CHARTRES (28) – 15 rue Victor Gilbert

Les fouilles menées au 15 rue Victor Gilbert à Chartres (Eure-et-Loir) par le bureau d’études Éveha, sous la responsabilité de Mélanie Jouet ont été réalisées en amont du projet de construction d’un immeuble d’habitation par la société SCCV Clos Courtille. Ce projet a été opéré sur une parcelle de 1 609 m², localisée à la jonction topographique entre la ville haute et la ville basse. Bien que la ville de Chartres a donné lieu à de très nombreuses observations archéologiques (près de 400 sites), ces recherches offrent l’opportunité d’ouvrir une fenêtre d’observation sur un quartier d’habitat antique permettant de documenter plus largement l’organisation et l’évolution du tissu urbain de cette période.

À la sortie de terrain, l’inventaire fait état de 253 faits archéologiques attribuables au Haut-Empire, concentrés sur les deux tiers est du site (Fig. 1). La partie occidentale ayant fait l’objet d’un dérasement récent pour l’aménagement d’un parking, aucun autre vestige archéologique n’y a été découvert.

Fig. 1 : Plan masse des vestiges à l’issue de la phase terrain. Crédit : Éveha 2023

Des traces d’exploitation

Le site faisant l’objet de la prescription de fouille se situe au sud de la ville antique, à l’intérieur du fossé limitant l’espace civique (celui-ci se trouvant à près de 200 m au sud). Localisé dans la pente de la vallée de l’Eure, il s’établit sur un coteau abrupt vers l’ouest et en pente douce vers le sud.

Avant ou simultanément à l’aménagement du quartier antique, une première occupation semble avoir existé sur ce coteau, caractérisée par une exploitation du limon et du calcaire. Cette activité, matérialisée par des fosses, des galeries et probablement des puits d’extraction est vraisemblablement antérieure à la mise en place d’un niveau de circulation antique.

Un quartier d’habitat d’Autricum daté du Haut-Empire

La topographie du site n’a visiblement pas contraint la phase de structuration urbaine de la ville qui bat son plein au cours du Haut-Empire, notamment aux Ier et IIe s. ap. J.-C. De direction ouest-est, un niveau de circulation, large de près de 4 m, est mis en place dans la partie nord du site en direction de la vallée. Il correspond à l’une des voies découvertes en 2011 au 32 boulevard de la Courtille (fouille préventive de L. Coulon, Chartres Métropole). Cet axe de circulation constitué de cailloutis est aménagé de fossés bordiers mal conservés et au faciès hydromorphe.

La partie médiane de la parcelle (partie haute et plane du site) comprend un îlot de constructions creusées et maçonnées, structuré selon la trame du réseau viaire. Au total, dix ensembles ont été documentés, correspondant à deux pièces et huit caves, formant au moins quatre unités d’habitation (Fig. 2). Aucune mitoyenneté n’a été perçue à ce stade des recherches. De plus, la fouille de ces éléments bâtis a permis de déterminer au moins deux états d’occupation distincts et visibles par une différence d’orientation des vestiges. Ces constructions relativement bien soignées dans l’ensemble ont une superficie variant entre 7 et 30 m². Si elles présentent différents modes de construction et l’emploi de plusieurs mortiers, une recherche esthétique est pressentie à travers la combinaison de matériaux de construction (blocs de silex et calcaires, fragments de tegulae, torchis et bois). Elles sont également dotées d’aménagements : escaliers, recharges de sols en terre battue et en béton, bloc de support d’une pièce de bois, trous de piquet, puisard, cloisons, etc. Deux d’entre elles présentent des maçonneries dont le parement interne est enduit à l’aide d’un mortier hydraulique (mortier de tuileau), lui-même décoré d’un badigeon rouge (Fig. 3). Au contact avec le sol, les murs sont dotés d’un bourrelet d’étanchéité construit de la même manière, traduisant probablement des préoccupations liées à l’humidité. Dans leur phase d’abandon, certaines structures sont comblées d’éléments de construction (fragments de terres cuites architecturales, torchis, bois) marqués par un épisode d’incendie survenu entre la moitié du Ier s. et le début du IIe s. ap. J.-C.

Fig. 2 : Vue des pièces et caves maçonnées après la fouille. Crédit : Éveha 2023
Fig. 3 : Cave maçonnée antique. Crédit : Éveha 2023

Ce bâti domine de peu la partie orientale du site, occupée par des structures en creux, associées aux unités d’habitation. Ici encore, aucune limite de propriété parcellaire n’a été détectée, à l’exception d’un muret dont peu d’éléments ont été conservés. Ce constat peut probablement résulter des travaux d’arasement modernes ou de la présence de perturbations récentes (longrines notamment). Dans au moins deux cas, l’accès aux caves s’effectue depuis le fond de la parcelle, au moyen d’escaliers. D’une manière générale, l’arrière des bâtiments comprend au plus proche, des fosses de type cellier ou des petites caves dont la superficie varie entre 1 et 4 m², diverses fosses détritiques, des puits et une douzaine de fosses dont les caractéristiques évoquent celles des latrines. Il s’agit de structures simples, de plans circulaires et quadrangulaires, présentant pour certaines des traces de parois verticales (Fig. 4). Les comblements phosphatés sont pratiquement tous similaires et la partie supérieure de la fosse comprend le rejet de remblais massifs de terre naturelle, indices de l’assainissement et de la condamnation de la structure (Fig. 5). Leur nombre non négligeable ainsi que leurs caractéristiques donnent des informations sur leur gestion, et plus largement, sur le comportement des habitants face au traitement de leurs déchets dans ce quartier antique.

Fig. 4 : Vue en coupe d’une fosse d’aisance (latrine). Crédit : Éveha 2023
Fig. 5 : Vue en coupe partielle d’une fosse d’aisance (latrine). Crédit : Éveha 2023

La présence marquée de pesons dans l’une des parcelles constitue un indice indéniable d’artisanat à proximité de la voie. Enfin, il semble que le site soit progressivement abandonné au cours du IIIe s. ap. J.-C. Les bâtiments sont alors détruits puis comblés et les murs récupérés par endroits.

Les occupations suivantes

Le Bas-Empire et l’Antiquité tardive n’ont pour l’instant pas été caractérisés sur le site. Ce manque résulte peut-être des travaux d’arasement ou de décaissement réalisés à partir de l’Époque moderne jusqu’à l’Époque industrielle (fin du XVIIIe s.). D’après les textes, cette partie sud de la ville localisée hors de la ville médiévale était destinée à des espaces cultivés (mélange de mobiliers antique, médiévale et moderne), notamment liés à l’exploitation viticole par l’abbaye de Saint-Père-en-Vallée.

À l’Époque moderne, le site semble être lié à une exploitation agricole puis massivement remblayée à l’Époque industrielle dans le cadre du réaménagement du boulevard de la Courtille, avec la construction de nouveaux bâtiments en front de rue.

Les études du mobilier et des données récoltées se poursuivent actuellement en laboratoire. Elles permettront d’affiner nos connaissances et de répondre aux problématiques laissées par ce quartier urbain au cours du temps.