CHALON-SUR-SAÔNE (71) – 6, impasse Sainte-Croix

Les fouilles menées sur le site de Chalon-sur-Saône, 6 impasse Sainte-Croix ont été réalisées par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité de Romain Pansiot en amont du projet d’aménagement porté par KORIAN Bel’Saône consistant à la création d’un nouveau bâtiment d’accueil pour personnes âgées. Les investigations archéologiques, menées en périphérie nord de l’ancienne cité de Cabilonnum, ont permis de mettre au jour plusieurs phases d’occupations datées du 1er au 11e siècle.

Une première occupation au 1er s. de notre ère

Bien que la présence d’une occupation protohistorique soit suggérée par la présence d’éléments mobilier, c’est au 1er siècle que la parcelle semble aménagée. Un angle de bâtiment aux maçonneries totalement récupérées a été observé à l’angle sud-ouest de la fouille. Son orientation est similaire à celle d’un ensemble de structures fossoyées dont la fonction reste à ce jour énigmatique. Deux canalisations à emboîtures en fer (Fig. 1), recoupées par les creusements de toutes les structures supérieures, peuvent également être rattachées à cette première phase d’occupation. Un premier dépôt de cinq chiens (Fig. 2) orientés la tête à l’ouest semble également faire partie du corpus de vestiges les plus anciens. D’après les premières observations archéozoologiques faites sur le terrain, il se pourrait que ce soient de jeunes chiens aux queues coupées.

Fig. 1 : Canalisation avec emboîture en fer, vue vers le nord. Crédit : Eveha, 2021.
Fig. 2 : Dépôt de cinq chiens.Crédit : Eveha, 2021.

Une deuxième phase marquée par des dépôts le long d’une voie

La seconde phase d’aménagement du site est caractérisée par une voie en cailloutis assez mal conservée traversant la zone investiguée du nord vers le sud. Une portion bien conservée (Fig. 3) ajoutée aux ornières qui parsèment la fouille en sont des témoins assez ténus mais caractéristiques.

Un alignement de trois squelettes d’animaux, deux chiens aux queues coupées (Fig. 4) et un capriné (Fig. 5), reprend l’orientation de la voie. Ces dépôts pourraient donc avoir été réalisés au moment où ce premier axe de communication était en fonction. Deux fosses dépotoir (Fig. 6 et 7) ont également été fouillées. Elle renfermaient de nombreux fragments de céramiques à boire dont des cruches et des amphores. Leur orientation permet d’envisager une chronologie similaire à celle des dépôts de faune et de ce premier axe routier. Ces dépôts de faune associés aux fosses de rejet comportant de la céramique à boire permettent de supposer la présence d’un sanctuaire gallo-romain à proximité de notre emprise de fouille.

Fig. 3 : Portion de la voie. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 4 : Dépôt d’un chien en bordure de la voie. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 5 : Dépôt d’un jeun caprin. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 6 : Fosse dépotoir. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 7 : Fond de la fosse dépotoir. Crédit : Éveha, 2021.

Une nouvelle phase au 2e s. de notre ère

Lors de la troisième phase potentiellement datée du 2e s., la parcelle est plus densément aménagée. Un nouvel axe routier formant une patte d’oie est aménagé. Celle-ci est composée d’une voie NO/SE, de 10 mètres de large formant un angle droit avec une seconde se développant du NE vers le SO. Les cailloutis sont formés de cailloux émoussés, fragments de tegulae,d’os de grands animaux, de tessons de poterie et de nombreux objets de vie quotidienne comme de la parure (bagues (Fig. 8), fibules (Fig. 9), bracelet) des épingles en os ou une balance en alliage cuivreux. Ce « tout-venant » semble issu d’un démantèlement et d’un tri de matériaux provenant d’une domus gallo-romaine, fait posant la problématique de la gestion des déchets à la période antique. La patte d’oie est bordée au SO par un espace de culture caractérisé par un réseau orthonormé de fossés peu profonds et d’une assez épaisse couche de terre végétale. De potentielles traces de labours ont pu être enregistrées car elles entament la fosse dépotoir de la phase 2 (étalant ainsi le mobilier au fond des sillons) et entament également les tranchées de récupération de l’angle de bâtiment rattaché à la première phase d’occupation. Les fossés bordiers flanquant l’espace de roulement sont composés de nombreux surcreusements linéaires issus de nombreux curages. Les comblements très hydromorphes et lités indiquent que les ruissellement d’eau de pluie étaient fréquents et déplaçaient beaucoup de sédiment sableux impliquant un entretien très régulier et potentiellement très fastidieux.

