Les fouilles archéologiques menées sur le site de Saint-Beauzire (63) – Congrenat – ZAC du Biopôle de septembre à décembre 2023 ont été réalisées par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité de Guillaume Maza. L’opération de fouille prend place dans le cadre du projet d’aménagement porté par Communauté d’agglomération Riom Limagne et Volcans, sur une superficie disponible de 10 007 m². Les investigations archéologiques ont permis de mettre au jour des vestiges datés principalement de la Protohistoire et de la période gallo-romaine. Quelques éléments médiévaux et modernes ont également été mis au jour.
Problématiques scientifiques et contexte archéologique
Préalablement à l’opération archéologique, le Service régional de l’archéologie avait identifié plusieurs problématiques scientifiques auxquelles devaient répondre la fouille : identifier, déterminer et préciser les occupations protohistorique et antique et affiner leur chronologie, comprendre la mise en place et l’évolution du parcellaire, de l’environnement naturel et des activités pratiquées sur le site (pastoralisme, agriculture, activités domestiques). Tout ceci avait pour but de mettre en perspective le site dans le contexte archéologique local et régional afin de compléter les connaissances concernant la dynamique de peuplement et d’exploitation des Limagnes d’Auvergne notamment à l’âge du Fer (800 à 27 av. notre ère).
Le site de la ZAC Biopôle est localisé à l’ouest de la commune de Saint-Beauzire, distante d’une vingtaine de km au nord-est de la ville de Clermont-Ferrand. Il se situe sur la frange orientale du Marais de Cœur au sein du Grand Marais de Limagne, qui correspond à une vaste plaine humide à la topographie relativement plane. La fouille s’inscrit dans un secteur archéologiquement sensible ayant bénéficié d’un suivi archéologique depuis 1995 et où plusieurs investigations ont déjà été menées (fouilles, sondages, prospections). Toutes phases chronologiques confondues, 354 vestiges archéologiques ont été mis au jour lors de la fouille de 2023. Ils correspondent essentiellement à des structures en creux. Le phasage provisoire du site permet d’envisager au moins six horizons chronologiques se succédant sans discontinuer depuis la fin de l’âge du Fer ( La Tène moyenne et finale 180-150 à 90-25 av. notre ère) au Haut-Empire, exception faite des plus récents datés des périodes médiévale et moderne/contemporaine.

L’enclos palissadé ancien du second âge du Fer (La Tène moyenne, 180-150 av. notre ère)
L’occupation la plus ancienne doit remonter à la fin de La Tène moyenne, sur la foi de la chronologie relative et quelques lots de mobiliers. Elle prend place au sud-est de l’emprise, au niveau de l’enclos quadrangulaire plus récent du début de La Tène finale (150-90 av. notre ère) qui recoupe en partie ses vestiges. Ils se rapportent à deux séries de linéaires étroits se rejoignant à angle droit, dont les recoupements laissent supposer deux phases de construction successives. Les tranchées possèdent des parois obliques et un fond plat permettant de les identifier à des fondations de palissades, comme en témoigne la présence de négatifs de poteaux régulièrement disposés tous les 40 à 50 cm. De cet enclos palissadé ne sont connues que les branches nord et ouest, laissant supposer une superficie enclose d’au moins 1 000 m². Son espace interne est occupé par de nombreux vestiges appartenant majoritairement à la phase d’occupation postérieure, mais dont certains pourront éventuellement être rattachés à cette phase initiale de l’occupation. Pour l’heure, les seuls aménagements clairement contemporains se rapportent à un bâtiment installé dans l’angle nord-ouest de la palissade. Il est fondé sur huit poteaux porteurs, dont certains sont recoupés par l’installation de la branche nord de l’enclos plus récente (150-90 av. notre ère). L’hypothèse d’un seul habitat est envisageable, mais il pourrait tout aussi bien s’agir de deux greniers carrés juxtaposés sur quatre poteaux, comme pour les modèles régionaux les plus courants. Les analyses à réaliser sur les sédiments prélevés dans les fosses permettront peut être d’apporter des éléments de réponse.
Le second enclos du second âge du Fer (La Tène finale, 150-90 av. notre ère)
Les vestiges les plus importants consistent en une portion d’enclos implantée dans l’angle sud-est de la parcelle. Seules les branches nord et ouest sont observables, respectivement suivies sur une distance de 25 et 50 m. L’essentiel de l’enclos se développe dans la parcelle voisine à l’est. Il est visible sous la forme d’un fossé conservé en surface, sur une largeur pouvant atteindre 2,50 m. Son profil montre des parois obliques et un fond plat, pour une profondeur ne dépassant pas le mètre. La volonté de ne pas creuser trop profondément les fossés pourrait être dû au fait de se prémunir des remontées de la nappe phréatique. La branche occidentale de l’enclos est par ailleurs bordée à l’ouest par une palissade de poteaux jointifs installés dans une tranchée de fondation. La fouille intégrale des fossés a révélé plusieurs dépôts particuliers, parmi lesquels un assemblage de mobiliers (amphores, poteries diverses, pesons de tisserands, ossements animaux) mis au jour dans le comblement supérieur du fossé. Une partie de squelette en connexion d’un petit bovidé a également été déposée dans l’angle nord-ouest de l’enclos.


