de présentation (notamment DRAG 33, 37), conteneurs à liquide (cruches, amphores), pots horticoles en grand nombre mais aussi restes de faune liés à la découpe primaire de la carcasse des bovidés ou des éléments squelettiques de chiens en particulier, humérus humain a priori rongé, suggère des origines diverses (artisanats, équarrissage, activités funéraires…) et confirme la proximité des nécropoles liées aux voies nord-sud de ce côté de la ville antique et cela dès la période du Haut-Empire. Pour finir, la dépression subsistante est finalement comblée par des charretées de matériaux de démolition de bâtiments.

Le comblement de cette fosse se trouve à son tour entamé par le creusement de deux bûchers. Dans les deux cas, les parois rubéfiées encore en place par endroit indiquent clairement qu’il s’agit du lieu d’un foyer important et la présence d’ossements humains calcinés dans leur comblement permet d’orienter leur fonction vers la pratique de la crémation funéraire. Toutefois, nous n’avons retrouvé que peu de charbons de bois dans ces deux structures et les parois rubéfiées se retrouvent également dans le remplissage sous forme de fragments colorés dans différents tons d’ocres. Ces indices témoignent manifestement d’une intervention de nettoyage/curage à la fin de la crémation. Les ossements sont regroupés en amas dans le tiers nord des structures mais d’autres petites concentrations sont observées ailleurs. Dans un cas, un vase de stockage découpé est posé sur l’amas osseux principal avec une ouverture à la base, suggérant un vase à libation. Dans le second, l’amas est regroupé dans une surface rectangulaire et se trouve associé à une série importante de petits clous à tête plate, qui pourraient suggérer un contenant de type coffre. Cette structure livre également quelques offrandes mobilières sous la forme de fragments de vases en verre et trois monnaies dont deux de l’empereur Commode (180-192 ap. J.-C.). Quelques rares tessons pourraient témoigner par ailleurs d’offrandes de céramique mais elles auraient alors en grande partie été retirées lors du curage de la structure.

Amas osseux d’une fosse-bûcher débordant dans le fond d’un possible vase à libation. Crédit : Éveha, 2021.
Monnaie de l’empereur Commode (180-192 ap. J.-C.) retrouvée dans l’une des deux fosses-bûchers de la fouille. Crédit : Éveha, 2021.

Il reste à déterminer si une partie du squelette a été extraite pour une inhumation secondaire en vase ossuaire (par exemple) ou si ces bûchers en fosse constituent à la fois le lieu de crémation et la tombe proprement dite. Cela fera l’objet d’une partie de l’analyse de l’anthropologue sur la base des prélèvements réalisés.

Pour finir, les structures des bûchers sont recouvertes par une construction maçonnée aux murs larges de 80 cm au niveau des fondations et formant un plan rectangulaire incomplet de 8,20 m par 6,60 m. La destination de ce bâtiment n’a, pour le moment, pas pu être déterminée, faute d’indices.

Le temps de l’étude du mobilier, de la réflexion et de l’analyse de ces vestiges ne fait que débuter et permettra d’affiner nos connaissances de ce site et de son occupation.