Illies et Salomé (59) – Les Auvillers

Les fouilles menées sur les communes d’Illies et Salomé (59) au lieu-dit « Les Auvillers » ont été réalisées par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité d’Antoine Darchambeau et de Rémi Blondeau. Elles interviennent dans le cadre du projet d’aménagement d’un parc d’activité logistique à l’instigation de la Métropole Européenne de Lille (MEL) et de PRD. Sur les 38 ha diagnostiqués en 2019 par l’Inrap (Caroline Deflorenne/Yvan Praud), deux emprises respectivement de 3 et 3,8 ha ont été étudiées simultanément par notre équipe durant une phase terrain étendue sur 4,5 mois .

Figure 1 – Vue générale des secteurs 1 et 2 depuis l’est – Illies et Salomé (59) – Auteur : Thomas Wiart – Flyingmovie.JPG

Secteur 1

Le premier secteur situé sur une friche s’étendant sur 30 000 m² au lieu dit « Les Auvillers » sur la commune d’Illies (59) a révélé des petites occupations rurales datées du premier Âge du Fer à la période gallo-romaine (fig. 2).

Figure 2 – Plan général du secteur 1 – C. Chouette, A. Darchambeau (Eveha)

Une série de 13 petits bâtiments sur poteaux ont pu être identifiés sur l’ensemble du secteur 1. Une concentration de ces structures en matériaux périssables a pu être observée à proximité de l’angle nord-est de l’emprise. Il s’agit de bâtiments quadrangulaires sur 4 à 10 poteaux de tailles variables allant de ( 1,5 x 2 à 6,5 x 6,5 m) et probablement à vocation agricole (fig. 3). Les zones d’habitat associées à ces occupations n’ont pu être observées dans la zone de prescription. Ces dernières doivent probablement se situer hors emprise.

Fig. 3 – Bâtiment sur 4 poteaux – Secteur 1 – J. Lecry (Eveha)

Plusieurs structures fossoyées encloses semblent organiser la zone durant l’Âge du Fer et l’Antiquité. On trouve ainsi plusieurs vestiges d’enclos quadrangulaires (de 50 m à min. 80 m de côté) au sud-ouest et au nord de l’emprise. Le parcellaire antique est quant à lui matérialisé par des fossés rectilignes simples ou doubles, larges de 1 à 4 m dont certains traversent l’ensemble de l’emprise. Ce découpage est complété par une série de clôtures matérialisées par des alignements de trous de poteaux. Le matériel archéozoologique et céramique prélevé (abondant pour la période antique) dans ces fossés permettra de déterminer plus précisément la chronologie et le phasage de ces occupations.

Un grand nombre de structures fossoyées (fosses détritiques, silos, possibles fosses de pourrissement d’argile) protohistoriques et antiques simples ou polylobées de tailles et profils variables ont pu être investiguées sur l’ensemble du site. Au moins une de ces fosses a livré des rejets de four. Des pesons et des fusaïoles ont également été découverts dans ces structures.

Deux aires de travail antiques ont été mis en évidence en bordure d’un fossé de parcellaire romain. Il s’agit de structures encavées polylobées présentant des aménagements (banquettes, trous de poteaux, emmarchement, niveau de sol, etc.). La première de plan triangulaire dont les dimensions sont de 13 sur 9,2 m a révélé une aire de travail (figure. 4) avec un accès par le nord, composé d’une série de marches, donnant accès à plusieurs excavations ovoïdes entourant une fosse profonde au creusement conique en position centrale.

Fig. 4 – Fouille en carroyage d’une aire de travail gallo-romaine – Secteur 1 – J. Lecry (Eveha)

Le comblement de cette structure a par ailleurs livré une passoire en alliage cuivreux complète probablement datée de la période gallo-romaine (fig.5). Certaines fosses périphériques sont reliées par des caniveaux. Le comblement hydromorphe de cet aménagement et l’induration et l’oxydation des fonds et parois nous orientent vers des activités liées au travail nécessitant de l’eau. Il pourrait s’agir d’activité de travail de l’argile ou de fibres végétales. Directement au sud de cette aire, deux fosses cylindriques profondes ont révélé de l’argile travaillée dans leur comblement. Il pourrait s’agir de fosses de pourrissage.

Fig. 5 – Passoire en alliage cuivreux – Secteur 1 – J. Lecry (Eveha)

La seconde aire de travail encavée est de plan quadrangulaire (circ. 15 x 15 m). Elle présente une série de fosses ovoïdes et quadrangulaires à fond plat présentant des niveaux de sol bien conservés. Un puits est aménagé dans l’angle nord-est de la zone d’activité. Il présente un cuvelage supérieur en moellons hérissés en grès couplé (fig.6) et un cuvelage inférieur quadrangulaire en bois (fig.7). Le sol de l’aire d’activité situé autour de la margelle du puits est aménagé d’un niveau de cassons de tegulae, de tessons de céramiques et de fragments de grès, probablement pour assainir le pourtour de la zone de puisage.

