ARS-EN-RÉ (17) – 14, venelle de la Petite Grange

Les fouilles menées sur le site d’Ars-en-Ré (17) – 14, venelle de la Petite Grange ont été réalisées par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité de Sandrine Guillimin. Elles interviennent dans le cadre du projet de construction d’une maison individuelle. Les investigations archéologiques ont permis de mettre au jour une petite portion de l’ancien cimetière paroissial médiéval et moderne, à environ 180 m au sud de l’église Saint-Étienne. Menée sur une parcelle en friche bordant le cimetière actuel, cette opération a permis d’illustrer l’extension ancienne de cet espace funéraire qui a été réduit entre le milieu du 18e et le début du 19e siècle, mais aussi la très forte densité d’occupation de sa marge sud-est, dès le Moyen Âge. Ainsi, sur un peu plus de 100 m², 264 sépultures ont pu être identifiées, se superposant ou se recoupant sur au moins sept niveaux.

Le Moyen Âge central

La première phase d’inhumations se caractérise par des fosses rupestres assez grossières, souvent étroites, parfois légèrement anthropomorphes*, fermées par une couverture de dalles en calcaire et parfois agrémentées d’un coussin céphalique* en pierre (Fig.1).

* anthropomorphe : de forme humaine
* céphalique : relatif à la tête, en occurrence, sous le crâne

Fig.1 : Exemple d’une tombe couverte de dalles complète, avant et après fouille © Éveha 2022

Les squelettes associés à cette phase ancienne sont en majorité très mal conservés, ceux des individus les plus jeunes, déterminables par la petite taille des fosses, ont même complètement disparu. Durant cette première phase, qui pourrait démarrer au 12e siècle, voire dès le 11e siècle (à préciser par des datations par radiocarbone), certaines tombes ont été réutilisées et contiennent ainsi plusieurs individus inhumés en plusieurs temps. Un de ceux-ci, un enfant, était associé à un pot à encens en céramique (Fig.2).

Fig.2 : Pot à encens disposé à côté du crâne d’un enfant © Éveha 2022

Seules 25 tombes dallées ont été clairement identifiées, auxquelles on pourrait ajouter 11 autres tombes potentiellement anciennes qui n’ont plus de couverture mais présentent d’autres caractères communs. Si trois de ces tombes dallées nous sont parvenues complètes, beaucoup sont partielles car recoupées. La plupart sont conservées le long de la bordure nord-ouest du site qui n’a pas ou très peu été perturbée par l’installation de tombes modernes, peut-être parce que cette bande a servi d’allée de circulation durant cette dernière phase. Trois autres sépultures avec couverture de dalles ont été partiellement observées à l’opposé, le long de la bordure sud-est. Et celles qui ont perdu leur couverture mais qui peuvent être rattachées à cette phase ancienne par d’autres critères (fosse étroite/anthropomorphe, coussin céphalique, mauvais état de conservation du squelette, absence de clous) ponctuent le site ça et là, sous les sépultures modernes qui ont fait disparaître la majeure partie des tombes de cette première phase.

Le bas Moyen Âge et l’Époque moderne

Probablement à partir de la fin du Moyen Âge, les inhumations se font en cercueil au sein de larges fosses. Ces tombes représentent plus de 86 % du corpus. La plupart des cercueils sont trapézoïdaux et ont pu être reconnus grâce aux clous conservés, mais aussi à de nombreux restes ligneux. Ce type de tombe occupe la majeure partie du site avec une telle densité que le substrat calcaire n’était le plus souvent plus visible en surface, et que les contours de fosses se recoupant les unes les autres étaient totalement illisibles. En dehors de la bande nord-ouest peu impactée par ces tombes en cercueil et donc moins dense, nous avons pu constater une moyenne de trois individus par m². Sur certaines zones accueillant de nombreux nourrissons ou très jeunes enfants, nous avons pu dégager jusqu’à sept individus sur 1 m². Si de nombreux cercueils ont été installés à même le fond de fosse, d’autres mises en œuvre ont été documentées parmi les structures les plus récentes. En effet, de nombreux cercueils reposent sur des supports, qui avaient probablement pour but de faciliter la récupération des cordes servant à les descendre dans la fosse. Deux types de supports ont été observés : des pierres plates en calcaire (deux au niveau du dos et deux au niveau des jambes, douze cas) ou des os longs prélevés dans les sépultures recoupées par la nouvelle tombe (Fig.3 et 4).

