COGNAC (16) – Quai Maurice-Hennessy – Porte Saint-Jacques

Les fouilles archéologiques menées sur le site de Cognac (16) – Quai Maurice-Hennessy – Porte Saint-Jacques ont été réalisées sous la direction de Paul BUTAUD depuis juin 2023, dans le cadre du projet d’aménagement porté par la communauté d’agglomération de Grand Cognac. Les investigations archéologiques ont permis de mettre au jour des vestiges datés du Moyen Âge et des Époques moderne et contemporaine.

Problématiques scientifiques

Le projet architectural de la porte Saint-Jacques visait la restauration des différents espaces du monument dans l’optique d’une ouverture au public. Il comprenait en particulier : la restauration de l’édifice en privilégiant l’état du XVe siècle et l’aménagement des abords immédiats, permettant notamment de retrouver le niveau de circulation lié à l’ancien pont. L’objectif général de l’intervention archéologique était d’enregistrer toute information disponible sur le monument et de documenter les niveaux et structures archéologiques impactés par le projet de restauration du monument, afin d’apporter des éléments de compréhension sur son histoire et son évolution architecturale. L’intervention archéologique s’articulait autour de l’enregistrement de tous les éléments intéressant l’évolution du monument et qui étaient susceptibles d’avoir été détruits ou masqués par les travaux, de la réalisation de deux sondages, de l’étude du bâti et du suivi des travaux de restauration. La présence de nombreux graffiti gravés, incisés ou dessinés représentait un enjeu particulier pour le projet de restauration du fait de leur fragilité (décollement des supports) et de leur intérêt pour l’histoire de la porte. Enfin, il s’agissait de mettre ces observations en relation avec l’état des connaissances actuelles, de mettre en exergue les particularités du site étudié dans un contexte géographique local et plus largement régional.


Fig. 1 : Vue de la porte Saint-Jacques depuis le quai Maurice-Hennessy. Crédit : Éveha 2023

La porte Saint-Jacques : premiers résultats de l’étude du bâti

Celle-ci a été réalisée sur la porte Saint-Jacques et révèle, à mesure de l’avancée des travaux de restauration, les singularités de la construction originelle du monument (Fig. 1). Au rez-de-chaussée, le décaissement des sols des salles basses a permis de mettre à nu le socle rocheux sur lequel est implanté le monument. Le repérage de structures en creux, antérieures à l’édifice, montrent l’ancienneté de l’occupation dans ce secteur de la ville (Fig. 2). Ces structures répondent d’ailleurs à certains vestiges médiévaux découverts lors de diagnostics et fouilles archéologiques réalisés dans les parcelles mitoyennes au sud de la porte. L’adaptation du substratum aux fondations des maçonneries est perceptible à plusieurs endroits, notamment au droit de la naissance de la première arche du pont où le rocher est clairement retaillé de manière à asseoir les blocs du parement. À l’intérieur des tours, la démolition des bancs de latrines comme la réouverture de certaines baies ont permis d’appréhender les dispositions primitives des ouvertures dont la lecture avait été perturbée au moment de la réaffectation des lieux en prison. Dans la salle basse de la tour amont au nord, la mise au jour d’une ouverture de tir intacte (Fig. 3) offre l’archétype inopiné pour la compréhension et la restitution des autres ouvertures de tir puisque les dispositions relevées sur ce modèle répondent parfaitement aux traces observées par ailleurs. L’analyse des salles hautes conjointe à celle des cages d’escalier pose question sur la chronologie d’installation des voûtes comme sur la physionomie générale des parties hautes de l’édifice. La restitution des niveaux fondée sur les hauteurs des seuils pourrait effectivement ajouter un étage au monument, entre le premier et le niveau sous combles. Limités à des travaux d’étanchéité, les restaurations visant la terrasse sommitale de la porte Saint-Jacques n’apportent pas d’informations complémentaires à celles du diagnostic. Un premier sondage, puis un décapage intégral des remblais à l’endroit de l’ancienne chambre de la herse ont toutefois permis de mettre au jour les maçonneries primitives du monument, reprises à l’occasion de l’aménagement des terrasses au XIXe siècle, pour la promenade des prisonniers (Fig. 4). En périphérie extérieure, l’échafaudage gratifie d’un accès inédit aux élévations (Fig. 5).

