MABLY (42) – Site de Nexter-Valmy lot 3

Les fouilles menées sur la ZAE, Site de Nexter-Valmy (Lot 3) à Mably (42) ont été réalisées par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité de Hervé Delhoofs (RO) et Antoine Meiraud (ROA).
L’opération, menée dans le cadre d’un projet porté par Roannais Agglomération entre le 22 août et le 21 novembre 2022, a permis d’investir une surface totale d’un hectare. Les recherches archéologiques ont ainsi permis de documenter une occupation de l’âge du Bronze, une zone d’habitat antique structurée sur une voie romaine et les vestiges de l’Arsenal de Roanne.

Plan de vestiges de l’âge du Bronze. Crédit : Éveha, 2023.

L’occupation du début de l’âge du Bronze final (env. 1250 av. J.-C.)

L’âge du Bronze du site de Mably est représenté par une quarantaine de structures réparties sur la quasi-totalité de l’emprise de fouille. La majorité de ces vestiges se trouve néanmoins concentrée au Nord-Est. Les structures se distinguent au sommet de la grave par une variation sédimentaire ou la présence de mobilier. Pour la majorité d’entre elles, la datation suggérée est due à un mobilier céramique caractéristique retrouvé dans leur comblement. Bien que la majorité des structures corresponde à une occupation plutôt domestique, trois d’entre elles semblent plutôt se référer à la sphère funéraire.

Une occupation domestique

Au cœur de la moitié nord de l’emprise, deux vases en place espacés d’une dizaine de mètres ont été mis en évidence. Si pour le premier seul le fond est présent, le second est intacte jusqu’à la base du col (fig. 1). Aucun indice de crémation ou de mobilier en alliage cuivreux n’est attesté dans son comblement. Bien que l’hypothèse d’une pratique funéraire ne puisse être totalement réfutée, il semble falloir privilégier la présence d’une aire de stockage. De plus, quelques structures situées au nord-est semblent correspondre à des fonds de silo .
Plus au nord, l’espace situé en bordure d’emprise comprend plusieurs fosses et trous de poteaux ainsi qu’un silo assez bien conservé. Une structure de cet ensemble a livré un fragment de jatte ansée attribuable à la fin du Bronze moyen / début du Bronze final.

Toujours pour cette période, deux fosses situées au sud-est et au sud-ouest recèlent une association de mobilier céramique et macro-lithique. Au sein de la première, au moins trois éléments de mouture dont deux complets surmontent une tasse ansée écrasée en place ainsi qu’un vase haut ansé à cordons lisses (fig. 2). La fonction de fosse de rejet est pour l’instant privilégiée.

Fig. 1 : Vase encore en place (St.338). Crédit : Éveha, 2022.
Fig. 2 : Meules et poteries de la fosse St.272. Crédit : Éveha, 2022.

Des vestiges funéraires ?

Trois structures empierrées pouvant se rattacher à la sphère funéraire ont été exhumées à Mably. Deux de ces aménagements situés à l’est de l’aire de fouille sont disposés de manière parallèle et éloignés de quelques mètres et présentent des caractéristiques similaires. Il s’agit d’empierrements oblongs d’axe nord-sud d’une longueur d’environ 2 m (fig. 3). Les blocs sont disposés de manière à former une couronne et posés directement sur le sommet de la grave qui semble faire office de fond. D’autres blocs insérés dans le comblement semblent cloisonner quatre espaces de capacité semblable ou correspondre à un effondrement de la couverture. Ces structures peuvent être interprétées comme des inhumations dans un coffrage en pierre sèche même si la fouille n’a révélé aucun reste osseux humain si ce n’est deux fragments centimétriques d’os brûlés. De même, aucun mobilier associé n’a été mis en évidence. Il n’est pas à exclure que les ossements se soient désagrégés au fil du temps. Bien que l’attribution chronologique de ces deux ensembles demeure inconnue, nous l’association pour l’heure aux occupations de l’âge du Bronze.

La troisième structure correspond à un coffre funéraire de plus petit gabarit. En effet, plusieurs blocs semblent organisés de manière à disposer d’une couronne surmontée d’une couverture qui se serait affaissée (fig. 4). Les blocs semblables à des dalles ont une largeur décimétrique semblable et des surfaces planes. La fouille a révélé la présence de nombreux fragments de poteries du tout début de l’âge du Bronze final et une concentration significative de charbon. A l’instar des deux autres structures empierrées, aucuns restes osseux n’ont pour autant été remarqués.