Un squelette de chien a été mis au jour au sein du fossé bordier sud (Fig. 10). Celui-ci se distinguait des autres dépôts de canidés rencontrés car sa queue n’était pas coupée et il semble avoir été placé dans le fossé sans ménagement, probablement tête et pattes en l’air. Le fossé bordier nord est quand à lui flanqué de deux dépôts d’os de grands animaux (Fig. 11 et 12). Ceux-ci ont été interprétés comme des fosses d’équarrisseurs car ils comportaient des parties anatomiques de chevaux et de chiens, en connexion, soigneusement organisées au sein de la fosse quadrangulaire. Os longs et crânes composaient les parements NO et SE et l’intérieur comportait alors les rachis et les côtes.

Un nouveau chemin creux à l’époque tardo-antique

La quatrième phase d’occupation, tardo-antique, est caractérisée par l’aménagement d’un chemin creux (Fig.13) large de 5 mètres. Des ornières et des rigoles de ruissellement d’eau de pluie ont été fréquemment observées. Le chemin creux est implanté au sein de la voirie antérieure et reprend donc l’orientation NO/SE. Il comportait également un fossé bordier au sud au sein duquel a été mis au jour le squelette d’un enfant (Fig. 14).

Fig. 8 : Bague en alliage cuivreux. Crédit Éveha, 2021.
Fig. 9 : Fibule discoïdale émaillée dans le cailloutis de voie. Crédit Éveha, 2021.
Fig. 10 : Dépôt d’un chien dans le fossé bordier. Crédit Éveha, 2021.
Fig. 11 : Dépôt d’un rachis d’équidé. Crédit Éveha, 2021.
Fig. 12 : Dépôt d’équarisseur avec des os d’équidés. Crédit Éveha, 2021.
Fig. 13 : chemin creux. Crédit Éveha, 2021.
Fig. 14 : Sépulture d’enfant dans le fossé bordier du chemin creux. Crédit Éveha, 2021.

