POITIERS (86) – 10 rue de la Trinité

L’opération archéologique menée sur le site du 10, rue de la Trinité à Poitiers a été réalisée par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité de Sandrine Guillimin dans le cadre du projet d’aménagement d’une résidence-services seniors dans l’ancienne maison diocésaine de Poitiers et de la construction de 14 maisons de ville. Ces investigations ont ainsi permis de mettre au jour des états anciens de l’abbaye médiévale et moderne de la Trinité, ainsi que des vestiges datés de l’Antiquité.

Déroulement de l’opération

La prescription archéologique comportait une fouille sur les différentes zones à construire et un suivi de travaux sur les aménagements extérieurs. Les investigations se sont déroulées en deux phases : les fouilles menées sur une emprise effective totale d’environ 1240 m2 de janvier à juin 2020, puis un suivi de travaux mené en discontinu sur environ 466 m2 entre avril et novembre 2022.

Les deux premiers secteurs de fouille ont été étudiés sur environ 4 m de profondeur, avec paliers de sécurité, tandis que le suivi de travaux a permis d’étudier parfois jusqu’à 2 m de stratigraphie.

Une occupation abbatiale ancienne

L’emprise du projet correspond à l’ancien enclos de l’abbaye de la Trinité fondée au 10e siècle à proximité du rempart antique, intra-muros, et démantelée après la Révolution Française. Si les bâtiments de l’ancien couvent de bénédictines, qui ont évolué tout au long du Moyen Âge et de l’époque moderne, ont été entièrement démolis au début du 19e siècle, ils ont été remplacés par des nouvelles constructions toujours en élévation. En effet, un nouvel ensemble religieux a été bâti quelques années plus tard par les Filles de Notre-Dame, congrégation d’enseignement, qui ont récupéré les terrains de l’ancien couvent, permettant de cristalliser et préserver l’emprise de l’enclos abbatial. Ces bâtiments et terrains associés ont été rachetés au début du 20e siècle par le diocèse de Poitiers pour y installer le Grand Séminaire, puis la maison diocésaine à partir de 1974.

La fouille de 2020 et le suivi de travaux de 2022 ont permis de mettre au jour de nombreux vestiges liés à l’ancienne abbaye, notamment à ses espaces extérieurs. En effet, les zones étudiées ont essentiellement concerné les jardins du couvent et
l’opération a mis en évidence une succession d’épais apports de terre brune à noire, ponctués de sols souvent rudimentaires (Fig. 01), agrémentés de maçonneries diverses et percés de nombreuses fosses parfois très profondes dont la fonction primaire
pouvait être le stockage pour au moins pour une partie d’entre elles. Ces différents aménagements que l’on retrouve du 10e siècle à l’époque moderne, et même contemporaine, montrent que les espaces extérieurs semblent avoir gardé la même vocation mais ont été fortement rehaussés à travers les siècles. Il est à noter que les fosses de l’époque moderne, notamment du 17e siècle, se distinguent par leurs très grandes dimensions, que ce soit en largeur ou en profondeur, qui interrogent sur leur fonction primaire, mais aussi par leur comblement (Fig. 02). Nombre d’entre elles sont remplies d’éléments de construction (pierres de calcaire, mortier détritique, fragments de tuiles et d’ardoises…) et de tessons de céramiques, dont une grande partie correspond à des pots à beurre en grès importés du Grand-Ouest, notamment de Laval en Mayenne et de Chartres-de-Bretagne en Ille-et-Vilaine. Le rejet de ces pots en très grande quantité dans des dépotoirs « sélectifs » où, en dehors des éléments probablement liés à la démolition de bâtiments, peu de mobilier a été retrouvé, pose questions.

Fig. 01 : Vue en coupe de niveaux de terre noire et de sols associés sur le secteur 1. Crédit : Éveha, 2020.
Fig. 02 : Vue partielle en coupe d’une fosse moderne sur le secteur 2. Crédit : Éveha, 2020.

Quelques vestiges d’un bâtiment du couvent ont également été découverts (Fig. 03) sur le premier secteur, probablement aménagé à la fin du Moyen Âge après une longue phase de jardins dont les dernières fosses sont comblées aux 13e -14e siècles. Ce bâtiment partiel n’a pas pu être identifié, mais l’imbrication de nombreux murs, tranchées de récupérations, sols carrelés/de mortier/de cailloutis… démontre que celui-ci a beaucoup évolué entre les 14-15e et les 16e -17e siècles.