Fig. 3 : Structure empierrée interprétée comme une inhumation (St.188). Crédit : Éveha, 2022.
Fig. 4 : Potentiel coffre funéraire démantelé (St.192). Crédit : Éveha, 2022.

L’occupation gallo-romaine (IIe-IIIe s. apr. J.-C.)

Les nombreux vestiges gallo-romains mis au jour lors de la fouille ont permis d’étudier l’organisation interne d’une aire d’habitat structurée sur un axe de circulation (fig. 5). Le secteur correspond à la mise en place d’au moins sept bâtiments, dont quatre à sol excavé dont la fonction peut être liée à des activités artisanales, voire de stockage de « produits de consommation courante ». Le matériel céramique est assez conséquent pour envisager une datation du comblement d’abandon de ces structures au cours des IIe-IIIe s. apr. J.-C. Les exemples de bâtiments de la ZAE de Bonvert ne sont pas des modèles isolés dans la plaine de Roanne mais correspondent à un type de construction polyvalent, souvent lié à une forme d’artisanat et émergeant dans certains cas dès le Ier siècle de notre ère.
Les vestiges d’une voie découverts sur le site correspondent à une limite pérenne dans le paysage puisqu’elle se superpose au chemin « du Port d’Eguilly » présent sur le cadastre de 1810 (et sur la carte de Cassini) permettant de franchir la Loire au gué d’Aiguilly situé à une distance de 300 m. Il semble alors envisageable d’y voir une section de l’itinéraire qui devait relier le vicus de Roanne-Rodumna à Digoin-Pocrino et/ou La Pacaudière-Ariolica, via le site antique de Bonvert, en bordure duquel s’installe une vaste nécropole romaine fouillée en 2013 par la même équipe (Delhoofs 2015).

Plan des vestiges de l’époque antique. Crédit : Éveha, 2023.

Une « voie » associée à des vestiges funéraires antiques

L’occupation du Haut-Empire se rapporte principalement à un axe viaire antique localisé dans l’angle sud-est de la parcelle. La voie, conservée sur 60 m de long et environ 8 mètres de largeur est constituée de fossés bordiers parfaitement parallèles orientés ONO/ESE délimitant un espace vide devant correspondre initialement à l’espace de circulation (fig. 6). L’absence d’une bande de roulement peut en partie trouver une explication dans le fait que la parcelle a fait l’objet d’un hersage profond sur l’ensemble de la zone prescrite. La majeure partie des vestiges en lien avec cette hypothétique voie romaine se rapporte à des fosses de plantation présentes sur la bordure nord du fossé bordier.

Fig. 6 : Vue générale de la voie romaine et des fossés parallèles St 196 et 194/214. Crédit : Éveha, 2022.

Il a également été possible d’identifier une rare inhumation du début du Haut-Empire et un dépôt de crémation dans le fossé sud de la voie. La sépulture prend place dans la partie basse du fossé sud, très vraisemblablement dans le premier comblement du linéaire (fig. 7). Cette inhumation, pour l’instant datée de la période augusto-tibérienne d’après le lot de céramique en présence, permet ainsi de proposer une chronologie précoce du système viaire mis au jour sur le site.

Le dépôt secondaire de crémation s’installe également dans un fossé bordant la voie (fig. 8) et conforte là encore l’hypothèse d’une voie romaine. Il s’agit d’une fosse dont les limites sont diffuses et irrégulières, mais elle contient quelques ossements humains brûlés qui confirment sa fonction funéraire.

Fig. 7 : Sépulture augusto-tibérienne 566. Crédit : Éveha, 2022.
Fig. 8 : Dépôt secondaire de crémation 218. Crédit : Éveha, 2022.

Une fosse accessoire (fosse de rejet) ou d’un bûcher funéraire (fig. 9) pourrait également être liée à la pratique de la crémation . Située à une cinquantaine de mètres au nord de la voie, elle permet d’envisager un lien avec la nécropole gallo-romaine de la ZI de Bonvert installée sur la bordure nord du site. Son comblement cendreux contient un lot important de céramiques brûlées et brisées, du verre brûlé (dont au moins quatre balsamaires), de nombreux éléments métalliques appartenant probablement à l’architecture du bûcher, des clous de chaussures, de la faune brûlée et enfin des ossements humains brûlés qui confirme là aussi la vocation funéraire de cette structure.