Fig. 6 – Cuvelage d’un puits gallo-romain en moellons de grès – Secteur 1 – J. Lecry (Eveha)
Fig. 7 – Cuvelage d’un puits gallo-romain en grès et en bois – Secteur 1 – J. Lecry (Eveha)

Au Nord-Ouest, une grande fosse quadrangulaire (6 x 3,7 m) au comblement charbonneux a par ailleurs révélé un matériel céramique gallo-romain de très bonne facture ainsi qu’une statuette fragmentaire de Vénus anadyomène en terre blanche (fig.8).

Fig. 8 – Statuette de Vénus anadyomène – Secteur 1 – J. Lecry (Eveha)

Associés à ces occupations, 9 puits ont été identifiés sur l’emprise. Simple ou double puits, la plupart de ces structures se caractérisent par un plan circulaire, avec un cône de creusement et un conduit circulaire présentant un comblement grisâtre et l’absence de traces d’aménagements au niveau supérieur. L’investigation de leurs niveaux inférieurs ont parfois pu révéler un cuvelage en matériaux périssables dans le substrat sableux (clayonnages de noisetier et de saule etc). Certains ont livrés des quantités importantes de matériel organique dont des carporestes et des céramiques de bonne facture (fig. 9) qui permettront d’apporter des éléments importants pour la chronologie générale du site.

Fig. 9 – Vue en coupe du comblement d’un puits gallo-romain – Secteur 1 – R. Blondeau (Eveha)

Secteur 2

Le second secteur investigué lors de notre opération s’étend sur une surface totale de 38 000 m² en bordure de la RD141 sur la commune de Salomé (59). La phase de décapage a mis en évidence l’extrême densité des structures archéologiques (fossés, fosses, trous de poteau, etc.) et l’existence vraisemblable de plusieurs phases de petites occupations rurales datées majoritairement de la fin du second Âge du Fer et de la période gallo-romaine (fig.10). En concertation avec le SRA et au vu de la densité du corpus de structures archéologiques, notre intervention s’est concentrée en priorité sur la moitié sud de l’emprise ainsi que plus globalement sur les structures présentant du matériel datant visible en surface.

Fig. 10 – Plan général du secteur 2 – C. Chouette, A. Darchambeau (Eveha)

Un minimum de 13 structures sur poteaux ont pu être identifiées sur l’ensemble de l’emprise. Il s’agit de bâtiments sur 4 à 5 poteaux de plans quadrangulaires de petites tailles (circ. 3-5 x 4-6 m). L’habitat associé à ces occupations n’a pas été identifié sur cette emprise. Une concentration de 4 bâtiments a pu être observée dans une zone située au sud de notre emprise. Directement au nord de celle-ci, notre intervention s’est portée sur l’étude d’un petit enclos fossoyé quadrangulaire (fig.11).

Fig. 11 – Plan de l’enclos quadrangulaire – Secteur 2 – C. Chouette, A. Darchambeau (Eveha)

L’analyse de ce dernier a permis de mettre en évidence deux phases. Une première phase est matérialisée par un premier enclos de 16 x 17 m présentant un accès au sud-ouest associé à plusieurs trous de poteaux. Un second accès au nord-est de l’enclos est associé à un bâtiment de plan carré (circ. 4,3 x 4,3 m) sur 4 larges poteaux (fig.12). Le comblement d’un de ces trous de poteau a par ailleurs livré un dépôt d’abandon constitué d’une céramique gallo-romaine complète (fig.13) Cette première phase semble s’articuler avec un fossé de même facture longeant son flanc oriental et présentant également un accès associé à un trou de poteau ou de piquet. Durant une seconde phase, un fossé supplémentaire épouse le tracé de la première phase de l’enclos et agrandit son emprise (20 x 20 m). Des réaménagements sont opérés au niveau de son articulation avec le fossé périphérique à l’est. À première vue, la fonction hypothétique de ce type d’enclos pourrait être liée à des activités de gestion du bétail.

Fig. 12 – Bâtiment sur 4 poteaux associé à l’enclos quadrangulaire – Secteur 2 – N. Ouraghi (Eveha)
Fig. 13 – Dépôt dans un trou de poteau de bâtiment – Secteur 2 – N. Ouraghi (Eveha)

L’intégration du SIG à notre méthodologie de travail de terrain a permis de mettre en lumière certains éléments du réseau fossoyé qui dessinent plusieurs grands enclos fossoyés au sein d’un plan de masse particulièrement dense. Les éléments avancés ci-dessous doivent évidemment être vérifiés durant notre phase post-fouille mais les résultats préliminaires sont les suivant. Au sud-est de notre emprise, un enclos trapézoïdal de plus de 30 m de large pour plus de 67 m de long a pu être identifié en partie. Dans l’angle nord-ouest de ce dernier, un puits a été mis au jour et fouillé partiellement. Les niveaux supérieurs de son comblement ont révélé un fragment d’applique à protomés de taureau à cornes bouletées (fig. 14). L’investigation partielle de ses niveaux inférieurs a mis au jour les restes d’un cuvelage en bois qui devrait permettre d’apporter des éléments de datation pour la chronologie de cette structure et de l’ensemble de l’enclos auquel il semble être associé.

