CLERMONT-FERRAND (63) – Hôtel-Dieu, tranche 4

Une opération d’archéologie préventive de 2500m² menées sur le site de Clermont-Ferrand (63)  –  Hôtel-Dieu – Tranche 4 a été réalisée par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité de Damien Tourgon dans le cadre du projet d’aménagement porté par Bouygues Immobilier. Après deux opérations de fouille préventive menée en 2018 côté av. de Vercingétorix (resp. : Cyril Driard, Éveha) et en 2021 côté bd. Charles de Gaulle (resp. : Damien Tourgon, Éveha), les fouilles menées par Éveha se sont poursuivies du côté de la rue Michel Rocard . Les investigations archéologiques ont permis de mettre au jour des vestiges datés de la période gallo-romaine, de la période médiévale et moderne.

Avant la fouille… les problématiques scientifiques du cahier des charges

Au vu de la nature des vestiges mis au jour par le diagnostic, plusieurs problématiques scientifiques ont été établies par le Service régional de l’Archéologie. Dans le but de mieux comprendre l’organisation de ce quartier de la ville antique d’Augustonemetum (Clermont-Ferrand), il était ainsi envisagé de mener l’étude partielle de deux îlots situés en bordure du premier cardo* occidental et distribués par le decumanus* I.

*cardo : voie d’axe nord-sud dans une ville romaine.
*decumanus : voie d’axe est-ouest dans une ville romaine.

Les travaux d’urbanisme antique et la nature de l’occupation

La fouille devait viser à mieux cerner le profil initial naturel de la butte, étudiée en ayant recours à des transects, continus ou cumulés, nord-sud et est-ouest, à des bermes de référence et à de la photogrammétrie/scanner 3D. L’étude devait porter également sur les travaux d’urbanisme et les aménagements en terrasse puisqu’une terrasse majeure nord-sud, matérialisée par le decumanus I, était envisagée. En effet, une double déclivité (nord-sud et est-ouest) des occupations avait été mise en évidence dans les sondages des diagnostics et opérations archéologiques précédentes.

La fouille devait également permettre de s’interroger sur l’organisation des îlots et sur la nature des différentes occupations :  est-ce que l’occupation est moins dense en partie centrale de l’îlot et plus concentrée en rive orientale du premier cardo, comme cela semble avoir été mis en évidence au nord (vers la médiathèque) ? Quelle est la nature des différentes occupations (habitat, artisanat, funéraire …) ?

Cette opération offrait de fait l’opportunité d’étudier l’articulation de différentes voies : cardo I, decumanus I, la voie de desserte nord-ouest sud-est, voire d’identifier la présence du cardo II et decumanus J.

La précision de la chronologie avant l’époque moderne

Par la fouille, la nature et la chronologie des différentes occupations antérieures à l’aménagement de l’Hôtel-Dieu devait être précisée.

Si aucune trace d’agglomération gauloise n’a été décelée sur le site, comme sur le reste de la butte, peu d’emprises significatives ont fait l’objet de fouilles extensives pour le démontrer. La fouille devait par conséquent permettre de mettre au jour d’éventuelles traces d’occupations ayant précédé la fondation de la ville antique.

De même, la présence d’occupations du haut et du bas Moyen Âge n’était pas à exclure, tout comme la présence de dépendances en lien avec l’Hôtel Dieu.

ex-nihilo* : « à partir de rien », sans traces d’occupations antérieures.

La présentation des résultats de la fouille

Fig.1 : Plan général des principaux vestiges mis au jour sur les sites de l’Hôtel-Dieu de Clermont-Ferrand et localisation des emprises de la fouille de 2023. Crédit : Éveha, 2023.
Le secteur Ouest Hacquart

La tranchée exploratrice située à l’ouest du bâtiment Hacquart, a mis en lumière une importante structure excavée dans sa partie septentrionale (Fig.1). 

