SENS (89) – Rue des Déportés et de la Résistance

Le suivi de travaux mené au cœur de la ville de Sens a été réalisé par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité d’Élodie Legret et son équipe. Ce suivi de 783 m linéaires intervient dans le cadre du projet d’extension du réseau de chauffage urbain « Engie Solutions ». En mars 2022, au préalable à la surveillance, un diagnostic faisait état de niveaux archéologiques apparaissant entre 0,80 m et 1,10 m de profondeur. Les principaux objectifs de la surveillance étaient donc d’identifier les vestiges découverts au sein de l’emprise et de définir les différentes dynamiques d’occupation. Les recherches archéologiques ont ainsi permis de mettre au jour des vestiges allant de l’Antiquité à l’Époque moderne.

Les vestiges antiques

Malgré l’étroitesse et la présence d’une très grande quantité de réseaux au sein de la tranchée, des structures datant de la période antique ont subsisté. Divers niveaux d’occupation gallo-romains ont pu être observés. Il s’agit de séquences classiques composées de niveaux de préparation, de niveaux de sol et de niveaux de circulation associés. Ceux-ci étaient localisés au sein de la rue des Déportés et de la Résistance ainsi que dans la cour du collège Mallarmé. Ils ont systématiquement fait l’objet de relevés stratigraphiques, d’un ramassage de l’ensemble du mobilier et de prélèvements de charbons, en vue d’analyses radiocarbone ultérieures.

Deux portions de decumanus (voie antique est/ouest) ont été découvertes sous l’actuelle rue des Déportés et de la Résistance intra-muros, ainsi qu’au carrefour de la Place des Héros et du Boulevard du Mail extra-muros. La première se manifestait par une succession de niveaux très détritiques, charbonneux et riches en mobilier archéologique (fragments de corniche en marbre, céramiques, fragments de terre cuite architecturale, faune, huitres etc.) (Fig.1). Ils recouvraient une couche de galets et de silex nivelée et peu épaisse, s’apparentant à une bande de roulement. La seconde portion, plus complète, est apparue sous la forme d’un niveau de graviers très oxydés orangés sur 0,20 à 0,30 m d’épaisseur. Ce niveau de voirie était installé au sein d’une cuvette creusée à travers une probable couche alluvionnaire. Dans le prolongement nord de cette zone, plusieurs types de vestiges ont également été retrouvés : restes d’ossements humains, niveaux de circulation et restes de trottoirs contraints par le mur d’une cave comblée d’une couche de démolition.

Fig. 1  : coupe sud du « decumanus ». Crédits : Éveha, 2023

Au niveau du n°169 de la rue des Déportés et de la Résistance, un mur remarquable a pu être dégagé (Fig.2). Son sous-bassement était pourvu d’un aménagement hydraulique couvert à l’aide de tuiles et de pilettes d’hypocauste. Elle s’apparente à une petite canalisation. Cette dernière, laissait entrevoir un petit conduit nord-sud installé au cœur de la maçonnerie du mur, enduit de tuileau. À l’ouest de cet aménagement, une seconde canalisation plus soignée a également été mise au jour (Fig.3). Elle était constituée de deux parois, l’une faite de terre cuite architecturale portant des traces d’enduit de tuileau et l’autre constituée uniquement de mortier de tuileau. Le fond et les parois comportaient des encoches, laissant présager un système d’ouverture et de fermeture de type « trappe ». La question se pose quant à la fonction de ces deux aménagements. S’agit-il de systèmes d’alimentation ou d’évacuation des eaux usées ? Des prélèvements de mortier et des tessons de céramique récoltés au niveau de ces canalisations permettront d’affiner la datation et la chronologie relative. Cette découverte pourrait en effet correspondre au « canal-aqueduc » préalablement observé par M. Didier Perrugot en janvier 2023, lors d’une intervention d’ENEDIS.

