CHARMONT-SOUS-BARBUISE (10) – Rue du Moulin Chaudron, Phase 02

Préalablement à la construction d’un lotissement, un diagnostic archéologique a été mené en 2017 sur la commune de Charmont-sous-Barbuise, à 14 km au nord-est de Troyes (Aube).
Les découvertes réalisées le long de la rue du Moulin Chaudron, interprétées à ce stade comme les restes d’un établissement rural gallo-romain de type villa, ont motivé la prescription d’une fouille par le Service régional de l’archéologie.
Suite à une demande de l’aménageur, celle-ci a été scindée en deux phases d’interventions : la phase 1, qui portait sur une superficie d’environ 6000 m², a été réalisée entre mai et juillet 2019, la phase 2, qui englobait une zone de 10 000 m², entre mars et mai 2021.

La plaine alluviale de la Barbuise

Cette fenêtre de fouille globalement rectangulaire se trouve dans la plaine alluviale de la Barbuise, affluent de l’Aube, qui s’écoule du sud-est au nord-est. La plaine alluviale, large de 200 m environ à l’emplacement du terrain étudié par le bureau d’études Éveha, est bordée par des versants crayeux crétacés, dont les reliefs sont modérés. Ceux-ci sont recouverts de formations colluviales hétérogènes mais globalement héritées des altérites crayeuses et des limons de plateaux remaniés. L’emprise de fouille est traversée par un thalweg qui vient se connecter au versant crayeux occidental de la plaine alluviale de la Barbuise. Ce thalweg présente une séquence de comblement atteignant environ 2 m d’épaisseur.

Des vestiges de l’époque romaine

L’emprise fouillée en 2021, globalement rectangulaire, est traversée de part en part par le thalweg.
La très grande majorité des vestiges appartiennent à l’époque romaine. La principale découverte effectuée au cours de cette intervention est sans nul doute celle de deux bâtiments espacés de 8,50 m environ, entre lesquels vient s’intercaler un empierrement rectangulaire (5,65 x 2,50 m).

Une des constructions correspond en effet à un temple à plan centré, avec sa cella rectangulaire (3,40 x 2,20 m dans œuvre) matérialisée par d’étroites fondations en blocs de craie, tandis que la galerie périphérique, de largeur assez régulière (1,85-1,95 m), est limitée par des solins conservés sur quelques centimètres de profondeur.

Le second édifice comprend une unique pièce de plan carré (2,90 m de côté dans œuvre), aux solins particulièrement larges, ponctués de trous de poteau à chaque angle ainsi qu’au centre des murs. Au sein de cette possible chapelle a été trouvée une fosse de section quadrangulaire profonde de 1,35 m, dotée de parois verticales et d’un fond plat. En partie supérieure, ses parois sont doublées par une maçonnerie composée de petits fragments de craie soigneusement équarris, formant des assises régulières. Le mobilier recueilli dans cette structure, peu abondant, comprend notamment deux monnaies et une lampe à huile intacte.
Ce petit bâtiment est bordé par un axe de circulation se développant sur l’axe sud-ouest – nord-est, large de 11 m environ.

Vue depuis le nord-est du fanum et de l’édificevoisin, entre lesquels s’intercalent un puits et un
empierrement rectangulaire. Crédit : Éveha, 2021.

Une forte structuration de l’espace
Des enclos

Si cette voie de communication peut être considérée comme un marqueur fort dans la structuration de l’espace, il en est de même des enclos découverts au nord de ce tronçon, dont certains ont pu être appréhendés dans leur globalité.
Tout comme les deux exemplaires identifiés en 2019 plus au sud, ceux-ci apparaissent sous la forme de clôtures, matérialisées par des alignements de trous de poteau. Si celui renfermant les deux édifices à vocation cultuel paraît quasi-vide de structures annexes, les autres enclos englobent de nombreux celliers, « cabanes excavées » et puits, mais aussi quelques constructions sur poteaux de taille souvent assez restreinte.

Des fosses

Parmi les fosses mises en évidence, trois méritent une attention toute particulière en raison de la nature et de l’agencement du mobilier présent en leur sein.
L’une d’entre elles, située à une vingtaine de mètres au sud de l’édifice carré mentionné ci-dessus, renvoie par exemple très probablement à un contexte cultuel. Des planches de bois ont été utilisées pour confectionner son sol et une partie au moins de ses parois. La partie inférieure de son comblement a fourni plusieurs monnaies, une statuette en bronze, un fragment d’une autre en terre cuite, quelques récipients miniatures, des récipients et une clochette en bronze, des ustensiles en fer et une fibule. Les os en connexion d’un animal reposaient en outre au fond de la fosse, près d’un couteau en fer, non loin d’un petit récipient en céramique retrouvé intact, lui-même posé sur une soucoupe également en céramique.

Fosse trouvée dans un petit bâtiment de plan carré (chapelle ?) situé près du fanum. Crédit : Éveha, 2021.

Un mobilier abondant et riche

Un peu plus de 170 monnaies ont été découvertes lors de la phase 2, la plupart d’entre elles ayant été trouvées dans l’aire interne des deux édifices sus-nommés ainsi qu’en périphérie immédiate, dans la partie supérieure de la couche entaillée par leurs fondations.
Outre ce numéraire, qui ne correspond manifestement pas à un ou plusieurs trésors monétaires, on relèvera également la découverte de plusieurs clochettes et fibules, mais aussi d’éléments plus inhabituels dans ce type de contexte, tel ce petit étui rectangulaire en alliage cuivreux, découvert intact, qui n’est pas sans rappeler certains coffrets d’oculistes.
Sous ces deux édifices, ainsi que dans leur périphérie immédiate, de nombreux fragments d’enduits peints non figurés et de rares éléments architectoniques en pierre (un tambour et un fragment de base de colonne par exemple) ont été trouvés à l’intérieur de cette couche. Ceux-ci appartenaient probablement à un édifice plus ancien. Or, le seul bâtiment identifié en surface de la matrice sous-jacente, qui se développe en partie sous le fanum, correspond à une construction rectangulaire de petit module, à une seule nef, établie sur poteaux.

Mobilier découvert dans l’une des fosses creusées au sud du fanum. Crédit : Éveha, 2021.

Un complexe cultuel antique unique dans l’Aube

La découverte de ce site est d’autant plus intéressante qu’il s’agit seulement du sixième complexe cultuel antique attesté dans le département de l’Aube. Le seul à avoir fait l’objet de fouilles, avec celui de Charmont, est celui de la Villeneuve-au-Châtelot, dans la partie nord du département, exploré dans les années 1970 et 1980.
Si le site de Charmont-sous-Barbuise présente un plan vraisemblablement inédit à l’échelle de la Champagne-Ardenne, celui-ci reste lacunaire, puisqu’il se développe en dehors de l’emprise sur trois côtés. Différents éléments de mobilier, pilette, tubuli, élément de placage en marbre, témoignent notamment de la présence d’un édifice balnéaire vraisemblablement tout proche. Enfin, le statut du site interroge :villa de très grande taille ou petite agglomération secondaire ? Gageons que les études portant sur le mobilier, l’affinement de l’analyse chronologique ainsi que la prise en considération de sites contemporains devraient nous permettre notamment d’enrichir nos connaissances sur ce point.

Portrait gravé sur un bloc de craie. Crédit : Éveha, 2021.