CHANTENAY-SAINT-IMBERT (58) – Rue de la Sauderie

Le projet de construction d’un futur lotissement situé en bordure sud de la rue de la Sauderie à Chantenay-Saint-Imbert (58) a permis de réaliser, de septembre à novembre 2021, une fouille d’une surface de 12 000 m2 menée par une équipe de sept archéologues dirigée par Hervé Delhoofs.

Un probable sanctuaire gallo-romain (espace cultuel A)

Au cours du Haut-Empire (1er – 4e s. de notre ère), le secteur nord de la fouille voit l’arrivée d’un vaste aménagement construit en dur : un long mur réalisé à angle droit clôture l’espace sur une surface de 37 x 80 m, soit une emprise d’environ 3000 m² (Fig. 1). Ce mur d’enceinte, soigneusement réalisé à l’origine en petit appareil régulier de moellons de calcaire décimétriques (opus vittatum), montre des dimensions importantes et témoigne certainement d’un édifice à la fonction spécifique, vraisemblablement cultuelle. En effet, il délimite une vaste cour où a été découvert un nombre important d’objets de prestige d’époque romaine, dont des fibules/agrafes en argent, des fragments de miroir, une bague en or à l’effigie d’un empereur romain (Fig. 2). À cela s’ajoute la découverte de trois dépôts monétaires associés à des offrandes alimentaires, ainsi que des fosses contenant par exemple un porcelet ou un jeune équidé (Fig. 3). Ces témoignages archéologiques sont également caractéristiques du domaine religieux et des gestes rituels présents habituellement dans les sanctuaires gallo-romains.

Fig. 1 : Plan schématique de la fouille. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 2 : Bague en or à l’effigie d’un empereur romain. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 3a : Dépôt monétaire au sein de l’édifice cultuel A. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 3b : Dépôt d’un porcelet au sein de l’édifice cultuel A. Crédit : Éveha, 2021.

Un vaste bâtiment de forme rectangulaire s’installe dans un second temps dans l’angle du mur de clôture (Fig. 4 et 5 : espace A1). Il est composé de deux pièces emboîtées avec une entrée donnant sur la façade nord. La régularité des maçonneries et l’homogénéité des matériaux de construction permettent là aussi de proposer l’hypothèse d’un vaste édifice dont la fonction n’a pas encore été caractérisée. Ce bâtiment, abandonné et détruit dans la seconde moitié du 4e s. apr. J.-C., peut être identifié comme un espace cultuel suite à la découverte d’un grand nombre de monnaies, ou « nummus », de Constantin (306 – 337 ap. J.-C.) à Constance II (337 – 361 ap. J.-C.) et de faune disposés à l’intérieur d’un édicule semi-excavé (Fig. 6), interprété comme une fosse à offrandes de la fin de l’Antiquité.

De plus, et toujours dans l’emprise de l’espace A, sur la bordure nord de la parcelle, nous avons mis au jour une petite construction qui s’appuie contre la tranchée de récupération d’un mur. Elle peut correspondre à la base d’une structure indéterminée, néanmoins l’hypothèse d’un aménagement là aussi lié à un édifice cultuel est envisageable, au regard de la forte concentration de mobilier de prestige et d’un lot de plus d’une centaine de monnaies du 4e s. de notre ère.

Enfin, un bloc doté d’une petite cavité (Fig. 7) a été mis au jour au sein d’un pierrier, il est accompagné par un petit lot de céramique médiévale, dont un vase à eau bénite.

Fig. 4 : Vue générale de la construction A1. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 5 : Vue générale de la construction A1 © équipe de fouille, Éveha, 2021.
Fig. 6 : Coupe de l’édicule 329. Crédit : Éveha, 2021.

 

Fig. 7 : Bloc doté d’une petite cavité. Crédit : Éveha, 2021.

Cette zone a également livré une sépulture double de deux immatures (Fig. 8). Elle semble recouper les remblais gallo-romains reconnus immédiatement à l’est du bâtiment A1, interprétés à ce jour comme le niveau de chantier contemporain de la construction de l’édifice A. La sépulture semble donc être constituée entre la fin de la période gallo-romaine et la période médiévale (présence d’épingle de linceul).

Fig. 8 : Sépulture double 939 de deux immatures. Crédit : Éveha, 2021.

