LOOS (59) – Rue du Marais – Centre pénitentiaire

Les fouilles menées sur le site du centre pénitentiaire de Loos (59), rue du marais – avenue du train de Loos ont été réalisées par le bureau d’études Éveha sous la co-responsabilité de Jérémy Lecry et Justine Lyautey. Menées dans le cadre du projet d’aménagement d’une prison cellulaire par l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice (APIJ), les investigations archéologiques ont permis de mettre au jour, sur deux emprises distinctes, les fondations d’une église abbatiale datant du milieu XIIIe siècle ainsi qu’un cimetière carcéral du XIXe siècle.

Une occupation du second Moyen Âge

L’église abbatiale de Notre-Dame de Loos

La fouille, située dans la zone alluviale de la vallée de la Deûle, à 5 kilomètres en amont de la ville de Lille, a été menée dans la cour nord du centre pénitentiaire désaffecté de Loos sur une surface ouverte de près de 5000 m² (fig.1). Constitués principalement de fondations massives en moellons et blocs de calcaire, de maçonneries en briques rouges et de sols de pavés ou de carreaux, les vestiges archéologiques ont permis de discerner les différentes phases de construction de l’église abbatiale du XIIIe siècle de celles du XVIIIe siècle, mais également de distinguer leurs différents agencements architecturaux (fig.2).

Fig. 1 : Plan masse topographique zone 1. Crédit : Éveha, 2022.
Fig.2 : Vue zénithale par drone des différents aménagements de l’église abbatiale. Crédit : Éveha, 2022.

L’abbaye cistercienne Notre-Dame de Loos est la plus ancienne fondation de l’ordre dans le diocèse de Tournai. Toutefois la date de construction de l’abbaye n’est pas connue exactement. Le premier document, daté de juin 1147, attestant cette fondation est une charte de Thierry d’Alsace, comte de Flandre, confirmant l’achat de terrains à Loos par les moines de Clairvaux.

Érigée vers le milieu du XIIIe siècle sous l’abbatiat de Guillaume de Carnin (1223-1251), puis de l’abbé Laurent de Thorolt (1251-1269) l’église abbatiale est décrite comme une église aux caractéristiques gothiques. Lors de la fouille de l’édifice moderne, quelques sondages mécaniques profonds ont mis au jour des bribes du soubassement de l’église originelle du second Moyen Âge et notamment, au nord-est de l’emprise, une partie de l’imposante fondation de l’abside et deux de ses contreforts. D’une largeur observée de 2,34 m à laquelle s’ajoute un renforcement de 1,80 m, cette fondation est constituée de moellons et blocs de calcaire scellés par du mortier à la chaux (fig.3). Une autre infrastructure de plan absidiale est mis en avant dans le chevet de l’édifice religieux du XIIIe siècle. Cette fondation, soutenant l’élément architectural qui dissociait le chœur en rotonde du déambulatoire, présente une largeur de 1,90 m. Ses niveaux supérieurs ont été oblitérés et seules 4 assises, de calcaire en blocs équarris, restent visibles dans l’ouverture effectuée. D’autres assises pourraient être conservées plus en profondeur (fig.4).

Fig.3 : Vue zénithale par drone du sondage des fondations de l’abside du XIIIe siècle. Crédit : ERIS, Éveha, 2022.
Fig.4 : Vue zénithale de la fondation absidiale du sondage du chevet. Crédit : Éveha, 2022.

La faiblesse de l’église et particulièrement de la nef explique que vers l’an 1456, dom Six de Vrelinghen, 21e abbé (1445-1460) « aurait redoublé les piliers au dedans et les arches au dehors, pour la soutenir et la fortifier ». Cette fortification a été renseignée au nord-ouest de l’église par le biais d’un sondage profond réalisé au travers du soubassement du collatéral de la nef. Une fondation massive orientée nord-sud de plus de 8,70 m de longueur et de 2,20 m de largeur en extérieur ainsi que l’adjonction d’un contrefort interne ont été observés. Fondée sur plus de 2 m de profondeur dans le substrat en partie chaulé, cette fondation d’un des arcs-boutants de l’édifice religieux est constituée à partir de blocs de calcaire taillés aux dimensions diverses et d’une assise supérieure alternant blocs de calcaire et réemplois de tambours de colonne en pierre de Tournai.

L’ensemble des observations architecturales originelles du XIIIe siècle permet une représentation du soubassement de l’église abbatiale d’une longueur minimale de 64 m (de la nef au chevet) pour une largeur de 34 m environ. La fouille n’a cependant pas permis de mettre au jour les éléments de construction des bras nord et sud du transept (fig.5).


Fig.5 : Représentation du soubassement de l’église du XIIIe s. Crédit : Éveha, 2022.