Fig. 2  : vue en plan du mur avec son aménagement. Crédits : Éveha, 2023
Fig. 3  : détail de la canalisation. Crédit : Éveha, 2023

Enfin, une portion du castrum tardo-antique été mise au jour au débouché de la rue des Déportés et de la Résistance (Fig.4). La face ouest (intra-muros), large de 3,30 m et conservée sur 1,60 m de haut, était formée de trois imposantes assises de fondation, faites de blocs de réemploi et d’une assise de moellons calcaire liés au mortier de tuileau. De la face externe ne subsiste qu’un blocage de trois assises de moellons et de blocs en calcaire, reposant sur une épaisse semelle de mortier de chaux, installée sur un petit hérisson. Cet aménagement est-il contemporain de sa construction ou bien s’agit-il d’une restructuration postérieure le long du castrum ?

Fig. 4  : parement interne du Castrum. Crédit : Éveha, 2023

Les structures médiévales

Les vestiges issus de la période médiévale sont peu représentés. Cela s’explique probablement par l’implantation des constructions modernes et par la multiplication des réseaux souterrains à l’époque contemporaine. Malgré tout, une petite portion de chaussée ou de trottoir a été retrouvée à un mètre de profondeur. Elle était fortement perturbée par l’installation des réseaux et était constituée d’un aplat de moellons calcaire très bien disposés (Fig.5). Sa datation reste pour le moment incertaine, mais des éléments osseux d’origine animale lui étant associés feront l’objet d’une datation ultérieure par collagène. De plus, quelques éléments céramiques issus des remblais pourraient correspondre à la période du haut Moyen Âge. Leur étude en post-fouille permettra certainement d’éclaircir ce point.

Fig. 5  : vue en plan de la structure. Crédit : Éveha, 2023

Les structures de l’époque Moderne 

C’est la période la mieux représentée après l’Antiquité. Les archéologues ont pu noter la présence d’une quinzaine de segments de mur ainsi qu’un puits dont la datation reste à préciser, grâce à l’étude historiographique et cartographique de ces secteurs. Au n° 8 du boulevard Maréchal Foch, un « pont-canal » orienté est/ouest a été dégagé à 0,50 m sous la chaussée actuelle. Il mesurait plus de 1,50 m de large et 2 m de hauteur (Fig.6). Ses parements nord et sud étaient supportés par cinq arches au minimum et étaient constitués de blocs de calcaire équarris, liés à un mortier blanc-gris. La partie sommitale de cet ouvrage accueillait des blocs de 1,90 m de long. Ils était faits de pierres taillées (caniveaux) liées au mortier de tuileau afin de garantir leur étanchéité. Cet ouvrage hydraulique correspond certainement au « canal des Auges » reprit au XVIIIe s. afin d’assainir et alimenter en eau le centre de la ville de Sens.

Fig. 6  : vue en plan du « pont-canal ». Crédit : Éveha, 2023

D’autres éléments ont également pu être repérés lors de ce suivi de travaux, dont les fondations du collège Mallarmé ainsi que les niveaux de terre de jardin présents sous les actuelles promenades de la place des Héros et du boulevard du Mail. Ceux-ci renfermaient des éléments de vaisselle datés de l’Époque moderne les rattachant aux niveaux anciens des jardins présents sur les plans des XVIIIe et XIXe s.

Les études du mobilier ainsi que les données récoltées se poursuivent actuellement et permettront d’affiner nos connaissances sur Sens et son occupation. Elles viendront de façon significative compléter la carte archéologique de la ville et aideront à préciser les problématiques de recherches des secteurs surveillés dans le cadre de futures fouilles archéologiques. Aujourd’hui, ces opérations de suivi de travaux sont nécessaires et tendent à se multiplier, grâce à la restructuration des centres-villes. C’est donc pour les archéologues l’occasion de mettre en place de nouvelles méthodes d’intervention propre à ce genre d’exercice.