DENEUVRE (54) – Rue des trois Fontaines

Le projet de constructions d’une maison individuelle et de son garage rue des Trois Fontaines à Deneuvre (54) a entrainé une prescription de fouille archéologique par le SRA Grand Est sur une surface de 3 300 m² menée par Éveha entre juin et octobre 2023 sous la direction de Gaël Cartron. À l’époque antique, le territoire de Deneuvre abritait une agglomération étendue sur plus de 30 hectares et associée à la cité des Leuques. Il s’agissait d’un carrefour routier manifestement important et d’un point de passage sur la Meurthe. Les investigations archéologiques ont permis de révéler des vestiges datés du 1er au IVe siècle de notre ère et qui témoignent de la richesse des occupations qui s’y sont succédées.

Étude d’un ancien vallon

La fouille a notamment permis d’étudier un ancien vallon. Ce dernier traversait le terrain sur 70 m de long et approximativement 20 m de large. Il recevait les eaux des multiples sources présentes dans cette zone et aboutissait vraisemblablement dans le ruisseau aujourd’hui appelé La Pexure et situé à environ 30 m en contrebas de l’éperon rocheux sur lequel se développe la plus grande partie de l’agglo antique. Afin de déterminer au mieux ses phases de fonctionnement et de remplissage, deux tranchées ont été réalisées à la pelle mécanique jusqu’au fond de cette dépression naturelle. Au niveau du premier sondage, la fouille de ce vallon, comblé volontairement dès le Haut-Empire, a permis de mettre au jour plusieurs éléments en bois non travaillés mais aussi des pieux appointés massifs retrouvés en place, au sein de niveaux de remblais. Divers éléments lapidaires en position secondaire ont également été mis au jour dans les niveaux supérieurs : fragments de jambes d’une petite statue en ronde-bosse, cuve de plan carré, fragment d’une possible niche, autel taillé, etc.

Le second sondage a permis quant à lui, de mettre en évidence un enrochement au niveau des berges. Chacun de ces aménagements était maintenu en place par une traverse en bois, disposée parallèlement à la rive. L’intégralité du remplissage est d’origine anthropique. La partie supérieure du comblement a livré quelques tessons de céramique datés du Haut-Empire ainsi que des éléments de faune et des restes organiques imbibées, dont certains éléments en bois ayant pu appartenir à un modeste ouvrage de franchissement.

Un secteur artisanal doté de structures de combustion ?

Bien qu’une origine du second âge du Fer (La Tène) soit actuellement envisagée pour l’agglomération, aucun vestige antérieur à l’Antiquité n’a été mis au jour sur le site. Plusieurs occupations se succèdent sur l’emprise de fouille entre le Ier et le IVe siècle de notre ère, mais les états les plus anciens paraissent à l’heure actuelle, difficiles à caractériser. Une vocation artisanale est toutefois envisagée dans la partie sud-est de la parcelle, à travers la découverte de quelques structures de combustion. La plupart, de plan quadrangulaire, présentait un lit de galets tapissant le fond de leur creusement. Un second exemplaire oblong parfois nommé « fosse en cigare » ou encore « tranchée-foyer » a également été dégagé. Ce type de structure peut être interprété comme un foyer de forge semi-excavé, accueillant possiblement une activité de cémentation de bandages de roues, ou comme une structure permettant la transformation de denrées alimentaires par le processus du séchage, du maltage ou encore du fumage. Plusieurs bâtiments sur poteaux ont également été perçus au sein des horizons les plus anciens, mais les plans restent pour l’heure difficiles à distinguer.

Un ouvrage hydraulique majeur, témoin de la monumentalisation du secteur

Au cours des IIIe et IVe siècles de notre ère, le site connaît une phase de monumentalisation. En effet, suite à l’insalubrité produite par une circulation d’eau manifestement chaotique, un vaste canal a été aménagé en direction du cours d’eau présent à proximité. Appréhendé sur toute la longueur de l’emprise, ce canal de construction mixte était aménagé « en dur » aux abords des constructions, tandis que les autres sections, considérées comme secondaires, étaient élaborées avec des pièces de bois. Au centre de la parcelle, sur une longueur de 14 m environ, le canal prenait la forme de longs madriers maintenus en place par des pieux, ménageant un passage pour l’eau, large de 0,75 m en moyenne. Sur les portions qui nécessitaient la mise en œuvre de techniques hydrauliques plus complexes, les parois étaient formées de grandes dalles placées de chant, séparées par un espace oscillant généralement entre 0,90 m et 1 m (fig.1). Au nord de l’emprise, l’eau circulait sur de lourdes dalles jointives, placées en position horizontale. Près de la berme nord-ouest, cette installation hydraulique traversait un bâtiment en pierres, dont le plan nous échappe en partie. À cet endroit, les bords du canal ne sont plus constitués de grandes dalles mais de piles tripartites, réparties à intervalles irréguliers et dotées chacune d’une encoche verticale à ses extrémités, de manière à pouvoir y encastrer de longues planches de bois. D’après les nombreuses monnaies trouvées dans son comblement supérieur, la conduite semble avoir été définitivement abandonnée durant le IVe siècle.


