BOISSEAUX (45) – Le Pavé

Les fouilles menées sur le site du Pavé à Boisseaux (45) en deux phases ont été réalisées par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité d’Antoine DAVID dans le cadre de l’extension du Parc multimodal des Buis. Les investigations archéologiques ont essentiellement permis de mettre au jour une vaste occupation du second âge du Fer (env. 450 à 25 avant notre ère), marquée par des systèmes fossoyés et surtout de nombreuses structures de stockage (Fig. 01).

Fig 1 : Plan interprété des vestiges. Crédit : Éveha, 2022.

La Préhistoire et le Néolithique

Les indices d’occupations antérieures à l’âge du Fer se cantonnent à quelques éléments mobiliers, principalement redéposés dans les comblements des structures en creux postérieures mais également retrouvés hors structure, plus ou moins épars. On retrouve ainsi quelques pièces lithiques en majorité peu identifiables mais parmi lesquelles on compte de rares silex taillés attribuables au Mésolithique (env. 9500 à 5600 avant notre ère) – occupation identifiée par ailleurs au diagnostic – et d’autres au Néolithique (env. 5600 à 2100 avant notre ère). Quelques tessons de céramique sont également de facture ancienne mais seul un vase avec anse, retrouvé dans un sillon de labour, peut être clairement daté, renvoyant au Néolithique moyen (env. 4800 à 3500 avant notre ère). Ces indices ne relèvent donc en aucun cas d’une occupation structurée et traduisent surtout vraisemblablement un phénomène d’érosion relativement intense postérieur au Néolithique.

L’âge du Fer

Une très large majorité des faits répertoriés lors de cette opération semble pouvoir être attribuée à l’âge du Fer, plus précisément à plusieurs occupations se succédant entre le Hallstatt final (env. 530 à 460 avant notre ère) et La Tène finale (env. 150 à 27 avant notre ère).

D’importantes aires d’ensilage

À l’issue des deux phases de terrain, 356 silos ont pu être identifiés. Leur typologie (cylindrique, tronconique, bitronconique… ) mais surtout leur gabarit est très variable : les volumes de stockage que représentent ces structures s’échelonnent ainsi de moins de 1 m3 pour les plus petites jusqu’aux alentours de 30 m3 pour les plus grandes (Fig. 02 et 03). Elles ont toutefois comme point commun de montrer, dans une majorité des cas, des contours de creusement très réguliers. Leur forme en plan est la plupart du temps circulaire mais quelques cas de structures rectangulaires sont à dénombrer. Ces différences de forme et de volume ne trouvent a priori aucun écho dans leur répartition spatiale.

Fig. 2 : Coupe d’un silo cylindrique de grand volume. Crédit : Éveha, 2022.
Fig. 3 : Coupe d’un silo tronconique de gabarit moyen, comprenant des couches de rejet cendreuses et charbonneuses. Crédit : Éveha, 2022.

Plusieurs aires de répartition se distinguent cependant très nettement, avec des regroupements suivant des tracés en arc-de-cercle dans la partie ouest et nord-ouest de l’emprise et à l’inverse une distribution plus lâche dans la partie est (Fig. 01).

Les comblements de ces silos sont assez variables : tantôt massifs, tantôt lités*, avec des niveaux crayeux ou limoneux plus ou moins épais bien souvent en lien avec la nature du substrat encaissant. Certains livrent des couches de rejet très sombres et riches en mobilier, parfois cendreuses et/ou charbonneuses, tandis que d’autres ont des comblements presque ou totalement stériles. Nombre d’entre eux ont toutefois comme point commun de posséder un fin niveau charbonneux à la base, au contact du creusement, qui s’étend sur seulement quelques centimètres d’épaisseur au maximum ; trois cas de figure ont pu être distingués : des niveaux de graines carbonisées, des aménagements en bois et des niveaux de rejet recelant des esquilles de faune brûlée.