Enfin, la découverte la plus surprenante concerne un crâne humain localisé au droit du système d’entrée, qui devait à l’origine orner le porche avec une fonction apotropaïque (qui conjure le mauvais sort), avant de chuter ou d’être rejeté dans le fossé au moment de l’abandon de l’établissement. Le cas est notamment connu dans les sanctuaires et certains enclos ruraux, mais n’était jusqu’à présent pas recensé sur les nombreux sites gaulois de la région.
L’exploitation des données se trouve minorée par les limites de la fouille, qui ont toutefois permis de reconnaître plusieurs aménagements au sein de son espace interne. Un bâtiment rectangulaire de 22 m² fondé sur huit poteaux peut raisonnablement être rattaché au système d’entrée de l’enclos en arrière du fossé occidental. Leur fouille a montré une alternance de grandes fosses puissamment fondées circulaires et ovalaires fonctionnant par paires (diamètre compris entre 1,20 et 1,50 m). Les négatifs de poteaux de fort diamètre (40-50 cm) sont visibles au centre de l’avant-trou avec, pour certains, la présence de gros blocs de pierre formant des calages. L’ensemble peut être identifié à une tour-porche sur un modèle comparable à celle mise en évidence sur le site de Mably dans la Loire.

L’absence d’interruption du fossé d’enceinte au droit de l’entrée laisse supposer l’existence d’un ponton ou d’un pont-levis. Des traces de rubéfaction importantes associées à des comblements charbonneux laissent par ailleurs supposer une destruction consécutive à un incendie. Dans l’hypothèse où l’entrée est bien disposée dans l’axe médian de son fossé occidental et que l’enclos soit quadrangulaire, comme c’est généralement le cas pour cette période, nous pouvons restituer une longueur d’environ 70 m pour la branche ouest et une superficie enclose d’un minimum de 5 000 m². Un bâtiment aux techniques de construction comparables est enfin implanté dans l’angle nord-ouest de l’enclos. Il est supporté par quatre poteaux de fort diamètre (1,40 à 1,70 m) dessinant un plan carré de 4 m de côté. L’importance de ses fondations comme sa localisation privilégient l’hypothèse d’une tour de guet, sur la base de comparaisons régionales et extra-régionales. Parmi les autres aménagements remarquables, il faut citer un grenier de 8 m² sur quatre poteaux (2,50 x 3,22 m) localisé à une soixantaine de mètres de l’entrée, qui partage les mêmes modes de construction.