La reprise du décapage dans cette zone montre qu’une petite construction précoce sur poteaux porteur est située sous l’espace A2, les négatifs de poteaux sont régulièrement espacés et peuvent former un quadrilatère, à la manière d’un aménagement lié à la conservation des céréales (grenier aérien, F sur le plan ?). Les nombreux autres vestiges, fosses et petits fossés reconnus à l’intérieur de l’espace A, sont totalement arasés, à croire qu’un décaissement totale de la zone a été mis en œuvre en amont du programme de construction de l’édifice A. Ces nombreux linéaires présents à l’intérieur de cet espace ainsi qu’à l’ouest n’ont pour l’heure pas été caractérisés (parcellaire, enclos?) mais ce quadrillage forme un réseau de petites sections de fossés ou de drains présents sous les remblais liés à la construction. Ces aménagements semblent se connecter à la grande fosse située dans l’angle nord-ouest de la fouille, et pourraient correspondre à un système de drainage réalisé en amont du programme de construction de l’espace A afin d’aménager un sol drainant ou l’eau puisse circuler par des « conduits » creusés dans l’encaissant argileux.

Un quartier du vicus de Chantenay ?

L’hypothèse d’un quartier du Haut-Empire installé en périphérie de l’agglomération antique de Chantenay tient dans l’agencement quasi-orthonormé des vestiges de la période romaine. Quatre ou cinq unités d’habitation bâties selon différentes méthodes ont été identifiées : certaines en pierre, d’autres en bois. L’organisation spatiale de cet espace est constituée de limites pérennes permettant de proposer l’hypothèse d’un quartier d’habitation de la ville romaine. En effet, l’alignement de 10 puits à eau en vis à vis d’un large fossé matérialise possiblement l’emplacement d’un chemin de terre de 12 m de large (Fig. 1). Des habitations sont localisées de part et d’autre de l’espace de circulation, un peu à la manière d’un village-rue, l’ensemble prenant place à l’intérieur d’un espace de 120 m de long sur 50 m de large (soit 6000 m²). Les bâtiments C et D peuvent correspondre à des structures d’habitat, voire un plan de grange pour le bâtiment C. Cette vaste construction, de près de 14 x 11 m, s’apparente à un bâtiment antique. Ce dernier a ensuite été décapé à la pelle mécanique pour permettre la fouille d’un bâtiment antérieur (construction E). Le mobilier découvert dans le remplissage des trous de poteau qui constituent ce dernier bâtiment peut éventuellement nous orienter sur une occupation gauloise. Enfin, un large fossé vient recouper la zone et détruire le bâtiment C. L’une de ces extrémités conserve à nouveau un dépôt de crâne de bovidé et un lot de céramique du IIIe s, par conséquent contemporain de l’occupation de l’espace cultuel A (Fig. 9). Concernant la question du traitement des puits gallo-romains, neuf ont été comptabilisés selon un alignement quasi est-ouest. D’importantes ouvertures ont été réalisées afin d’accéder à la partie basse de trois d’entre eux (Fig. 10). Des prélèvements ont été réalisés pour réaliser des études sédimentologiques et environnementales. Les six puits restants ont été coupés à la pelleteuse afin de compléter les coupes et prélever le mobilier archéologique. L’un des puits a ainsi permis de prélever un lot de fragments de planches du cuvelage en bois et un étage complet de madrier.

Fig. 9 : Fosse à offrande du 3e s. ap. J.-C. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 10 : Fouille d’un puits en cours. Crédit : Éveha, 2021.