Un espace funéraire en lien avec l’abbaye

Sur le site de l’abbatiale, un total de 59 inhumations et 17 réductions ont été mis au jour. Une première analyse de 12 échantillons 14 C a permis d’affiner la stratigraphie et la typo-chronologie de ces sépultures. L’utilisation des espaces sépulcraux court depuis l’installation de l’abbaye Notre-Dame de Loos jusqu’à la fin du XIVe siècle.

Ces sépultures sont réparties en trois zones singulières. Un premier sondage de 30 m², réalisé à l’extérieur de l’église, a révélé la présence d’un petit ensemble funéraire dont l’extension totale n’a pu être établie. Cet espace, perturbé par un fossé et une canalisation moderne, a été densément occupé comme en témoignent les nombreux recoupements, parfois dans un laps de temps assez court entre les inhumations.

Les sondages profonds réalisés à l’intérieur de l’église ont également permis d’identifier plusieurs sépultures relativement dispersées ainsi qu’une réduction. Un certain nombre d’entre elles sont recoupées par les fondations du XVIIIe siècle.

Enfin, le sondage profond réalisé en dehors des vestiges à l’est de l’emprise, a mis au jour trois inhumations, et cinq autres probables, mais recoupées par la tranchée d’installation de la chapelle axiale de l’édifice moderne.

Une occupation de l’Époque moderne

Vers 1721, l’abbé Ignace Delefosse (1704-1727) fit abattre l’ancienne église dite « très caduque et menacer ruine » et entreprit la construction d’un nouvel édifice religieux qui s’effondra dès 1732. «  Le 3 de may, jour de l’invention de Ste Croix le clocher et le choeur croulèrent tout d’un coup à quattre heure du matin pendant qu’on chantoit l’invitatoire ». L’abbé Bernard Chevalier (1746-1757) fait dégager les restes de l’église qui s’était effondrée et entreprit une seconde phase de construction d’une nouvelle abbatiale. Son successeur, l’abbé Boniface Breton (1756-1782), fit achever la construction de l’édifice et entreprit de reconstruire les bâtiments conventuels.

Le décapage a mis au jour la globalité de l’espace architecturale de l’église abbatiale du XVIIIe siècle, sa côte d’apparition est comprise entre 0,40 m et 1,10 m de profondeur. La singularité des fondations de l’édifice moderne réside dans un réemploi massif à la fois de blocs architecturaux tels que des claveaux de voûte ou encore des fûts de colonne mais également de restes de statues peintes provenant de la déconstruction de l’édifice du Moyen Âge (fig.6).

Fig.6 : Réemploi, clé de voûte issu des fondations modernes. Crédit : Éveha, 2022.

Soutenues par des puissants contreforts, les fondations de la nef, du transept, de l’ensemble du chevet de l’église mais aussi de la grande chapelle axiale à l’est de l’édifice concordent parfaitement avec le plan de soubassement connu du XVIIIe siècle (fig.7). D’une dimension observée de 78 m de longueur et de 33 m de largeur (du bras nord au bras sud du transept), les fondations de l’église abbatiale sont composées à la fois de moellons et de blocs de calcaire taillés et de manière plus ponctuelle d’un parement ou d’une assise en briques rouges. Le parvis de l’église est de son côté fondé à partir de petits carreaux de pavement en pierre de Tournai, il est largement impacté par des aménagements contemporains.

Fig.7 : Vue zénithale par drone et représentation du soubassement de l’église du XVIIIe s. Crédit : ERIS – Éveha 2022

À l’Intra-muros de l’église, trois fondements de murs de refend ont été mis en valeur dans le narthex et dans la croisée à ses jonctions avec le choeur et la nef. Quatre supports de colonne localisés dans la nef, présentent une forme carrée d’un mètre de côté en moyenne et sont conservés sur environs 1,20 m de profondeur. Ils présentent des agencements architecturaux divers mêlant blocs de réemploi en pierre de Tournai, blocs calcaire et briques rouges.

Un grand sondage profond a permis de mettre en valeur les fondations de la chapelle axiale ainsi que les murs de renforts qui lui sont perpendiculaires. La fondation de l’oratoire et de ses contreforts est composé, de haut en bas, de trois assises de grès carrés, de dix assises de briques rouges et d’une alternance d’assises de blocs de calcaires taillés et d’assises de régularisation composées soit de fragments de briques soit de petits moellons de calcaire. La profondeur exacte de ce soubassement n’a pas pu être déterminée du fait de la présence d’un limon chaulé accolé directement sur les fondations de la chapelle apparaissant à environ 2 m de profondeur (fig.8).

Fig.8 : Vue de l’est du sondage du fronton de la chapelle axiale moderne. Crédit : Éveha, 2022.

L’espace séparant le sud de l’église et les bâtiments monastiques est ménagé par une vaste zone de pavage en grès en bon état de conservation, d’un puits et diverses fondations qu’il conviendra de déterminer.

Dans le bras sud du transept, une pièce est aménagée par un pavage en briques rouges. Cette pièce est reprise lors de l’aménagement d’un grand couloir voûté tout le long de la fondation sud de l’église. Ce couloir, d’une longueur de 65 m et d’une largeur moyenne de 3,15 m est entièrement carrelé.