Fig. 9 : Vue du bûcher funéraire St. 346. Crédit : Éveha, 2022.

En outre, une grande fosse quadrangulaire, contenant un sédiment cendreux charbonneux et du mobilier céramique et métallique (fig. 10), pourrait être liée à la pratique de la crémation. Une petite partie de la paroi semble rubéfiée, ce qui soutient son interprétation comme structure primaire de combustion.

Enfin, un coffrage composé de deux niveaux de tegulae peut également appartenir à la sphère funéraire (fig. 11). Le mobilier en présence, malheureusement très réduit, permet néanmoins de placer la structure dans une strate chronologique large couvrant le Haut-Empire.

Fig. 10 : Structure primaire de combustion 190 en cours de fouille. Crédit : Éveha, 2022.
Fig. 11 : Vue générale de l’aménagement 204. Crédit : Éveha, 2022.

Des activités artisanales au sein d’un habitat groupé ?

Le fossé 166 est connecté perpendiculairement à la voie, il a fait l’objet de lieu de rejet de déchets liés à une activité métallurgique (Espace 2). Plusieurs couches de scories (fig. 12), dont certaines évoquent des opérations de réduction du minerai de fer, étant mêlées à des objets en fer abandonnés à divers stades de production (tôles, tiges, fragment de lame?) de même qu’une plaque de tôle repliée en alliage blanc (argent ?). Une lamelle de plomb a également été exhumée à cet endroit, livrant un indice supplémentaire d’un artisanat spécialisé et inhabituel en contexte rural. Le mobilier céramique est romain et certains individus semblent quasi complets. Après fouille en plan, cette concentration est circonscrite dans l’emprise du fossé et ne semble pas en position taphonomique primaire. Elle témoigne en revanche d’une grande partie de la chaîne opératoire métallurgique. Ce dépôt apparaît donc comme le témoignage d’une activité de rejet d’un atelier peut-être localisé sur la bordure orientale du fossé, une petite construction sur solin de pierre ayant en partie été reconnue.

Fig. 12 : Fossé parcellaire 166 lié entre autres à une activité métallurgique (Espace 2). Crédit : Éveha, 2022.

Une vaste structure, de près de 8 x 4 mètres, s’apparente à un important bâtiment sur cave (Espace 6). La maçonnerie est conservée sur quasiment un mètre de hauteur et présente une exécution soignée avec deux assises de réglage de fragments de tuiles encore en place, le mortier de chaux de qualité utilisé présente encore des joints « tirés au fer » en très bon état (fig. 13). Il semble que ce bâtiment sur cave était ouvert au sud, en effet un aménagement semble correspondre à l’accès à la pièce, sous la forme d’un escalier (fig. 14). Une épaisse couche anthropique a été mise au jour à l’intérieur de l’habitation, elle atteint 1,20 m d’épaisseur au centre de la cave, un grand nombre de tuiles effondrées sur place scelle les niveaux de vie antique. Un seul objet métallique provient de ces remblais, il correspond à une plaquette de plomb repliée sur elle-même de 3 à 4 cm de long (defixio ?).

Fig. 14 : Système d’accès et élévation du bâtiment sur cave (espace 6). Crédit : Éveha, 2022.
Fig. 13 : Orthophotographie du bâtiment sur cave (espace 6). Crédit : Éveha, 2022.

L’occupation de la zone médiane a livré au moins deux bâtiments sur poteaux porteurs (Espace 4) qui semblent circonscrire trois fosses de stockage (fig. 15). Ces édifices, identifiés dans un espace d’une petite superficie, montrent des dimensions importantes de près de 8 x 3 mètres. Apparemment assez arasées, elles s’apparentent sans nul doute à des bâtiments à sol excavé. Un seul comblement d’abandon est reconnu pour chaque fosse, dont la datation proposée couvre les IIe-IIIe s. de notre ère. Ces exemples de bâtiments « creusés » en contexte rural sont assez courants dans le secteur de Bonvert puisque d’ores et déjà fouillés sur le site de la ZAC de Bonvert, tranche 1/2 et 3 (Delhoofs et all. 2015 et 2019).

Fig. 15 : Bâtiment sur poteaux porteurs (Espace 4) et fosses de stockage. Crédit : Éveha, 2022..