Fig. 1 : Vue en plan du canal traversant le vallon ancien. Crédit : Éveha 2023

Un vaste édifice maçonné

Un bâtiment contemporain du canal a été découvert dans l’angle sud de l’emprise. Se développant sur une superficie de 480m², il était composé d’au moins deux espaces et était fermé au nord-ouest par deux ensembles de maçonneries parallèles. Chaque paire de mur ménageait un couloir large d’environ 1 m se développant vers le nord-est, en direction du vallon. Un drain en pierres était aménagé sous chaque couloir, de manière à évacuer les eaux de ruissèlement vers le canal. L’épaisseur des fondations des deux murs augmentait à l’approche du vallon, pour atteindre près de 1,50 m de haut. Ces fondations présentaient un appareil en épi et reposaient sur de lourdes semelles. L’espace interne de ce bâtiment abritait une petite construction quadrangulaire mettant en œuvre plusieurs blocs sculptés en réemploi, dont un chapiteau de colonne. Une cuve rectangulaire monolithique (1,50 m X 0,80m), percée à sa base et dont la nature demeure incertaine, était accolée à sa face sud-est.

Une série de caves

Une première cave maçonnée a été mise au jour : de plan bipartite, elle présentait un premier module rectangulaire de 3,60 m par 1,40 m et un second, carré de 3,90 m de côté. La première pièce était composée d’un plancher en bois et la seconde, d’un sol confectionné à l’aide de petites pierres placées de chant. La salle la plus grande était dotée en son centre d’une pile avec mortaise, sur laquelle se dressait autrefois un montant destiné à soutenir le plancher d’un niveau supérieur. Si la salubrité de cette cave n’était garantie par aucun dispositif hydraulique, force est de constater qu’une canalisation en bois monoxyle de section rectangulaire avait été installée dans le remplissage de cette cave. Protégée par un coffrage en pierres, celle-ci acheminait de nouveau l’eau vers le canal monumental.

Une autre salle souterraine, mise au jour dans le second espace du bâtiment, possédait la particularité d’être aménagée sur un vide sanitaire. Le plancher, dont quelques éléments nous sont parvenus, reposait sur six billes de bois. La pièce mesurait environ 2,5 m de long sur 2 m de large et était accessible grâce à un escalier créé sur le côté sud-ouest. Cet ouvrage en bois, de 1,75 m de long et 1,10 m de large, comportait encore huit marches monoxyles calées par des pieux. Plusieurs éléments en remploi avaient été placés sous ces marches afin d’en assurer la stabilité, dont un fragment de meule ainsi qu’une roue pleine en bois.

Un vaste espace probablement à ciel ouvert, était installé à proximité. Les quatre côtés étaient matérialisés par des séries de dés en pierre irrégulièrement répartis. Cet espace, qui n’a fourni que peu de structures, possédait un plan régulier de 22 m de long pour 10 m de large. Une autre cave maçonnée, accessible par une rampe a été mise au jour immédiatement au sud-ouest de ce secteur. Les murs, conservés sur près de 2 m de haut, étaient agrémentés de deux niches et d’un soupirail. La cave offrait une surface utile de 11 m² environ. Le comblement a notamment fourni des fragments de bases de piliers en pierre ainsi qu’une probable enclume en fer. Un drain double avait par ailleurs été aménagé à la base de cette cave. En forme de Y, il permettait d’évacuer l’excédant d’eau vers l’extérieur qui circulait ensuite sur le banc rocheux, au sein d’un drain de conception assez frustre.

Un second espace du même type était présent à 3,50 m en direction du nord-ouest. Trois de ses côtés apparaissaient sous la forme d’une série de dés en pierre, tandis que sa limite sud-ouest était composée d’un solin en pierre. Cet espace, long de 20 m et large de 11,50 m, a révélé six foyers de conception assez simple et faiblement ancrés au sol. Certains d’entre eux possédaient une sole en tegulae remployée. L’angle nord de cet espace était occupé par une cave composée d’un escalier de sept marches qui débouchait sur un palier, lequel ouvrait sur une salle carrée avoisinant les 16 m². À l’instar de la première cave, une pile dotée d’une mortaise témoigne de la présence d’un montant soutenant jadis le plafond de cet espace. Trois états ont été identifiés au sein de cette unité architecturale. Le premier concerne le niveau de circulation d’origine, formé de petits cailloux pris dans une matrice sombre et qui était associé à un drain en pierre se développant le long de deux murs. Le deuxième était reconnaissable à la teinte gris clair de son niveau de préparation, sur lequel avait été appliqué un plancher en bois. Enfin, le dernier état (après rehaussement du niveau général) concernait un nouveau plancher qui fût confectionné, avec l’ajout d’un nouveau drain. La particularité de cette cave réside dans la présence de piles massives en grès sur deux côtés, prises dans la maçonnerie.