Toute la partie nord de l’église est aménagée par différents bâtiments en briques et aux fondations relativement légères fonctionnant avec le centre pénitentiaire, ces petites bâtisses semblent dévolus à diverses activités.

Une occupation contemporaine

En 1822, les bâtiments claustraux de l’abbaye cistercienne Notre-Dame sont convertis en maison centrale. Face à une grande mortalité et un cimetière civil de la commune de Loos restreint, la nécessité de créer un cimetière pour les condamnés est soulevée. Le choix du terrain est arrêté en 1824 et se situe à l’angle nord-est de l’enclos abbatial dont l’accès se faisait par une porte dans le mur de la nouvelle enceinte.

En 1898, le cimetière est abandonné au moment de la construction de la nouvelle prison cellulaire sur cette parcelle. Ainsi, d’après ces éléments, ce dernier a été utilisé durant 74 ans.

La zone fouillée, s’étendant sur 369 m², a permis la mise au jour de plus de 520 faits sépulcraux. L’ensemble comporte notamment plus de 338 dépôts primaires pour un Nombre Minimum de 361 individus, ainsi que 155 dépôts secondaires. D’après les premières observations, 311 individus adultes et 50 individus immatures ont été enregistrés. (fig.9)

Fig.9 : Plan masse topographique zone 2. Crédit : Éveha, 2022.

Des fosses multiples, regroupant maximum trois individus, ont été découvertes. Le dépôt simultané est confirmé notamment par une décomposition en espace colmaté, les connexions anatomiques et notamment celles labiles sont préservées et l’enchevêtrement des sujets est visible à différents niveaux. Les quelques effets de sous-tirage sont liés notamment à la décomposition et la création de vide par les sujets sus-jacents.

Ces fosses semblent être les premières à s’installer, se faisant couper systématiquement par des sépultures individuelles postérieures. De plan oblong à rectangulaire, elles mesurent plus de 2,50 m de long et sont très étroites (environ 0,50 m de large) (fig.10).

Fig.10 : Vue zénithale d’une fosse multiple. Crédit : Éveha, 2022.

Au sein des inhumations individuelles, la présence de nombreux clous autour de l’individu, atteste de l’utilisation de cercueils, pouvant être de plan rectangulaire ou trapézoïdal. Si les individus reposent principalement au sein de contenants périssables, le dépôt en fosse est également attesté (fig.11).

Fig.11 : Vue zénithale d’une sépulture et photo de détail des clous de cercueil. Crédit : Éveha, 2022.

Pour l’ensemble, des indices de présence d’enveloppes souples de type linceul et/ou vêtements ont été relevés.

Malgré la forte densité, une organisation des sépultures en rangées se dessine, orientées majoritairement ouest-est (tête à l’ouest ou à l’est). Quelques occurrences marquent l’exception avec une orientation suivant un axe nord-sud, tête au sud. Les individus sont préférentiellement déposés sur le dos, bien que trois dépôts sur le ventre aient été observés. Le mobilier accompagnant demeure anecdotique et est représenté essentiellement pas des objets à caractère religieux.

De nombreux recoupements sont notables et ce sont jusqu’à cinq niveaux sépulcraux qui ont été observés. Ces nombreuses perturbations postérieures génèrent la présence de dépôts secondaires, encore parfois en connexion, transférés sur le couvercle du cercueil et/ou entre ce dernier et les parois de la fosse sépulcrale.

La découverte d’un ossuaire et d’une tranchée de « réduction » soulèvent, en plus des nombreux dépôts secondaires, la question de la gestion de l’espace funéraire et des potentiels marqueurs de surface.

Cette singulière structure mesure plus de 11,20 m de long pour 60 cm de large. Sa fouille minutieuse a permis de mettre en exergue la présence de cinq contenants cloués, utilisés pour réceptionner ces ossements réduits (Fig.12).

Fig.12 : Vue zénithale par drone de la tranchée 2384. Crédit : ERIS – Éveha, 2022.

A l’angle nord-ouest du cimetière, la présence de fondations constituant un bâtiment a été observée ainsi qu’une fosse de type puisard en leur sein. Si les cartes du milieu du XIXe siècle en font mention, sa fonction reste à confirmer.

Enfin, lors de la fouille, de multiples structures antérieures au cimetière ont été mise au jour. Constituées de structures fossoyées, de rares fosses et d’un puits, la nature précédente de ce terrain demeure encore inconnue.

Les études réalisées lors de la post-fouille permettront d’aborder diverses problématiques ayant attrait aux pratiques funéraires en contexte carcéral, à la gestion de l’espace funéraire, à l’identification biologique et aux conditions sanitaires de ces individus inhumés. De plus, le site de Loos bénéficie d’une documentation connexe importante, pour lequel il sera nécessaire d’approfondir les recherches archivistiques.