FEURS (42) – 5 rue Michelet

Les archéologues du bureau d’études Éveha, sous la responsabilité de Hervé Delhoofs, ont mis au jour des vestiges gaulois et romains dans les quartiers sud du forum de la cité antique de Feurs, capitale des Ségusiaves (Forum Segusiavorum).

La fouille, menée entre septembre et décembre 2020 sur le chantier d’un promoteur immobilier privé, s’étend sur une surface totale de 1500 m² : il s’agit d’une des plus importantes fenêtres de fouille réalisées à ce jour dans l’agglomération de Feurs. Elle se situe à l’angle d’un carrefour de la ville antique, entre le cardo III (voie d’axe nord-sud) et le decumanus D (voie d’axe est-ouest). Le cardo situé à l’ouest de la fouille pourrait d’ailleurs correspondre à l’une des voies majeures de la cité puisqu’elle permettait d’accéder directement au forum situé à 350 m plus au nord.

Plan schématique du site de Feurs (42) – 5 rue Michelet. Crédit : Éveha, 2020.

La période gauloise (milieu du 2e siècle – fin du 1er s. avant notre ère)

Une partie d’une nécropole gauloise occupe le tiers occidental de la fouille comme l’atteste la présence d’au moins douze sépultures réunies sur une emprise réduite de 200 m². Elles prennent place sous un épais remblai de chantier romain daté de la première moitié du 1er s. ap. J.-C.. La densité est moins importante que la nécropole de la rue Saint-Antoine découverte en 1984 dans la parcelle attenante. Nous ignorons pour l’instant s’il s’agit d’un ensemble funéraire distinct, à la manière d’un groupement familial, ou du prolongement de la dite nécropole. Ces tombes contiennent un lot de mobilier restreint, aucun vase complet n’a été découvert. Seuls des militaria (équipement militaire) dont un fragment d’épée dans son fourreau, un fer et un talon de lance, de nombreuses fibules et d’autres objets encore non identifiés (umbo de bouclier, jambières ?) permettent de renseigner le statut des défunts. Le mobilier militaire a été systématiquement mutilé, ce qui reste un bon marqueur pour attribuer les sépultures à la période gauloise, en attendant l’étude de la céramique et les datations au radiocarbone.

La suite de l’occupation de la protohistoire semble circonscrite dans la partie orientale de la zone de fouille. Au moins deux fossés parallèles ont pu être observés immédiatement sous la voie romaine. Ils sont interprétés comme les fossés bordiers d’un chemin rural contre lesquels s’installent de rares structures identifiées comme des fosses détritiques dont la vocation première pourrait être le stockage de denrées agricoles (silos).

La période romaine (1er s. – 4e s. de notre ère)

Il semble que le rôle funéraire ne perdure pas à la période romaine malgré la découverte de fosses livrant de riches dépôts d’offrandes sans pour autant que des ossuaires aient été identifiés.

Une petite portion de voie romaine d’axe nord-sud (Voie E) est reconnue dans la partie orientale de la fouille. Le niveau de circulation, bordé à l’ouest par des caniveaux, occupe une emprise large de cinq à sept mètres. Les dernières recharges sont perturbées par des foyers dédiés à une activité de séchage des céréales intervenue peut-être au cours des 3e s. – 4e s de notre ère.

Le reste du site se caractérise par les vestiges de murs qui témoignent de bâtiments dont la structuration et la fonction restent encore à préciser. Une grande majorité de ces fondations a été épierrée, laissant pour seuls vestiges des tranchées linéaires dites de récupération. Quelques lambeaux de mortier matérialisent encore l’emplacement de niveaux de sols.

Le bâtiment le plus important (bâtiment A) semble circonscrit à l’ensemble de la zone à l’ouest de la voie romaine, sur environ 500 m². L’organisation des niveaux de sol et des murs récupérés permet de proposer l’hypothèse d’une domus (habitation urbaine) perturbée par de nombreuses fosses datées du 3e s. de notre ère pour les plus anciennes et aussi par une grande structure de combustion bâtie à partir de tuiles romaines dont la fonction peut-être liée au traitement de produits céréaliers. Deux canalisations ont été observées au contact d’un bassin en assez mauvais état de conservation dans l’angle nord-ouest de la parcelle, ces aménagements venant se connecter à une construction constituée de niveaux de sols en terrazzo. L’ensemble évoque un bassin de type impluvium et/ou un petit édifice thermal localisé dans l’emprise du bâtiment. Il s’étend sur une surface de 60 m² et se poursuit sous la rampe d’accès du site.