Creusée au sein du tuf volcanique suivant une orientation est-ouest, ses dimensions avoisinent les 7,50 m de long par 4,50 m de large délimitant un espace de près de 34m² (Fig.2). Nous ne connaissons pas ses limites orientales et occidentales qui se poursuivent au-delà des limites de berme.  Elle présente une profondeur de près de 4 m côté nord et  2,50 m côté sud s’adaptant à la déclivité naturel du terrain dans le secteur formant une pente nord-sud. Deux soupiraux sont aménagés dans la paroi sud du tuf, ainsi qu’une entrée à l’angle sud-ouest de la pièce (bouchée lors d’un état postérieur) donnant accès sur un espace ouvert non bâti. Interprété en premier lieu comme une cave, sa morphologie renvoie davantage à un système de « cryptoportique ». 

Fig.2 : Vue zénithale du « cryptoportique » en cours de fouille depuis le sud. Crédit : Éveha, 2023.

Son espace interne est scindé par un mur nord-sud et plusieurs aménagements ont été observés à l’ouest de ce dernier dont des piles et des banquette de tuf taillés. Ces structures pourraient servir de base pour soutenir le portique ou la réception d’un plancher au dessus d’un vide sanitaire. Cette dernière hypothèse s’appuie sur le fait que plusieurs structures hydrauliques ont été mises en évidence sous les niveaux d’occupations de la pièce ainsi qu’un bassin en bois dont seul les négatifs et clous d’assemblage ont été préservés au sein d’un revêtement argileux. Son comblement daté du IIIe s. indique la période d’adjonction des drains, changeant peut être la vocation de cet espace. Un important lot céramique daté vraisemblablement de la fin du Ier – première moitié IIe s. annonce la première phase d’occupation.

Au sud, le réseau hydraulique continue de se développer. Plusieurs sections de tranchées ouvertes de 0,60 m de large sont creusées à plus de 2,40 m de profondeur dans le tuf. Chaque section est reliée par des creusements en tunnel au sein du substrat  (Fig.3).

Fig.3 : Vue zénithale des réseaux hydrauliques au sud du « cryptoportique » et coupe d’un réseau creusé en tunnel dans le tuf volcanique. Crédit : Éveha, 2023.

Quelques tronçons de mur complètent nos données dont le mur de façade de l’îlot au sud. D’autres nord-sud, datés du IVe s., viennent impacter les états antérieurs et déborder sur le trottoir du decumanus J.  D’après la stratigraphie, nous serions davantage dans des espaces ouverts (cours, jardins) pour ce secteur à mettre peut être en lien avec l’imposante domus située plus à l’est des fouilles de 2018.

Le secteur sud Colonnade

Ce secteur, jamais investi auparavant, a permis de mettre en évidence des vestiges au sein d’un des derniers îlots sud-ouest de l’agglomération (Fig.1). Peu de vestiges de l’occupation antique ont été relevés. A l’est, seules de grandes fosses de plantations quadrangulaires et des drains contemporains sont présents, tandis qu’à l’ouest, quelques vestiges antiques sont apparus.  Une première structure subcirculaire creusée sur plus de 4 m de profondeur dans le tuf a été observée à l’extrémité ouest, connectée à une tranchée. Il pourrait s’agir d’une structure à vocation hydraulique datée de la période augusto-tibérienne ( 27 av. J.-C. – 37 ap. J.-C.).  

Plus à l’est, deux caves disposées en quinconce sont creusées dans le tuf dont le lien n’a pas été possible du fait de la présence d’un collecteur moderne venant impacter leur connexion.  La cave nord présente des dimensions de 6,5 m par 3 m. Seul le mur nord badigeonné d’un enduit lissé blanc est conservé sur plus d’un mètre ainsi qu’un lambeau du mur ouest. A l’angle nord-ouest se trouve un escalier taillé dans le tuf, fortement altéré. 

Fig.4 : Vue zénithale de la cave sud du secteur Sud Colonnade, depuis le nord. Crédit : Éveha, 2024.