Fig. 2 : Structure en creux mise au jour dans la salle basse de la tour aval (sud). Crédit : Éveha 2024
Fig. 3 : Ouverture de tir découverte dans la salle basse de la tour amont (nord) suite à la démolition d’une maçonnerie. Crédit : Éveha 2024
Fig. 4 : Vue zénithale des structures mises au jour à l’emplacement de l’ancienne chambre de la herse. Crédit : Éveha 2024
Fig. 5 : Aménagement de fortune disposé en avant de l’une des gargouilles de la terrasse sommitale du monument pour canaliser momentanément les eaux de pluie. Nos partenaires ont de la suite dans les idées ! Crédit : Éveha 2024

Outre le travail sur l’analyse et le phasage chronologique des différentes constructions, l’étude du bâti a été focalisée sur le repérage des marques lapidaires et sur le relevé des impacts de projectiles dans les parements. Ces traces pourront éventuellement être rapprochées d’épisodes d’affrontements connus. La fonction carcérale est sans doute la plus prégnante du fait des grilles aux ouvertures, des portes à judas et écrous ainsi que de plusieurs bancs de latrines localisés dans les embrasures des baies situées du côté de la rivière (Fig. 6). Le parti pris architectural, dont la trame définie un retour à l’état du XVe siècle, conduit à l’effacement progressif des aménagements de la prison, lesquels révèlent leurs particularités à l’occasion de leur démontage. Pour exemple, c’est ainsi que la démolition des latrines nous a permis d’entrevoir les armatures en fer forgé destinées à éviter les intrusions ou évasions (Fig. 7).

Fig. 6 : Enregistrement d’un sondage localisé devant le banc des latrines de la salle basse de la tour aval (sud). Crédit : Éveha 2024
Fig. 7 : Armature métallique noyée dans le banc des latrines de la salle basse de la tour amont (nord) pour sécuriser la faiblesse du bâti à cet endroit. Crédit : Éveha 2024

L’étude des graffiti

Une étude des graffiti conservés dans les élévations de la porte Saint-Jacques complète l’étude du bâti. Elle a nécessité l’engagement d’une méthodologie spécifique au regard de la particularité de ces types de témoignages (Fig. 8). Au bilan, l’analyse du corpus met en évidence une répartition thématique des graffiti par espace, mais aussi une évolution chronologique des témoignages marquant notamment le changement d’affectation des lieux vers la fonction carcérale. L’un des principaux thèmes correspond aux inscriptions de militaires en garnison ou emprisonnés dans les tours tout au long du XVIIIe siècle. Les noms/surnoms associés aux corps d’arme et aux dates de séjour pourraient aboutir à l’identification précise de certains individus via les registres des troupes consignés aux archives du ministère des Armées. Une recherche croisée dans les archives des Écuries du Roi, voisine de la porte Saint-Jacques, serait également susceptible d’apporter des précisions. Parmi les représentations figuratives, les bateaux, gabarres et gabarriers renvoient à des thématiques locales largement connues comme à Saint-Simon, village gabarrier, où les gravures parsèment les murs proches des quais. La présence exclusive de dessins d’embarcations dans la tour aval au sud s’explique par la présence du port de commerce de ce côté-ci du pont dès le Moyen Âge. Les occupants représentent ainsi ce qu’ils voient. Suivant cette logique, un graffito pourrait être interprété comme représentant l’église Saint-François associée au monastère des Cordeliers voisin du site.

Fig. 8 : Graffiti réalisé par un soldat emprisonné dans la tour amont (nord) de la porte Saint-Jacques entre 1783 et 1784. Crédit : Éveha 2024

Disposés en frise sur le mur oriental de la terrasse sommitale, des personnages en combinaisons et chapeaux pourraient être assimilés à des gabarriers ou plutôt à des calfateurs (Fig. 9). En effet, tous tiennent au moins dans une main ce qui semble être un couteau ou un outil tranchant, mais la représentation d’une tarière plaide pour la représentation d’ouvriers travaillant aux carènes des embarcations. Daté du début du XXe siècle, cet ensemble illustrerait ainsi une corporation méconnue de nos jours. Sur les élévations de la salle basse de la tour amont, plusieurs portraits réalisés au charbon de bois sont directement liés à l’installation, avant 1729, d’une cheminée dévolue au bâtiment voisin. Le reste des traces enregistrées correspondent à des signatures et témoignages divers qui ne pourront être interprétés en l’absence de précisions.

Fig. 9 : Exemple de personnages en combinaisons et chapeaux tenant conjointement ce qui pourrait être une tarière et dans leurs autres mains des couteaux ou des outils tranchants. Crédit : Éveha 2024

Les études à venir

Le travail de post-fouille consistera à analyser les données recueillies sur le terrain, en mettant particulièrement l’accent sur les choix de restauration discutés avec la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre. Il s’agira de justifier les décisions prises, notamment concernant la restitution des ouvertures de tir. L’étude des mobiliers trouvés durant les fouilles contribuera à préciser l’origine et la chronologie des apports sédimentaires. L’analyse des graffiti visera à comprendre leur place dans l’architecture, leurs caractéristiques et à établir une chronologie en lien avec l’histoire du monument. Une étude documentaire viendra enrichir l’histoire de la porte Saint-Jacques en croisant les sources écrites et les témoignages gravés, ce qui pourrait aider à identifier certains graffiti. Enfin, une synthèse des études permettra de retracer les grandes évolutions du bâtiment.