Fig.3 : Exemple de cercueil d’adulte posé sur deux fémurs © Éveha 2022
Fig.4 : Exemple de cercueil d’enfant posé sur deux fémurs © Éveha 2022

Une sépulture associe les deux systèmes avec deux pierres sous le dos et un os sous les genoux. Les supports osseux observés sous 41 cercueils sont en grande majorité des fémurs, mais quelques humérus ont également été enregistrés. Ils sont posés transversalement, au niveau du dos et des jambes. Un fémur de chaque côté suffit la plupart du temps, mais ils sont parfois doublés (2×2) ou plus nombreux. Un cas présentait en effet six fémurs et un humérus (trois os sous le thorax et quatre sous les jambes). Cette réutilisation opportuniste de restes humains semble plutôt rare. En effet, si cette pratique originale a déjà été observée lors des fouilles réalisées sur le cimetière médiéval et moderne de Notre-Dame-de-Cougnes à La Rochelle (36 cas), elle reste d’après nos connaissances assez singulière. Cet usage découle des très nombreux recoupements de tombes ayant entraîné de multiples perturbations des sépultures anciennes et la dispersion de nombreux restes osseux. Ainsi, le site se distingue également par un grand volume d’ossements en position secondaire, réifiés (transformés en objet) comme nous venons de voir, souvent aussi utilisés comme calages latéraux des cercueils, rassemblés en de gros amas sur les tombes les plus récentes ou simplement rejetés en vrac dans leur comblement.

En termes de mobilier, les tombes avec cercueil ont livré plus d’objets que les sépultures dallées, mais ils restent plutôt rares. Des épingles en alliage cuivreux ou en fer ont régulièrement été retrouvées dans les sépultures en cercueil, indiquant la probable utilisation de linceuls. Une monnaie a été retrouvée au contact du crâne d’un bébé, une balle en plomb sur le pied d’un adolescent. Cinq bagues en alliage cuivreux ont également été retrouvées aux doigts de quatre individus, dont deux avec une verroterie et une bague-rébus portée par un homme dont la représentation d’un « L » et d’un cœur stylisés signifie « mon cœur est à elle », typique du 15e siècle. Onze individus ont été inhumés avec un chapelet, dont la plupart n’étaient composés que de perles (grains très caractéristiques en os, bois, jais ou pâte de verre). Mais l’un d’entre eux était orné d’une croix en alliage cuivreux, deux d’un crucifix en bois et alliage cuivreux (Fig.5).

Fig.5 : Chapelet avec crucifix en bois et alliage cuivreux © Éveha 2022

Un autre exemplaire était orné d’un pendentif en os et d’une médaille représentant Saint-Augustin sur une face et Saint-Thomas de Villeneuve sur l’autre (Fig.6).

Fig.6 : Médaille et pendentif anthropomorphe en os © Éveha 2022

Un autre individu était, pour sa part, accompagné d’une médaille représentant le Saint Sacrement d’un côté et de l’autre Marie. Il semblerait que ces chapelets soient plutôt rattachés aux 17e – 18e siècles. Enfin, cinq petits Arsais (deux bébés et trois très jeunes enfants) ont été inhumés avec un collier autour du cou associé, pour deux d’entre eux, à un bracelet au poignet droit (Fig.7).

Fig.7 : Exemple de collier et bracelet de perles sur un jeune enfant © Éveha 2022

Ces parures se composent de petites perles en pâte de verre de différents calibres et différentes couleurs et n’ont été observées que sur des tout-petits, pratique atypique dont nous n’avons pas connaissance ailleurs, notamment pour cette période (18e siècle ?).

Le traitement et les études des restes osseux, du mobilier ainsi que des données récoltées se poursuivent actuellement et permettront d’affiner nos connaissances de ce site et de son occupation.