Dans le cadre du projet de construction d’un logement collectif par la société Sully Immobilier à l’angle des rues du Trye et des Missionnaires à Saint-Romain-en-Gal (69), une opération d’archéologie préventive a été menée entre mai 2023 et janvier 2024 sous la responsabilité de Laudine Robin (Éveha). Le projet s’implante en limite des communes de Saint-Romain-en-Gal et de Sainte-Colombe, dans un secteur correspondant à un quartier de la Vienne antique, situé en rive droite du Rhône. La majorité des édifices publics (enceinte, forum, temple, cirque) se trouvant sur la rive gauche, les quartiers de la rive droite sont généralement considérés comme des zones principalement résidentielles aménagées lors de l’extension progressive de la ville. La fouille a ainsi confirmé la dense urbanisation de ce secteur durant l’Antiquité (1e-3e s. ap. J.-C.), et, permis de documenterune occupation inédite du bas Moyen Age (14e-16e s.).
Les occupations de l’Antiquité
Un secteur d’artisanat ou d’habitat ?
La période antique apparaît comme l’occupation a plus densément représentée (fig. 1). Au milieu du 1er s. ap. J.-C., un important remblaiement et assainissement du secteur a été appréhendé. Ce rehaussement, composé d’une multitude de niveaux très diversifiés, a été réalisé probablement dans un secteur sujet aux crues et aux inondations du Rhône. Cet aspect s’avère particulièrement important pour notre connaissance géomorphologique du secteur, considéré depuis toujours comme une zone non contrainte par les inondations du fleuve. La première implantation du site antique qui lui fait suite a été très fortement perturbée par les occupations postérieures. Il a été possible d’appréhender une succession de pièces situées le long de la rue du Trye, présentant des niveaux de sols de terre battue brûlés (fig. 2). Plusieurs foyers constitués de briques et de tuiles posées à plat sont visibles à l’intérieur de ces pièces. Des épandages de céramiques écrasées ont été fouillées à proximité de ces foyers. Par ailleurs, des pièces de bois brûlées révèlent la présence de toitures, d’étagères ou de portes effondrées sur place. Cet état a donc subi un incendie.
La fonction de ces pièces doit encore être déterminée : boutiques ? ateliers ? À l’heure actuelle, aucun déchet de fabrication artisanale n’a été reconnu.
À l’arrière de cette succession de pièces situées le long de la berme orientale, une pièce est caractérisée par un sol en opus signimum : un terrazzo agrémenté d’incrustations de schiste noir d’Autun ainsi que des murs portant un enduit peint d’une qualité remarquable, avec une plinthe rouge surmontée par une trame noire décorée de chevrons et de motifs géométriques (fig. 3). Cette pièce pourrait être liée à la corporation des artisans travaillant au devant de la rue ou appartenir à des pièces d’habitat situées en général derrière les boutiques, les ateliers ou à l’étage. Les zones localisées au sud et à l’ouest de la parcelle ont livré peu de vestiges de cet état. Seuls des tronçons de murs et des sols épars peuvent stratigraphiquement lui être liés.
L’aménagement de jardins d’agréments
L’occupation postérieure, que l’on situe probablement autour de l’époque flavienne (69 à 96 ap. J.-C.), se distingue clairement. La vocation du secteur est bouleversée avec l’installation de jardins d’agréments constitués, entre autres, d’un bassin à exèdre (fig. 4), d’un escalier monumental, d’un grand espace de circulation et d’une fontaine. Le plan est incomplet à l’heure actuelle mais plusieurs murets pourraient révéler la présence de petites parcelles de jardins aux alentours.
Une voie au coeur de l’îlot
Par la suite, un îlot complet a été dégagé au croisement de la voie de Narbonnaise, un axe privilégié situé sous les rues actuelles des Petits jardins et du Trye, et d’une voie secondaire transversale, dont l’emplacement correspond à celui de la rue des Missionnaires. Cet espace de circulation d’axe est-ouest, de 5 m de large, est constitué de dalles de granite de très grandes dimensions sur lesquelles des ornières sont encore visibles (fig. 5). Cette rue était bordée sur son côté sud d’un trottoir avec un portique reconnaissable grâce à ses bases de piliers ou de colonnes encore conservées. Côté nord, la voie donnait directement sur le mur de façade de l’îlot. Sous le revêtement de dalles de la voie se trouve un cailloutis faisant office de couche d’installation à la chaussée. Ce cailloutis recouvre, par ailleurs, un important égout collecteur servant à évacuer les rejets domestiques et/ou artisanaux des îlots contigus.