*lité: comblement comportant plusieurs couches qui se superposent pour former des litages successifs

Un corpus mobilier varié issu des silos

La quantité et la diversité des mobiliers recueillis au sein de ces silos est très variable. La céramique en représente la plus grande part. Elle apparaît assez fragmentée, bien que quelques profils archéologiquement complets de vases puissent être mis en évidence. Notons aussi la présence de plusieurs vases miniatures complets (Fig. 04). La présence de céramique dans les silos semble systématiquement relever de pratiques de rejet, aucun dépôt volontaire de récipient n’étant à signaler. Les premières observations réalisées permettent de fournir quelques éléments chronologiques, qu’il conviendra toutefois de préciser : ainsi, quelques éléments, recueillis au sein de silos arasés localisés au centre de l’emprise, semblent attribuables au Hallstatt D (env. 730 à 460 avant notre ère). Aucun autre type de structure ne paraît en l’état se rapporter à une période aussi précoce. Une très grande majorité du mobilier céramique semble attribuable à La Tène ancienne (env. 460 à 250 avant notre ère) et surtout à La Tène moyenne (env. 250 à 150 avant notre ère). Quelques éléments pourraient renvoyer à La Tène finale (env. 150 à 27 avant notre ère), toutefois sans certitude.

Fig. 4 : Vase miniature retrouvé dans le comblement d’un silo. Crédit : Éveha, 2022.

Les ossements d’animaux constituent le deuxième type de mobilier le plus présent dans ces silos, avec cette fois non seulement des rejets détritiques mais également des dépôts d’individus complets ou de parties anatomiques sélectionnées ; on retrouve ainsi plusieurs dépôts de jeunes cochons, de chevaux (Fig. 05), de chiens mais aussi le cas très particulier d’un chat, animal rarement mis en évidence pour cette période.

Fig. 5 : Squelette de cheval déposé au sein d’un silo. Crédit : Éveha, 2022.

De nombreux éléments en terre crue ont également été identifiés et recueillis au sein de ces silos. Il s’agit majoritairement de fragments présentant des faces lissées et/ou des traces de clayonnage, certains de taille conséquente et présentant une forme cylindrique, dont la fonction interroge. Il pourrait s’agir d’éléments participant de l’architecture de bâtiments localisés à proximité ou du système de clôture du silo (bouchon ? chape de protection ?).

D’autres objets – plus particuliers dans ce type de contexte – viennent compléter ce corpus. Relevons par exemple la présence de quelques pesons et d’une trentaine de fusaïoles en terre cuite, de formes et tailles variées, traduisant une activité textile sur le site (Fig. 06). Quelques objets en métal ont également été retrouvés, notamment deux couteaux en fer, dont l’un déposé au fond d’un silo, ainsi qu’au moins un fragment d’épée pliée et une épée complète, elle aussi déposée à plat avec son fourreau (Fig. 07). S’ajoutent des éléments de parure dont plusieurs bracelets, principalement en alliage cuivreux mais aussi en verre (Fig. 08).

Fig. 6 : Pesons retrouvés au sein de silos. Crédit : Éveha, 2022.
Fig. 7 : Épée en fer retrouvée au sein de silos. Crédit : Éveha, 2022.
Fig. 8 : Bracelet en alliage cuivreux retrouvé au sein de silos. Crédit : Éveha, 2022.

Enfin, notons que plusieurs silos ont livré des restes humains, dont neuf squelettes complets (fig. 09) : trois avaient été mis au jour lors du diagnostic de 2010 et six l’ont été lors de la fouille. Les individus sont d’âge et de sexe biologique différents et au moins quatre sont des immatures (classes d’âge 5-10 et 10-15 ans). Leur position, anatomique comme stratigraphique, suggère dans plusieurs cas un acte de rejet plutôt que de dépôt. Signalons en outre que l’individu mis au jour lors de la phase 1 était paré d’un torque en fer, retrouvé en place autour de son cou (fig. 10).

Fig. 9 : Vue d’ensemble des squelettes mis au jour dans deux silos, en cours d’enregistrement. Crédit : Éveha, 2022.
Fig. 10 : Détail du défunt paré d’un torque en fer. Crédit : Éveha, 2022.

Les enclos et le parcellaire

Plusieurs tronçons de fossés viennent rythmer l’espace et définissent des ensembles cohérents (Fig. 01). Les fossés les plus massifs repérés sur le site (Fig. 11) esquissent la façade occidentale d’un premier enclos qui ne se prolonge pas au-delà. Une interruption à peu près centrale vient d’ailleurs matérialiser un accès à l’espace ainsi défini, au sein duquel aucune structure d’habitat proprement dit, ni plan de bâtiment n’a été mis en évidence. Deux autres ensembles de fossés, moins larges et orientés est/ouest, pourraient fonctionner avec cet enclos. Ils ont en commun un profil de creusement et un gabarit semblables, mais aussi d’avoir livré de nombreux rejets de faune, dont notamment un squelette partiel d’équidé. Le mobilier céramique y est en revanche relativement rare. Les quelques éléments recueillis dans les fossés de l’enclos orientent vers une attribution à La Tène moyenne. Il convient cependant de rester prudent à ce stade sur cette attribution puisque les relations stratigraphiques indiquent systématiquement la postériorité de ces fossés par rapport aux autres structures qu’ils recoupent, dont pourrait parfois provenir le mobilier.