Un four, contiguë à une profonde structure de stockage, a été observé. La sole est constituée de tegulae, enduites d’argile sur la partie interne (fig. 16).

Fig. 16 : Four 326 en cours de fouille (espace 3). Crédit : Éveha, 2022.

Un édifice antique perturbé à l’époque médiévale et/ou moderne

Une construction englobant le foyer est perceptible sur une emprise de près de 6 x 5 mètres et s’apparente à une construction sur poteaux porteurs. L’angle Nord-Est de la fouille correspond essentiellement à la mise en place d’un bâti maçonné très certainement antique, dont la structuration et la fonction restent encore à préciser (Espace 1). Autour de cette construction, au moins deux horizons chronologiques ont pu être observés. Pour l’heure, ils sont interprétés comme les stigmates liés à l’occupation de la période médiévale et/ou moderne (fosse d’équarrissage de chevaux ; fig. 17) et contemporaine (tranchée de canalisation de l’arsenal). La mauvaise conservation des murs ne permet pas pour l’instant de préciser la datation et la fonction de l’édifice, néanmoins la méthode de construction et les matériaux utilisés nous permettent de le placer pour l’instant à la période romaine (fig. 18).

Fig. 17 : Fosse moderne d’équarrissage de chevaux St 300. Crédit : Éveha, 2022.
Fig. 18 : Bâtiment maçonné possiblement antique (espace 1). Crédit : Éveha, 2022.

À proximité, un unique puits d’époque romaine à été entièrement dégagé. Les dispositions prises pour sa fouille ont permis d’accéder au fond de la structure et ainsi de réaliser des prélèvements des madriers en bois à la base du puits et de renseigner la structuration générale de cet aménagement (fig. 19).

Fig. 19 : Fouille en cours de la partie supérieure du puits 314. Crédit : Éveha, 2022.

Les vestiges de l’époque contemporaine

L’Arsenal de Roanne : un site de production d’obus de mortier

Les engins explosifs découverts sur l’emprise de l’Arsenal de Roanne (fig. 21) font également l’objet d’une attention particulière de l’équipe scientifique : deux obus de mortier de 81 mm ont ainsi été conservés pour études afin de renseigner l’activité de l’Arsenal durant l’entre deux guerres puisque la production semble appartenir à la première moitié du XXe s.
Les recherches ont permis d’identifier ces fûts vides comme des rebuts, abandonnées à différents stade de la production avant de recevoir les charges explosives. Ils font donc partie intégrante de l’industrie du site et pourraient ainsi permettre de renseigner la production d’armement réalisée par l’Arsenal de Roanne. Ces données semblent donc utiles pour mettre en lumière l’économie de guerre locale, de manière à répondre au mieux aux problématiques scientifiques liées à la période contemporaine.

Fig. 21 : Obus de mortier lors de sa découverte© Éveha, 2022..

Un chemin de fer de la fin du XXe s.

Le chemin de fer, visible sur toute l’emprise du site ainsi que sur les photos aériennes des années 50, a été observé en coupe à l’extrémité sud du site. Il est constitué par un creusement ayant entaillé le substrat et dont le comblement est du sable de granulométrie fine à grossière (fig. 20). C’est sur ce lit de sable, qu’a été disposé en positif un ballast, mélange de galets et de cailloux entre 2 et 5 cm de module et servant de support aux traverses puis aux rails. L’écartement des rails est de 1,435 m et correspond à l’écartement standard des voies normales en France et dans une grande partie du monde. Cette section était donc directement raccordable au réseau national de la SNCF. Les marquages des rails indiquent qu’ils ont pour la plupart été réalisés entre 1978 et 1980 dans les fonderies du Creusot (71) et de la Ricamarie (42). Ils sont pris dans une dalle de béton rectangulaire de 10m de long dont la surface correspond au sommet de rails et dont la fonction était d’en permettre le franchissement par la circulation automobile.

Fig. 20 : La voie ferrée 122© Éveha, 2022.

Conclusion

Pour conclure, la fouille de cette parcelle confirme l’intérêt scientifique indéniable du site de Bonvert, déjà fouillé à de nombreuses reprises par les archéologues de la société Éveha. Les conclusions des études à venir en laboratoire permettront ainsi d’approfondir nos connaissances sur la périphérie de Roanne, et notamment de proposer de nouvelles hypothèses de travail sur le type d’habitat présent sur les bords de La Loire, depuis la Protohistoire jusqu’à nos jours.