Fig.3 : Vue d’ensemble du bâtiment partiellement mis au jour sur le secteur 1. Crédit : Éveha, 2020.

Des maçonneries ont également été mises au jour lors du suivi de travaux, à l’opposé du site, avec notamment un angle de murs marqué par une maçonnerie circulaire. Ces murs n’ont été observés que très partiellement au fond d’une tranchée de réseau et
n’ont pu être déterminés mais la découverte d’une monnaie datée du règne de Louis XIV dans le niveau de démolition associé permet de dire qu’il a probablement été abandonné à l’époque moderne.

Le rempart antique de Lemonum

Des vestiges antérieurs à l’abbaye de la Trinité ont également pu être étudiés. Concernant l’Antiquité, bien que ces niveaux profonds et/ou très perturbés par les fosses médiévales et modernes qui les ont traversés n’ont été documentés que de manière très lacunaire, plusieurs phases ont pu être distinguées. Les niveaux du Haut-Empire n’ont été atteints que très ponctuellement, et se caractérisent notamment par un sol induré de cailloutis très régulier observé à une profondeur quasi constante de 4 m environ sous le niveau actuel (en dehors du secteur 1 où ce niveau probablement plus profond n’a pas été atteint). Celui-ci est donc contemporain du développement de la ville antique de Lemonum sur tout le promontoire. Il est recouvert de deux remblais
distincts, datés de la première moitié du 1er siècle, et du 4e siècle, ce dernier servant d’assise à l’occupation contemporaine de la construction du premier rempart de Poitiers entre la fin du 3e et le milieu du 4e siècle. Ce rempart, dont le tracé traverse l’emprise prescrite et l’enclos abbatial dont il formait à l’origine la limite sud avant que celui-ci ne se développe au-delà vers la rivière, marque un fort dénivelé entre les zones intra et extra-muros, et est aujourd’hui masqué par un mur de terrasse plus récent. Il n’a pas pu être atteint lors de la fouille, ses vestiges se situant probablement sous la berme de sécurité conservée le long de ce mur très fragile. Les vestiges contemporains de la construction de cette enceinte comprennent des sols de mortier beige-rosé à orangé irréguliers parfois très indurés associés à des niveaux blancs de calcaire concassé plus ou moins finement qui pourraient correspondre au moins pour partie à des niveaux de chantier (Fig. 04).

Quelques murs contre lesquels s’appuie le remblai précédemment évoqué, ont également été dégagés le long du rempart dont ils semblent séparés par un espace vide. Cet ensemble n’a à ce jour pas pu être déterminé, mais il est à noter que le mur parallèle au rempart comporte des « conduits » verticaux aménagés dans sa maçonnerie (Fig. 05).

Fig.4 : Probable niveau de chantier associé à la construction du rempart antique, percé de fosses médiévales et modernes. Crédit : Éveha, 2020.
Fig.5 : Vue zénithale des murs probablement liés au rempart du Bas-Empire sur le secteur 2. Crédit : Éveha, 2020.

Une occupation intermédiaire, entre le 1er et le 4e siècle, a pu être entraperçue sans qu’elle n’ait pu être caractérisée précisément, les rares vestiges mis en évidence étant très lacunaires car recoupés de toutes parts par les fosses médiévales et modernes. Ainsi une portion de mur et de sol en béton ont notamment pu être observés à une altitude intermédiaire. D’autre part, des fragments d’enduits peints ont été retrouvés dans les remblais (notamment lors du diagnostic), illustrant la démolition de bâtiments avant les nouveaux aménagements du 4e siècle.

Des traces éparses datées entre la fin de l’Antiquité et le haut Moyen Âge

La fin de l’Antiquité tardive semble également représentée avec notamment un ensemble de murs dégagés lors du suivi de travaux, postérieurs aux sols du 4e siècle et a priori démolis au cours haut Moyen Âge, dont un comporte un tambour de colonne cannelée en remploi (Fig. 06). Enfin, des restes céramiques épars datés des 8-9e siècles semblent témoigner d’une occupation alto-médiévale antérieure à la fondation de l’abbaye.

Fig.6 : Vue zénithale d’un ensemble bâti dégagé lors de l’ouverture d’un bassin de rétention des eaux pluviales. Crédit : Éveha, 2022.

Les études du mobilier ainsi que des données récoltées se poursuivent actuellement et permettront d’affiner nos connaissances de ce site et de son occupation.