L’aménagement d’une fontaine couverte

Un apport de terre organique a ensuite permis de combler le chemin creux. C’est là qu’est installé, au 5e – 6e s., un ensemble hydraulique (Fig. 15) interprété comme une fontaine couverte ou un lavoir. Aménagé en deux phases de construction, il est initialement composé d’un bassin à double abside opposées lui conférant une forme de « gélule ». Sa maçonnerie est composée de plusieurs assises de blocs calcaires liés et enduit à l’intérieur par un mortier de tuileau rose et à l’extérieur par un mortier de chaux blanchâtre. Les sommets de murs étaient très probablement couverts de blocs de section semi-circulaire (couvertines) de réemploi, taillés dans le calcaire ou dans un grès à granulométrie moyenne. Le fond était formé d’un hérisson de fondation composé de petits blocs calcaires de chant recouverts par une épaisse couche de mortier de tuileau. L’évacuation (Fig. 16), localisée à l’extrémité SE du bassin mesurait 8 cm de diamètre et était taillée dans deux chapiteaux d’ordre corinthien de petit diamètre (Fig. 17). Ce type de chapiteau est observable au sein des façades de monuments funéraires des Gaules de l’Est, dont deux ont été découverts en 2020 à 700 mètres de la présente fouille (Fouille au 63, rue Garibaldi, Eveha). Le trou d’évacuation débouchait à l’extérieur sur une petite canalisation taillée dans un bloc de couvertine retaillé et retourné (Fig. 18). Il était très probablement bouché par un système de trappe, comme semble l’indiquer le négatif tronconique imprimé dans l’enduit de chaux externe. Le système d’adduction en eau n’a pas été observé, ne permettant alors que d’émettre des hypothèses. Le seul témoin de celle-ci est un support de fontaine composé d’une dalle de suspensura en terre-cuite en réemploi et provenant très certainement d’un sol d’hypocauste, localisé au fond à l’extrémité NO du bassin. Dans l’hypothèse où l’adduction était réalisée via une fontaine, on peut en déduire que l’eau qui arrivait dans le bassin était propre, potentiellement potable et acheminée via un réseau de tuyaux enterrés. L’ensemble était couvert d’une charpente reposant, pour son état initial, sur six piliers dont les bases ont été mises au jour. Ces dernières étaient composées de blocs taillés gallo-romains de réemploi. Parmi ceux-ci, on note la présence d’une base de colonne à peine dégrossie ou retaillée, un bloc parallélépipédique comportant un trou de louve en son centre et une marque de tailleur de pierre (Fig. 19) et un fragment de margelle de puits. L’ensemble hydraulique est desservi, pour la première phase de construction, par un chemin NE/SO composé d’un amas de cailloux calcaires, de fragments de tuile et d’os de faune. L’entrée principale se faisait donc par le sud.

Le second état de construction de ce lavoir est caractérisé par la présence de tranchées de récupération de mur indiquant que les façades occidentale, méridionale et orientale ont alors été fermées par des murs reposant sur les six bases de pilier. L’accès au bassin se faisait alors par le nord.

La chronologie a pu être attestée par la présence de mobilier daté du haut Moyen Âge dans les comblements de la fosse d’installation du bassin et par la datation au carbone 14 attribuée entre 423 à 550 de notre ère d’un gros fragment de charbon découvert au centre de sa maçonnerie.

Aucun élément ne permet à ce jour de connaître la durée d’utilisation de cet aménagement singulier. Un état de réemploi de l’espace a pu être également fouillé. Il est caractérisé par un foyer en fragments de tegulae placés de chant, localisé dans l’abside SE et supporté par les imposants blocs de couvertines qui composaient la margelle du bassin (Fig. 20). L’utilisation de ces gros blocs comme support, les traces d’une chauffe intense au sein du foyer nous ont amener à penser qu’une activité de forge a pu être réalisée dans l’ensemble hydraulique alors abandonné. Des prélèvements dans les fosses de rejet localisées autour de cet espace ont été effectués afin de tester la présence de battitures, potentiels témoins d’une activité de métallurgie du fer.

Fig. 15 : Vue zénithale de l’ensemble hydraulique. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 16 : Détail de l’évacuation du bassin, vue intérieure. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 17 : Chapiteaux gallo-romains en réemploi composant l’évacuation du bassin. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 18 : Détail de l’évacuation du bassin depuis l’extérieur. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 19 : Base de pilier Sud-ouest, détail de la marque de tailleur de pierre. Crédit : Éveha, 2021.

Des vestiges du haut Moyen Âge à l’époque moderne

La sixième phase est caractérisée par des fosses et trous de poteaux creusés dans les niveaux du haut Moyen Âge. La chronologie apportée par les éléments céramiques prélevés semble centrée sur les 9e – 10e s.

À la fin de la période médiévale et au début de la période moderne, l’espace investigué est scellé par un épais apport de terre végétale ayant servi à l’aménagement des jardins des bâtisses situées à quelques dizaines de mètres à l’Est.

La dernière phase date du début du 20e s. période où un nouvel apport de terre végétale est réalisé pour faire de la culture maraîchère, activité qui perdurera jusqu’en 1989, période où le bâtiment de l’ehpad est construit. Un puits, construit dans les années 1920 au sud de l’emprise et aligné avec deux autres puits édifiés à la même période, viennent enfin clore la liste des aménagements contemporains du site.