Un possible entrepôt
À l’intersection des deux espaces de circulation se trouve donc un îlot urbain comprenant un grand bâtiment d’au moins 50 m de long et 35 m de large. Puissamment fondé, il se caractérise par des maçonneries conservées par endroits sur près de 2 m de hauteur. Le bâtiment se compose d’un espace central, probablement à ciel ouvert et doté d’un grand bassin rectangulaire. Ce dernier, mesurant 6 m de longueur et 3 m de largeur, est recouvert, à l’intérieur, d’un mortier de tuileau garantissant l’étanchéité de la structure. Ce bassin était relié à une canalisation encore entièrement conservée, constituée de deux pieds-droits maçonnés, munie d’un fond de briques en terre cuite et d’une couverte de dalles de gneiss. La cour dessert une batterie de pièces latérales à l’est et probablement deux allées à l’ouest.
La construction du bâtiment semble intervenir dans le courant de la première moitié du 2e s. ap. J.-C. Cet édifice forme le dernier état monumental antique de l’îlot. À de rares exceptions près, les niveaux d’occupation en lien avec ce bâtiment n’ont pas été conservés. À ce stade, celui-ci est interprété comme un entrepôt, d’après son plan caractéristique et les comparaisons régionales, mais une fonction de marché n’est pas encore écartée. Quoiqu’il en soit, on reconnaît des attributs typiques se trouvant notamment dans ses cellules en enfilade situées de part et d’autre d’un bassin, mais aussi dans les bases quadrangulaires de piles situées au milieu et aux extrémités des murs transversaux. Les rares sols encore conservés sont réalisés en terre battue et n’apparaissent pas construits comme les sols d’habitations (mosaïques, terrazzo, opus sectile …). On comptabilise aussi une très grande quantité d’amphores fragmentées et parfois exceptionnellement conservées. Malgré leur fragmentation, les restes de ces grands conteneurs livrent des données remarquables. Ils étaient destinés à recueillir et à stocker du vin, de l’huile, mais aussi du garum, sauce de poissons et condiment dont les Romains étaient friands. Cet emploi est attesté sur le site avec plusieurs amphores contenant encore des arêtes de poissons, résidus de la fabrication de ces sauces.
Une réoccupation médiévale
Après un hiatus de plusieurs siècles, une occupation datée des 13e-14e s. a été reconnue sur le site. On identifie de nombreux murs dont le type de maçonnerie se distingue très facilement des constructions antiques, avec des fondations constituées de blocs liés à de la terre. Les espaces constitués par les maçonneries apparaissent de taille réduite et pourraient conforter l’hypothèse de bâtiments domestiques. Cette proposition est renforcée par la présence d’une cave bien conservée de plus de 2,15 m de profondeur. Des remplois d’amphore sont, par ailleurs, attestés sur deux des parements (fig. 6). Il est aussi possible qu’un niveau de sol corresponde en réalité à l’installation d’un escalier.
Même si l’emprise est actuellement localisée sur la commune de Saint-Romain-en-Gal, le secteur était en réalité tourné vers Sainte-Colombe dès le Moyen Âge. Sa proximité évidente avec le bourg fortifié et les établissements religieux alentours tend à gommer la limite administrative représentée par la rue des Missionnaires, qui sépare les deux villes. Le bourg de Sainte-Colombe se développera au tournant du 13e siècle avec l’arrivée des ordres mendiants aux abords de la ville. Cependant, ses limites, figées par les fortifications érigées par Philippe VI, ne s’étendront pas et la dominante rurale du paysage extra muros restera fossilisée jusqu’au milieu du 19e siècle. Ces découvertes viennent donc argumenter l’occupation domestique et/ou agro-pastorale du secteur et enrichissent considérablement nos connaissances sur l’extension de la ville.