La seconde cave (Fig.4) présente des dimensions plus restreintes (3×2,5m). Des négatifs de maçonneries ont été observés sur le pourtour du creusement. L’entrée se fait par le sud-est où l’escalier est ici maçonné et plutôt bien conservé. Après son abandon, cette cave a semble-t-il servi de zone de rejet d’un cimetière spolié à proximité puisque de très nombreux ossements humains ont été mis au jour dans les remblais de la cave. Une datation radiocarbone a permis d’attribuer ces individus au VIe s. Plusieurs sépultures de cette période ont été découvertes à proximité du secteur.

Le secteur Polyclinique

Il s’agit du plus important secteur investi pour cette opération situé à l’est et à l’ouest de la Polyclinique. Il a permis de compléter les données archéologiques au nord de la zone fouillée en 2021 par Éveha et au sud de la fouille menée en 2020 par Archeodunum (Fig.5).

Fig.5 : Hypothèse de restitution des vestiges de la fin du Ier- première moitié du IIe s. découverts lors des trois dernières interventions archéologiques. Crédit : Éveha, © Archeodunum 2024).
L’îlot sud et le decumanus.

À l’est de la Polyclinique, un tronçon du decumanus I, conservé sur 1,40 m, vient délimiter deux îlots (Fig.6). À 3 m de profondeur sous son premier radier de fondation, un réseau hydraulique est-ouest a été mis en évidence, alternant section de tuyau en terre cuite remployé et drain constitué de piédroit et de couverture de blocs volcaniques. Un bassin en bois de répartition/décantation a été dégagé sur son parcours (Fig.7).

Fig.6 : Coupe nord-sud du collecteur nord, du decumanus I et du réseau hydraulique placé sous la voie décumane*. Crédit : Éveha, 2024. 

*Voie décumane : Decumanus

Fig.7 : Vue en plan des tuyaux en terre cuite remployés sous le decumanus I et du bassin de répartition/décantation , depuis le sud. Crédit : Éveha, 2024.

Cet axe viaire est environné de part et d’autre par des collecteurs maçonnés et des niveaux de trottoir. Ceux au sud sont bordés par la tranchée de récupération du mur de façade de la domus*. Profonde de seulement 0,40 m à l’est, celle-ci fait près de 1,80 m à l’ouest témoignant d’un étagement progressive des niveaux de fondation en fonction de la pente. Ce type d’aménagement est récurrent sur l’ensemble de l’emprise fouillée (Fig.8). 

*Domus : Villa romaine.

Fig.8 :En haut: vue en coupe des tranchées de récupération du mur de façade, des espaces de l’îlot au sud du decumanus ainsi que des niveaux de trottoir. En bas : vue en plan du bâti à l’angle sud-est de l’emprise de la Polyclinique, depuis le sud-ouest. Crédit : Éveha, 2023.)

Plusieurs autres tranchées et sols bétonnés délimitent des espaces. Quelques tronçons de murs encore en place viennent marquer une plateforme à l’angle sud-est de l’emprise. 

On note une importante phase de démantèlement de cet îlot sud probablement au cours du haut Moyen Âge. Cependant, ce secteur permet de compléter les données récoltées en 2021 au sud attestant d’activités artisanales (tabletterie) et de commerce (étiquettes en plomb, poids de commerce,…).  Les espaces bordant la voie décumane correspondent probablement à des boutiques avec les zones d’atelier se développant à l’arrière.  Une phase d’occupation s’installe dès la première moitié du Ier ap. J.-C. sur cet îlot mais c’est au cours de la fin du Ier – première moitié du IIe siècle ap. J.-C. que l’occupation atteint son apogée avant une phase d’abandon dans la seconde moitié du IIe-début IIIe siècle ap. J.-C.

L’îlot nord et ses domus.

Le second îlot au nord a livré une grande concentration de vestiges, fortement impacté par les récupérations tardives où un important programme de récupération de matériaux semble instauré.  Sur l’emprise, a minima deux domus semblent se distinguer, marquées par la présence de deux tranchées de récupération parallèles et distantes de quelques centimètres, traversant l’ensemble de l’îlot du nord au sud (Fig.5). 