Fig. 11 : Coupe du fossé du premier enclos. Crédit : Éveha, 2022.

Un autre ensemble cohérent se distingue, s’étendant sur une large partie nord-ouest de l’emprise. Il est constitué de fossés au tracé très régulier en partie ouest et sud-ouest, beaucoup plus courbe et aléatoire en partie est. Malgré tout, le profil de creusement des fossés, en V, et leur gabarit restent similaires tout au long du tracé, bien que plus arasé en partie sud-est (Fig. 12). Cet ensemble vient ainsi délimiter un espace ouvert au nord. Là encore, les fossés viennent quasi systématiquement recouper les structures qu’ils traversent et les premières observations du mobilier céramique tendent à une attribution à La Tène moyenne (env. 250 à 150 avant notre ère). La répartition des silos au niveau de ce second enclos pourrait néanmoins témoigner d’un lien entre ces structures. Un peu plus au sud, un autre fossé au tracé irrégulier pourrait par ailleurs en être contemporain.

Fig. 12 : Coupe du fossé du second enclos. Crédit : Éveha, 2022.

Dans le tiers nord du site, au moins deux autres groupes de fossés pourraient être considérés comme des ensembles cohérents. Ils se composent de plusieurs tronçons d’orientation et de gabarit divers, s’étendant sur la largeur de l’emprise. Ces variations posent la question de leur contemporanéité, car leur tracé pourrait en effet résulter non pas d’une seule mais de plusieurs phases de fonctionnement, même si les coupes stratigraphiques ne laissent pas clairement apparaître de reprises de tracé. Enfin, le fossé le plus au sud, au tracé rectiligne, contient du mobilier qui place sa datation au début de la période gallo-romaine.

Les bâtiments sur poteaux

Si de nombreux trous de poteau ont été identifiés sur la partie ouest de l’emprise, beaucoup moins l’ont été à l’est de la fouille. Les difficultés de lisibilité liées à cette seconde période d’intervention (forte sécheresse au cœur de l’été puis intempéries récurrentes à la fin de l’automne) sont un des facteurs explicatifs, de même que le fort arasement des vestiges constaté sur une large bande centrale du site. Au total, une douzaine de plans de bâtiments sur poteaux ont pu être restitués pour le moment. Il s’agit en très grande majorité de modules « simples », de plan quadrangulaire, reposant sur 4 à 6 poteaux porteurs délimitant souvent une superficie modeste (< 10 m²). Le caractère parfois très réduit de cette superficie incite d’ailleurs à envisager que les bâtiments concernés s’étendaient bien au-delà du cadre porteur, avec des parois faiblement ancrées dans le sol.

Localisé dans la partie nord-ouest de l’emprise, le bâtiment ENS 2 est le plus grand mis en évidence (Fig. 14). Il dessine un plan allongé se terminant en abside au sud, s’étendant sur 10,50 m de longueur pour 4 m de largeur, couvrant ainsi une superficie entre les supports de 42 m². Les creusements apparaissent relativement arasés et les comblements peu marqués, ne laissant que très rarement apparaître un négatif de poteau.

Fig. 14 : Vue d’ensemble du bâtiment ENS 2. Crédit : Éveha, 2022.

Outre les ensembles bâtis clairement reconnus, des groupes de trous de poteau bien définis et cernés d’espaces vierges de tout vestige sont clairement perceptibles, particulièrement dans la partie nord-ouest de l’emprise (Fig. 01). Ils invitent à mener une réflexion sur l’emplacement de potentiels axes de circulation participant eux aussi de la structuration de l’espace.

