VILLENEUVE-SUR-LOT (47) – Anglade

Les fouilles menées sur le site de Villeneuve-sur-lot au lieu-dit Anglade ont été réalisées par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité de Pierre Dumas-Lattaque, secondé par Émilie Roques et Paul Peignot. Elles interviennent dans le cadre du projet de construction de la maison d’un particulier. Les investigations archéologiques, menées sur 4500 m2, ont permis de mettre au jour une partie d’un camp militaire datant de la période antique.

Le contexte historique

L’existence de ce camp était soupçonnée depuis la découverte, au 17e et 18e s., de stèles funéraires de soldat. Les épitaphes (inscriptions) de ces monuments funéraires honorent ainsi des soldats issus de deux cohortes (corps d’infanterie) : la cohors I Alpinorum, des alpins, et la cohors Prima Classica, navale.

En outre, la fouille de Cantegrel, menée les années 90 au nord de notre emprise, avait également livré des objets militaires. Cependant, une incertitude demeurait sur la nature de l’occupation : camp militaire, simple avant-poste ou zone de fabrication d’armes destinées à l’armée ? Si l’emplacement de la ville antique d’Excisum est connu depuis longtemps, notamment par les vestiges encore visibles du temple de la cité situé en face du centre pénitentiaire, l’emplacement exact du camp militaire n’était pas assuré archéologiquement.

À l’issue de la fouille, et en attendant la confirmation par l’étude de la céramique, le site semble présenter trois grandes phases d’occupation.


Plan du site. Crédit : Éveha, 2023.

Le premier état du camp entre le tournant de notre ère et 30 ap. J.-C.

Les vestiges les plus anciens découverts sur le site d’Anglade sont datés du tout début de notre ère. Ils se concentrent dans la partie sud-est de l’emprise et se présentent sous la forme de trous de poteau, de fosses et de fossés. Aucune organisation cohérente n’a pour l’instant été identifiée notamment parce que les vestiges ont été découverts au cours du décapage mécanique complémentaire. Il pourrait s’agir de la période pendant laquelle le camp se présente sous la forme d’un camp temporaire, qui laisse peu de traces.

Le premier état du camp permanent entre 30 et 60 ap. J.-C.

Autour de 30 ap. J.-C., un camp permanent est construit avec des murs en solin de galets et une élévation en matériaux périssables associés par endroits à des sols en mortier de tuileau. Le camp s’organise autour d’une voie nord-sud (cardo) qui s’interrompt au nord lors de son croisement avec une voie est-ouest (decumanus). De part et d’autre du cardo, des casernements, très normés et symétriques, sont édifiés pour loger les soldats. Trois blocs de casernements ont été identifiés de chaque côté du cardo sur l’emprise de la fouille : un unique au nord le long du decumanus et deux dos à dos au centre de l’îlot séparés par des ruelles. Un bloc est constitué de plusieurs cellules (papilio) pourvues d’une avancée (arma) donnant sur la ruelle. À l’extrémité, côté rue, des pièces plus grandes correspondent au logement du centurion. Chaque cellule est dotée d’une plaque-foyére qui servait à faire la cuisine et à chauffer la pièce.

vue aérienne des casernements sud-estsituée au nord de notre empriseÉveha, 2023.

Un système complexe de caniveaux permet l’évacuation des eaux pluviales et usées vers le caniveau bordier du cardo. Au nord de l’emprise, celui-ci est interrompu par un bâtiment de grande taille, interprété comme le principia, c’est-à-dire le bâtiment de l’état major. La partie observée sur la fouille correspond à la grande cour qui se situe en avant du bâtiment d’habitation. Elle est apparemment entourée d’un portique.

Le cardo et son caniveau bordier en bloc monolithique. Crédit : Éveha, 2023.
Coupe du cardo avec les deux états du caniveau bordier occidental et le mur du portique oriental. Crédit : Éveha, 2023.

Le deuxième état du camp permanent entre 60 et 80 ap. J.-C.