Une structure énigmatique : une plate-forme au sommet du vallon

Parmi les structures dont la destination reste à déterminer, on mentionnera la plate-forme en pierres appréhendée entre le canal et la berme nord-est de l’emprise, dont l’architecture et le plan paraissent singuliers. Celle-ci est en effet composée d’une quinzaine de dalles de grand module posées à plat, directement sur le remplissage sommital du vallon. Le plan dessine un U ouvert vers le canal, les branches latérales ayant conservé un espace vide de 2,75 m par 1,25 m. Cette plate-forme était contemporaine de la conduite monumentale . En effet, cette dernière était composée à proximité de quatre dalles de chant, au sommet desquelles plusieurs rainures étaient réservées dans la pierre. Ces logements devaient réceptionner les pièces de bois qui servaient autrefois à franchir cet obstacle permettant ainsi d’atteindre la plate-forme. Aucun vestige significatif n’a été appréhendé sous cette dernière. On remarquera néanmoins la présence d’un nombre relativement important de monnaies du Bas-Empire en périphérie immédiate de ce probable soubassement.

Une zone funéraire le long d’un possible axe antique

La présence d’une aire sépulcrale en périphérie immédiate de la fouille, qui s’étendait probablement le long d’un ancien axe de circulation recouvert aujourd’hui par l’actuelle rue des Trois Fontaines, est attestée par la découverte en position secondaire de deux éléments lapidaires au sommet du vallon. La présence sur chacun d’eux des lettres D.M., abréviation pour Dis Manibus (« Aux dieux Mânes »), permet en effet de les relier avec certitude à la sphère funéraire. L’un d’eux, mis au jour au-dessus de la paroi du canal monumental, est une stèle quadrangulaire sculptée sur trois faces. Quatre personnages en pied apparaissent de face : deux sur la partie principale (un individu masculin – Hercule ? – et un autre féminin), et un sur chacun des petits côtés (un personnage féminin dans chaque cas, dont l’un tient dans la main droite un récipient et dans l’autre un miroir sur lequel est gravé un visage) (fig. 2). L’épitaphe conservée sur la face principale, recouvrant entièrement le linteau d’un fronton triangulaire, mentionne le nom d’un pérégrin, Bellicus, fils de Surburo. Le second élément de lapidaire est un tronçon de colonne dont le diamètre est légèrement inférieur à 0,50 m, muni d’une mortaise sur une de ses faces. Trois lignes avaient été tracées pour recevoir le nom du défunt ainsi que sa filiation.

Fig. 2 : Vue de la stèle découverte sur le comblement sommital du canal. Crédit : Éveha 2023

Un mobilier archéologique abondant

Près de 260 monnaies ont été collectées sur le site, dont un très grand nombre près de l’angle nord du terrain, sur environ 5 m². Cette découverte, conjuguée à celle – dans ce même secteur – d’une rouelle, de quelques fibules et clochettes de petite taille, le tout en alliage cuivreux, pourraient suggérer la présence d’un édifice cultuel à proximité. Malgré tout, aucun aménagement dégagé au cours de cette opération n’a pu être associé de manière indubitable à ce type d’occupation. On remarquera par ailleurs la très forte proportion d’artéfacts en plomb recueillis par notre équipe, certains pouvant être interprétés comme des produits finis (poids, pesons et lests de filet principalement), quand d’autres seraient plutôt à considérer comme des déchets (bien souvent de fines tôles découpées et/ou repliées).

Enfin, une des particularités du terrain étudié est la très bonne conservation des matériaux organiques de l’époque romaine. Outre quelques fragments de cuir – dont plusieurs semelles – ainsi que de rares objets quasi-complets (outil en fer muni de son manche ou épingle également en bois par exemple), ce sont pas moins de 300 bois travaillés qui ont été prélevés dans ce milieu humide, la plupart dans le comblement du vallon. Qu’il s’agisse de canalisations, de planchers, de planche, de pieux, de rondins ou de madriers, ceux-ci fourniront de précieuses informations concernant leurs formes, leurs dimensions, leurs traces de façonnage et d’usage mais aussi sur les systèmes d’assemblage permettant une analyse technologique. Concernant les conduites d’eau, outre la canalisation de section rectangulaire déjà mentionnée, une seconde de section circulaire d’une douzaine de centimètres de diamètre, forée dans des pièces en bois a été découverte. La mise à niveau se faisait via l’application sous ces longues pièces, à leur intersection, de petites cales également en bois. L’eau aboutissait dans un bassin de plan rectangulaire (1,30 m x 1 m) cuvelé. À cela vient s’ajouter la présence d’une palée sur la rive sud-ouest du vallon. Cette digue observée sur une longueur de 5,50 m était constituée de planches superposées, maintenues en place par des pieux (fig. 3).

Fig. 3 : Vue de la palée aménagée près du canal. Crédit : Éveha 2023

Les études se poursuivent donc désormais en laboratoire où l’analyse des données de terrain comme des prélèvements et mobiliers permettront d’affiner notre compréhension de ce secteur de l’agglomération antique.