La première domus se situe en bordure orientale de l’emprise. Les tranchées de récupération ceinturent de nombreux niveaux de sol en mortier soigneusement traités, des pièces d’habitats.  Deux caves constituent les éléments les mieux préservés de cet habitat. Celle au nord présente des dimensions modestes (3×2 m). Deux de ces murs prennent appui sur le cuvelage d’un ancien puits de 1,60 m de diamètre intégralement remblayé. La seconde cave présente des dimensions plus importantes (3,5×4 m). Une niche prend place au sein du mur occidentale, tandis que l’entrée se développe vers l’orient (Fig.9).

Fig.9 :  Vue zénithale des caves à l’est de la Polyclinique, depuis le sud. Crédit : Éveha, 2024.

La seconde domus affiche plusieurs petits espaces en façade sud ouvrant à l’arrière sur une zone ouverte livrant exclusivement des réseaux hydrauliques. Au nord de cet espace, des tranchées de récupération viennent circonscrire une multitude d’espaces dont la structuration et la fonction reste à définir. Ce secteur a été fortement impacté par des niveaux tardifs marqués par la présence de plusieurs tronçons de murs. Un autre espace de cour semble se dessiner où une petite structure maçonnée quadrangulaire prend place.

La zone la mieux préservée se situe au nord de la Polyclinique. Un tronçon du mur de façade occidentale est particulièrement bien conservé avec une fondation d’1,80 m de profondeur et une élévation d’1 mètre possédant trois états distincts (Fig.10). Un espace de cuisine prend place à l’arrière de ce mur (présence de foyers et d’un four culinaire). Jouxtant cette dernière à l’est, une pièce possède un niveau de sol incluant des négatifs de pilettes attestant d’un système de chauffage par hypocauste

Fig.10 : Vue de la fondation du mur de façade de la domus, de son élévation avec les niveaux de trottoir en coupe, du collecteur et du portique bordant le cardo I. Crédit : Éveha, 2024.

A l’ouest du mur de façade, des niveaux de trottoir et un collecteur maçonné partiellement couvert intégrant plusieurs bases de portique prennent place (Fig.10). Le comblement du collecteur a livré un fragment de marbre portant une inscription. Le cardo I vient longer ce dernier avec une stratigraphie conservée de 1,50 m à 2,20 m.  Contrairement à la domus de l’îlot au sud du decumanus I, celle-ci ne parait pas vouée à des activités artisanales ou de commerce. Une limite semble s’esquisser avec la domus mise en évidence en 2020 plus au nord (présence d’activités de tabletterie).  Le secteur est occupé précocement avec notamment une importante fosse quadrangulaire livrant du mobilier augustéen (27 av. J.-C. – 14 ap. J.-C.) et plusieurs structures datées de la période Tibère-Claude. (14 ap. J.-C. – 54 ap. J.-C.)

Ces deux domus semblent s’implanter dans le courant du Ier siècle pour atteindre leur extension maximale à la fin du Ier-première moitié du  IIe s. Le secteur paraît décliner à la fin du IIe s, même si une occupation au IIIe s. semble encore perceptible au travers de quelques structures. Plusieurs tronçons de murs tardifs pourraient appartenir à l’Antiquité tardive. 

Enfin, plusieurs sépultures ont également été mises au jour sur le secteur et sont datées probablement entre le VIe et le VIIIe siècles ap. J.-C.. Elles sont placées très souvent le long de tranchées de récupération de murs signifiant qu’ils étaient encore en partie en élévation lors de l’inhumation. La phase de démantèlement des murs de cet îlot interviendrait donc dans le courant du haut Moyen âge.

La post-fouille commence alors !

La post-fouille, par l’étude du mobilier, devra permettre de comprendre l’évolution du site, comprendre la structuration de l’habitat au sein de chaque îlot et définir la nature des occupations. Les données récoltées devront être intégrées aux précédentes opérations réalisées en périphérie mais replacer le site également à l’échelle de la capitale de cité d’Augustonemetum.

Enfin, une étude géomorphologique poussée devra être réalisée du fait de l’installation de ces îlots dans la pente sud-ouest de la butte de Clermont-Ferrand mais également en bordure du maar de Clermont-Chamalières.