Vers les années 60 ap. J.-C., le camp est reconstruit, peut-être après l’incendie de la partie orientale des casernements. Cette reconstruction est réalisée en maçonnerie. Les murs de soutènement est-ouest des casernements ainsi que ceux du principia sont bâtis entièrement en maçonnerie de calcaire liée au mortier tandis que les murs de refend, qui séparent les cellules, sont construits en maçonnerie de calcaire et mortier mais probablement uniquement sur leur partie inférieure avec une élévation en matériaux périssables. Pour cette phase, les cellules mesurent 6 m de long pour 3 m de large et sont précédées d’une arma d’environ 3 m de long. L’organisation du camp reste la même avec au sud, de part et d’autre de la voie, trois séries de casernements organisées autour de cours et au nord, la cour du principia, toujours entourée d’un portique. Le site semble être abandonné après 80/90 ap. J.-C.. Les maçonneries des bâtiments sont alors largement récupérées, probablement pour être réutilisées dans la ville d’Excisum. À l’exception d’une fosse datée du IIe s. et peut-être une série de plots, le site n’est pas réoccupé.

Des témoins de la vie quotidienne

Le site a livré un grand nombre de fosses (fosses dépotoirs, latrines et puits) mais leur datation n’est pour l’instant pas connue et, en raison de la rareté des relations stratigraphiques, il n‘est pas possible de les rattacher à l’une des grandes phases. Les quatre latrines fouillées, à l’aide de la structure du Pôle Milieu Confiné d’Éveha, montrent une certaine hétérogénéité que ce soit au niveau de l’ouverture (circulaire, ovale ou quadrangulaire) et de leur profondeur (entre 1,50 et 2,50 m de profondeur).

Latrines en cours de fouille. Crédit : Éveha, 2023.
Aménagement en fond de latrines. Crédit : Éveha, 2023.
Latrines quadrangulaire en cours de fouille. Crédit : Éveha, 2023.

Les deux puits fouillés intégralement mesurent environ 8 m de profondeur et présentent des encoches afin de pouvoir descendre et remonter. Plusieurs autres structures profondes ont été testées mais sans atteindre leur fond, ce qui ne permet pas de trancher entre puits et latrines.

Puits en cours de fouille. Crédit : Éveha, 2023.

De nombreuses fosses, interprétées comme des fosses-dépotoirs, ont livré un mobilier céramique et métallique abondant.

Patère en cours de dégagement découverte dans une fosse. Crédit : Éveha, 2023.
Pointe d’arme de jet. Crédit : Éveha, 2023.

Certaines fosses particulières semblent liées au travail du métal, avec la présence de nombreux déchets métalliques notamment en alliages cuivreux. La fouille a livré une grande quantité de mobilier. Il s’agit, pour la majeure partie, de céramiques dont une quantité importante de sigillées et d’amphores, pour certaines importées d’Afrique. Un corpus conséquent de monnaies et d’autres objets en relation avec le domaine militaire et notamment avec la cavalerie (phalère, harnachement, etc.) a également été découvert. Ce mobilier est complété par toute une série d’objets associés à la vie quotidienne de la caserne comme des fragments de vases en verre, des jetons, des perles…

Lampe à huile. Crédit : Éveha, 2023.
Intaille au pégase. Crédit : Éveha, 2023.
Vase en verre. Crédit : Éveha, 2023.

La fouille du camp d’Excisum apporte de nombreux éléments inédits. En effet, seulement trois camps militaires sont connus pour le Sud-Ouest de la France (Aulnay-de-Saintonge, Saint-Bertrand-de-Comminges et Villeneuve-sur-Lot) et Anglade est le seul à avoir été fouillé dans le cadre de l’archéologie préventive. L’emprise de la fouille (plus de 4500 m2) a ainsi permis de valider nombre d’hypothèses sur ce camp, à commencer par son emplacement. Par ailleurs, il s’agit du premier camp maçonné fouillé en France en plus d’être un des plus anciens exemples connus. Son étude a permis également d’observer son évolution dans le temps avec d’ores-et-déjà trois phases identifiées. Les études du mobilier ainsi que des données récoltées se poursuivent actuellement et permettront d’affiner nos connaissances de ce site et de son occupation.