Les autres structures protohistoriques

Localisé à proximité immédiate de l’angle nord-ouest du premier enclos, le puits présente en plan une forme circulaire de 6,30 m de diamètre. Le sondage réalisé sur un quart de sa surface a permis de confirmer son identification, avec la mise en évidence d’un comblement chargé en gros blocs calcaire qui appartenaient certainement à son cuvelage (Fig. 13). Des emmarchements ont été aménagés dans sa partie supérieure, ayant certainement servi à en faciliter le creusement et/ou l’exploitation. La progression a dû être stoppée à une profondeur de 1,50 m pour des raisons de sécurité. Cette fouille mécanique a été complétée par deux sondages au PANDA réalisés par le Service départemental d’Archéologie du Loiret. Ils n’ont malheureusement pas permis d’établir la profondeur exacte du puits, la progression de la sonde ayant été stoppée vraisemblablement par de gros blocs de pierre (effondrement du cuvelage ?) à une profondeur maximale de 6,90 m. Cela porte donc la profondeur connue du puits à au moins 8,40 m ; les données disponibles dans le secteur indiquent toutefois une apparition de la nappe actuelle à environ 27 m de profondeur, laissant augurer une structure bien pus profonde. Le mobilier y est relativement rare mais sa localisation invite à envisager une datation contemporaine du fonctionnement du premier enclos.

Fig. 13 : Coupe du sondage réalisé dans le puits. Crédit : Éveha, 2022.

On retrouve également plusieurs fosses de morphologies variées – là encore bien plus nombreuses dans le tiers nord-ouest de l’emprise – dont la nature ou la fonction reste difficile à établir. Quelques unes, bien que fortement arasées, possèdent un comblement très sombre et riche en mobilier, avec des concentrations suggérant parfois des actes de rejet ponctuel ; certaines ont également livré de nombreux blocs de calcaire chauffés, sans agencement particulier. Compte tenu de la forme en plan circulaire et très régulière d’une partie de ces fosses, il n’est pas exclu qu’elles puissent correspondre à des fonds de silos.

Enfin, deux sépultures à inhumation ont été mises au jour. Dans les deux cas, l’individu est déposé dans une fosse, en position allongée sur le dos, l’un avec la tête au nord-ouest et l’autre au nord-est. Dans le premier cas, le squelette est mal conservé mais apparaît néanmoins quasiment complet. Le second a malheureusement été en grande partie détruit par la pelle hydraulique au décapage. Aucun mobilier n’accompagnait les défunts. De ce fait, aucune datation ne peut en être proposée mais il est possible que ces sépultures ne soient pas forcément en lien avec les occupations de l’âge du Fer.

Les périodes moderne et contemporaine

Le chemin d’Armonville Sablon

Des ornières très marquées s’étendant sur environ 8 m de largeur dans la partie nord de l’emprise, selon un axe nord-ouest / sud-est, matérialisent le « chemin d’Armonville Sablon », identifié lors des deux diagnostics et figurant sur le cadastre napoléonien. Elles sont également soulignées par un alignement de pierres calcaires à peu près au centre de la bande (Fig. 15). Plusieurs blocs de pierre assez conséquents et vaguement équarris, disséminés sur l’emprise, pourraient également correspondre à des bornes parcellaires éventuellement de la même époque ; l’une d’elle a d’ailleurs été retrouvée juste en bordure du chemin.

Fig. 15 : Ornières matérialisant le « chemin d’Armonville Sablon ». Crédit : Éveha, 2022.

L’extraction calcaire

Pour finir, une vaste zone limoneuse localisée au centre-sud de l’emprise a fait l’objet de plusieurs sondages qui ont permis d’observer la présence de creusements circulaires contigus, vraisemblablement pratiqués dans le but d’extraire le matériau calcaire, affleurant dans ce secteur. Leurs comblements se composent systématiquement d’une alternance de couches argileuses grises et de calcaire, souvent mêlées. Le sommet du comblement de ces différentes fosses est composé d’un même épais niveau argileux gris-brun, lui même surmonté d’une couche limoneuse brune très remaniée, le contact entre les deux étant très net et régulier ; il s’agit là indubitablement d’un apport anthropique volontaire destiné à colmater la dépression laissée par cet amalgame de fosses d’extraction (Fig. 16). Le mobilier y est extrêmement rare mais quelques éléments tendent à attribuer ces faits à l’époque moderne voire contemporaine, notamment des tessons de céramique vernissée retrouvés tant dans le comblement des fosses que dans les niveaux supérieurs. En outre, une anomalie s’observant dans ce secteur sur les clichés aériens du début du 20e s. pourrait correspondre à cette vaste dépression. Par analogie, d’autres structures au creusement très régulier et au comblement similaire localisées à proximité immédiate peuvent elles aussi être interprétées comme des fosses d’extraction.

Fig. 16 : Coupe d’un sondage pratiqué dans la zone d’extraction. Crédit : Éveha, 2022.

Les études du mobilier ainsi que des données récoltées se poursuivent actuellement et permettront d’affiner nos connaissances de ce site et de son occupation.