Ce bâtiment est entouré à l’ouest et à l’est par des lignes de trous de piquet formant palissade. Plus à l’ouest, une quinzaine de négatifs de poteaux dessinent au sol l’emprise d’un ou plusieurs bâtiments construit de la même manière que les précédents et vraisemblablement contemporain. Enfin, plusieurs puits et puisards ont également été mis au jour au nord et à l’ouest de l’enclos principal, livrant des quantités de mobiliers inégales, qui ne permettent pas pour l’instant de les rattacher à la phase ancienne ou récente de l’occupation gauloise. Les premiers montrent des parois évasées au sommet avant de plonger à la verticale sur plusieurs mètres de profondeur, tandis que les seconds possèdent des dimensions et des creusements moins imposants. Deux de ces derniers livrent en revanche un mobilier archéologique riche, constitué de nombreux ossements d’animaux (notamment squelette de capriné), fragments de céramique et amphore. Le plus grand flou concerne en revanche les dizaines de creusements (trous de poteau et fosses) mis au jour entre la branche nord de l’enclos et le secteur antique au nord-est, la plupart ne livrant aucun élément de mobilier dans leurs remplissages. Quelques exemplaires se rattachent a priori à l’occupation gauloise, mais la plupart restent datés. L’absence de plan évident de bâtiment, comme la taille et la profondeur des structures, oriente leur interprétation vers des systèmes de clôtures se développant à l’extérieur de l’enclos.
Une phase d’occupation plus récente (90-25 av. notre ère) est en revanche supposée pour le long fossé traversant l’emprise depuis le sud-ouest vers le nord-est et se poursuivant hors emprise. Il est recoupé par le creusement d’un canal de drainage ou d’irrigation durant la période antique. Il possède les mêmes caractéristiques que les fossés de l’enclos, mais se distingue étonnamment par un tracé curviligne dans sa partie nord, tandis que sa moitié sud s’articule sur la trame générale de l’enclos gaulois.
L’occupation antique (Haut-Empire, 27 av. notre ère – 285 de notre ère)
Les vestiges du Haut-Empire se concentrent dans le secteur nord-est (mur, fossés, fosse d’extraction d’argile…) et dans toute la moitié occidentale de l’emprise de fouille, avec notamment de nombreux fossés de drainage et/ou de parcellaire de largeurs variables. Ces derniers sont visiblement à rattacher à différentes périodes, comme en témoigne les recoupements observés le long de leurs tracés. Leur examen permettra à terme de calculer le pendage des structures et faire la part des choses entre les fossés de parcellaire et ceux dévolus au drainage, bien que les deux fonctions ne soient pas incompatibles dans l’optique de l’assainissement de cette zone de marais. Un imposant fossé-canal datant du Haut-Empire traverse par ailleurs le centre de l’emprise suivant une orientation sud-ouest–nord-est.
Dans le nord-est de l’emprise, on observe une dépression située le long de la berme nord qui correspond à une vaste zone de creusement. L’hypothèse d’une zone d’extraction des niveaux limono-argileux carbonatés en bordure de l’occupation gallo-romaine et ayant vocation de matériau de construction (torchis) est à ce stade proposée. De nombreux éléments de tout module, dont des blocs, moellons et fragments de tuiles en position erratique plaident en faveur d’une zone de rejet livrant un abondant mobilier archéologique, liée à la démolition des fondations d’un bâtiment couvert de tuiles. Le mobilier mis au jour en association plaide pour une datation gallo-romaine centrée sur le Haut-Empire et dont l’abandon est à situer durant la seconde moitié du IIe et le IIIe siècles. Dans le même secteur, une grande fosse profonde de 1,20 m peut, à titre d’hypothèse, être interprétée comme une cave. Son abandon se signale par ailleurs par le rejet d’un squelette de bovin adulte bien conservé, comprenant un crâne complet associé à une série lombaire en connexion avec le sacrum (partie inférieure de la colonne vertébrale) et l’os coxal (hanche).

Le dépôt d’éléments de carcasses de bovins est courant sur les sites auvergnats, mais sa signification demeure inconnue. La datation de cette structure repose sur peu d’indices (quelques fragments de céramique et de tuiles à rebord) qui la rattachent sans conteste à la période gallo-romaine. Une structure comparable de plan subcirculaire localisée à proximité immédiate laisse supposer une chronologie équivalente et une fonction comme structure de stockage peut également être retenue.
Le domaine funéraire
Le domaine funéraire est représenté par un rejet secondaire d’incinération rattaché à la période gauloise. Le dépôt est compris au sein d’une fosse de forme oblongue montrant un comblement très charbonneux et quelques esquilles d’ossements humains brûlés. De nombreux tessons de céramique, dont une partie montre les traces d’une exposition à divers degrés au feu (céramique peinte, amphore, …), sont disposés à plat au sommet de la structure et visiblement brisés sur place. Le fragment d’un bracelet à jonc plein en alliage cuivreux a également été découvert à proximité immédiate. La structure a été fouillée en quarts opposés et l’ensemble du sédiment constituant son remplissage a été prélevé à des fins de tamisage. Une sépulture correspondant à une inhumation primaire individuelle installée dans un fossé de parcellaire ou de drainage a été découverte au sud-ouest de l’emprise. Le squelette est apparu très mal conservé mais est identifié à un sujet adulte, déposé sur le dos avec les membres en extension. Aucun mobilier archéologique associé ne permet en revanche d’appréhender sa datation. La présence d’un tesson de céramique vernissée sur le niveau de décapage laisse supposer une chronologie récente qu’il faudra vérifier par le biais d’une analyse au radiocarbone.