Lambeaux de sols du bâtiment A. La totalité des murs ont été récupérés. Crédit : Éveha, 2020.
Grande structure de combustion localisée dans l’emprise du bâtiment A. Il peut s’agir d’un séchoir/fumoir de la fin du Haut-Empire (3e s. de notre ère). Crédit : Éveha, 2020.

La fouille des constructions situées sur la bordure orientale de la voie romaine a permis de mettre au jour, au moins partiellement, trois bâtiments. Le premier ensemble fouillé (bâtiment D) peut correspondre à l’angle sud-ouest d’une domus qui doit largement s’étendre à l’extérieur de la parcelle. Quelques lambeaux de niveaux de sol ont été mis au jour à l’intérieur de ce bâtiment matérialisant l’emprise d’une pièce de 30 m². Le bâtiment B semble placé au centre de l’ensemble architectural oriental, à la manière d’un édifice à plan centré de près de 100 m². Il s’apparente à une construction légère qui a pu présenter une élévation en matériaux périssables, possiblement sur sablières basses. Il semble également que la construction ne soit pas couverte par une toiture de tuiles, puisqu’aucun fragment de terre cuite architecturale n’a été découvert sur son emprise.

Vue d’ensemble du bâtiment B. Contrairement aux autres bâtiments, les fondations sont en assez bon état de conservation. Crédit : Éveha, 2020.

La fouille de l’habitation C révèle une grande fosse à l’intérieur d’un espace d’au moins 4 x 6 m. Il s’agit en fait d’une structure qui peut correspondre à une citerne vraisemblablement liée à la récupération des eaux de pluie puisque aucun système d’adduction d’eau n’a été repéré dans son environnement. Par la suite cette construction aura été en grande partie détruite afin d’accueillir une fosse de très grandes dimensions contenant un épais dépôt organique verdâtre reconnu sur près de trois mètres de hauteur. Cette dernière sera à son tour perturbée par des aménagements cylindriques qui feront l’objet d’analyses des phosphates/phosphores, voire de paléo-parasitologie afin de déterminer s’ils contiennent des excréments humains ou d’animaux. Il pourrait s’agir de latrines, sinon des rejets de stabulation.

Citerne à l’intérieur de l’espace C, elle sera par la suite employée comme dépotoir ou latrines. Crédit : Éveha, 2020.

La fouille a également permis de localiser une concentration importante de puits romains dans le tiers occidental de la parcelle, très certainement à l’endroit d’une résurgence d’eau dans la terrasse ligérienne puisque un puits moderne et un autre contemporain sont également présents dans cet espace. Concernant la question du traitement des puits, d’importantes fenêtres ont été réalisées jusqu’à quatre mètres de profondeur afin d’accéder à la partie basse d’au moins quatre puits romains. Des prélèvements ont été réalisés de manière à conduire des analyses sur les écofacts présents.

Fouille en cours d’un puits gallo-romain. Crédit : Éveha, 2020.

Moyen Âge et Époque moderne (14e s. – 18e s. de notre ère)

De nombreuses structures tout comme la plupart des tranchées de récupération de murs antiques ont livré des lots de céramique vernissée et témoignent d’une possible remise en culture à partir de la fin du Moyen Âge. Ces indices laissent à penser que la parcelle a servi de carrière, pour la récupération des pierres de taille et moellons, et de sablière sous la forme de grandes fosses d’extraction avant d’être totalement scellée par un épais dépôt limono-sableux noir.

Pour conclure, la fouille de cette parcelle montre un intérêt scientifique remarquable et par divers aspects nous permettra de mieux comprendre et connaître la ville de Feurs aux époques gauloise, romaine et médiévale au terme des études qu’il reste à mener désormais en laboratoire.