Les ateliers de potiers gallo-romains

La fouille du secteur artisanal a permis de retrouver les deux fours perçus dès la phase de diagnostic (Fig. 11), ainsi que quatre autres supplémentaires, portant à six le nombre total de structures de cuisson (Fig. 12). Conformément aux préconisations du cahier des charges, elles ont fait l’objet de prélèvements archéomagnétiques. Les comblements successifs de la fosse de travail du four 1195 (Fig. 13) ont livré un lot conséquent de restes de céramiques, marqué par la récurrence de deux types bien distincts de cruches à pâte claire vraisemblablement associées à la production de l’atelier durant le Haut-Empire. Le four 1388, bien qu’en grande partie recoupé lors de la construction de l’espace B, offre un nouveau regard sur la superficie de l’atelier et de son extension vers l’ouest. Cette même structure se singularise par la découverte de plusieurs vases archéologiquement complets et déformés (liés à la dernière cuisson ou aux gestes de clôture de l’activité du four ?) situés à l’extrémité de l’alandier (Fig. 14). De nouvelles données ont enfin été acquises sur l’organisation générale de l’espace artisanal et de la chaîne potière, avec la découverte d’une potentielle fosse de tournage (Fig. 15). L’argile blanche découverte dans son comblement semble partager les mêmes caractéristiques macroscopiques que celles des niveaux argileux interstratifiés dans les alluvions anciennes de l’Allier, observés à de multiples reprises dans l’emprise. Ces derniers ont également pu être exploités par les potiers pour la confection des fours.

Fig. 11 : Four de potier 158. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 12 : Four de potier 648. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 13 : Four de potier 1195. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 14 : Four de potier 1388. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 15 : Fosse de tournage 655. Crédit : Éveha, 2021

Le décapage de l’aire artisanale avait aussi pour objectif de retrouver des vestiges protohistoriques, suite notamment à la découverte d’un vase archéologiquement complet daté de la fin de l’âge du Bronze (Fig. 16). Au final, seules trois fosses, dépourvues de mobilier archéologique, présentent un comblement totalement différent des structures romaines. Quelques gros fragments de récipient de l’âge du Bronze proviennent également de la couche de colluvions qui encaisse les vestiges gallo-romains.

Fig. 16 : Vase de l’âge du Bronze. Crédit : Éveha, 2021.

Un espace à vocation artisanale au 3e s. ap. J.-C.

L’espace B, le plus à l’ouest du site, (Fig. 17 et 18) constitue une entité archéologique complexe observée sur près de 25 m de long et 5 m de large, et vraisemblablement associée à une activité artisanale. Les couches de cendre, de charbons et les fragments de cornes de bovidé permettent en effet de proposer l’hypothèse de bassins de tannerie ou de salaison. De fait, l’ensemble s’apparente à une vaste construction constituée par un ensemble d’à minima 20 cuves maçonnées à l’aide de fragments de tuile et de petits blocs calcaires liés au mortier de tuileau (Fig. 19). Cet exemple est, en contexte d’habitat aggloméré, assez rare dans l’état actuel de nos recherches bibliographiques.

Fig. 17 : Espace B ; cuves maçonnées Nord. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 18 : Espace B ; cuves maçonnées Sud. Crédit : Éveha, 2021.
Fig. 19 : Espace B ; vue générale. Crédit : Éveha, 2021.

En guise de conclusion …

Les découvertes couvrent toute l’Antiquité, soit entre le 1er siècle avant J.-C. et le 4e siècle apr. J.-C. Les vestiges antiques mis au jour pourraient correspondre à l’extension de la ville romaine au sud-ouest du bourg actuel de Chantenay-Saint-Imbert. De rares indices de la période médiévale ont également été mis au jour, dont une sépulture double d’immatures en bordure de la rue de la Sauderie.

Concernant la zone nord de la fouille, l’espace A montre une organisation spatiale bien spécifique, et un mobilier assez représentatif des sanctuaires romains.

Plus au sud, et dans l’emprise médiane de la fouille, un quartier à vocation artisanale a été identifié. Ce quartier est marqué par la présence de six fours de potiers, associés à une fosse de tournage et plusieurs dépotoirs, témoignant d’une production céramique relativement importante au sein d’un atelier implanté en périphérie de l’agglomération. L’activité de cet atelier couvre une large partie du Haut-Empire et alimente le marché local en céramique commune. La vaisselle produite semble destinée autant à la consommation des repas qu’à la batterie de cuisine.

Au cours du 3e s. apr. J.-C. l’atelier de potiers est abandonné et une vaste construction constituée de près de 20 bassins est aménagée : il pourrait s’agir de cuves liées à une activité artisanale de tannerie, d’un fouloir ou de bassins de salaison…

Les recherches se poursuivent désormais en laboratoire, où les études spécialisées permettront d’apporter des informations complémentaires à celles enregistrées sur le terrain afin de restituer plus précisément l’évolution dense de l’occupation de ce secteur.