Fig. 14 – Fragment d’applique à décor de protomé de taureau à cornes bouletées – Secteur 2 – P. Martinez-Merlhe (Eveha)

Au centre-est de notre emprise, les vestiges d’un grand enclos quadrangulaire de 170 m de long pour 72 m de large ont pu être révélés. Dans sa moitié nord, plusieurs fosses détritiques associées à des trous de poteau ont pu être étudiées. Une organisation spatiale interne à cet enclos semble se dessiner par la mise en œuvre de petits fossés palissadés dessinant un enclos quadrangulaire palissadé plus réduit (min 30 x min 13 m) s’étendant vers le nord-est.

Au nord-est de notre emprise, un double enclos aux angles incurvés (150 x 85 m) parcellé par un réseau interne de petits fossés palissadés a été mis en évidence. La nature des structures investiguées dans son emprise semble indiquer l’existence d’un espace funéraire. La zone délimitée par ce double fossé est marquée d’un part par une densité moindre du réseau fossoyé et des fosses détritiques et d’autre part par la présence d’un corpus important de petites fosses ayant livré des restes humains crémés. À partir des premières observations de l’anthropologue sur le terrain, la majorité des structures funéraires identifiées sur notre site se présentent comme des fosses de rejets d’incinération de tradition ménapienne ne livrant que très rarement du matériel datant (fig.15). Quelques restes de bûchers funéraires ont cependant pu être identifiés. L’étude archéoanthropologique en cours devra permettre la mise en lumière d’éléments caractéristiques de cette petite nécropole et de ces individus.

Fig. 15 – Fosse de rejet d’incinération – Secteur 2 – D. Maguin (Eveha)

Sur le secteur 2, l’époque gallo-romaine est marquée par l’installation de plusieurs phases d’un réseau de fossés rectilignes souvent palissadés qui réorganisent et délimitent le parcellaire gallo-romain. Au nord-ouest de l’emprise, l’organisation du réseau fossoyé semble s’articuler en fonction d’un probable axe de circulation matérialisé par deux fossés bordiers parallèles espacés de 9,5 m dont l’espace interne est vierge de toute structure. Une phase plus ancienne du même axe de circulation peut être identifiée à quelques dizaines de mètres au sud-ouest mais selon un plan et une orientation légèrement différents.

La richesse du matériel archéozoologique dont certains individus complets (fig. 16) et céramique issue du comblement du réseau fossoyé gallo-romain ainsi que d’un grand nombre de fosses détritiques devra permettre de caractériser les différentes phases d’occupations gallo-romaines du secteur 2 (fig. 17).

Fig. 16 – Squelette d’équidé en connexion anatomique partielle – Secteur 2 – J. Brisson, J. Hespel (Eveha)
Fig. 17 – Puisard ou fosse détritique gallo-romaine – Secteur 2 – A. Darchambeau, A. Wimlot, A. Rouibi (Eveha)

Une particularité du site des « Auvillers » à Illies et Salomé est la présence sur les deux secteurs d’un réseau de fossés à fonds plats et à parois verticales datés de la période gallo-romaine. Déjà étudié durant la phase diagnostic, ce type d’aménagement remarquable pour la région témoigne d’une attention portée à la volonté de mise en œuvre d’un réseau fossoyé durable sur ces terres. En effet, l’étude des profils transversaux et longitudinaux de ces fossés mettent en évidence des témoins de renforts de parois appareillés en matériaux périssables (fig. 18) . Ceci expliquerait l’absence de traces d’érosion ou d’effondrement de parois (sur des profondeurs atteignant parfois plus de 2 m) et ce malgré la nature particulièrement instable du substrat géologique sablo-limoneux de la zone. Une attention particulière a donc été portée à l’identification et la caractérisation de ce réseau fossoyé durant notre étude afin d’apporter de nouveaux éléments de réponse concernant la fonction de ce type d’aménagement assez particulier pour nos régions à l’époque gallo-romaine.

Fig. 18 – Profil d’un fossé gallo-romain à fond plat et parois verticales – Secteur 2 – L. Florin (Eveha)

Enfin, la situation géographique du site, particulièrement proche de la ligne de front de la Grande Guerre, a sans surprise donné lieu à une occupation contemporaine particulièrement dense et ce en particulier sur le secteur 2. Ainsi les niveaux d’arasement de deux casemates à canon allemands connus des sources ainsi qu’un réseau de tranchées allemandes ont été mis au jour dans l’angle nord-est de l’emprise à proximité d’une casemate encore en élévation située en bordure de la RD141. Autre témoin de ce conflit, la très importante pollution pyrotechnique de la zone (150 impacts d’engins sur le secteur 2) a nécessité de multiples interventions des services de déminages. En concertation avec le SRA, l’ensemble de ces éléments ont motivé la décision de réduire une partie de l’emprise prescrite initialement pour le secteur 2 ainsi que la proscription de toute investigation des grands fossés parcellaires modernes après la découverte quasi systématique d’engins d’engins dangereux (obus non tirés, bombe aérienne, probable dépôt de munitions) dans leurs comblements (fig. 19).

Fig. 19 – Bombe aérienne anglaise de type « Cooper » – Secteur 2 – N. Ouraghi (Eveha)