Les fouilles archéologiques de 2023 menées sur le site de Dijon (21) – 1-3 rue Monge – Hôtel Bouchu d’Esterno ont été réalisées sous la responsabilité de Florent Tourneau, dans le cadre du projet d’aménagement porté par Société Publique Locale « Aménagement de l’Agglomération Dijonnaise » – SPLAAD. Cinq grandes périodes ont pu être mises en évidence. La première correspond à l’époque protohistorique, et plus précisément au second âge du Fer (460 – 25 av. n. è.). Il s’agit, pour l’heure, des plus anciennes traces attestées d’occupation humaine sur le site. L’Antiquité est également représentée par un imposant fossé qui a révélé des artefacts datant du IVe siècle de notre ère. La période médiévale se distingue par des vestiges d’habitat maçonnés qui dateraient des XIIIe et XVe siècles, voire du XVIIe. Sous l’Ancien Régime, le site connaît son apogée avec l’installation de l’hôtel et de ses jardins. Enfin, la période contemporaine est marquée par des remaniements successifs et le réaménagement des jardins.
Une nécropole protohistorique ?
Situées entre les ailes orientale et occidentale de l’hôtel et ensevelies sous deux mètres de stratigraphie, trois sépultures à inhumation ont été mises au jour. À celles-ci, viennent s’ajouter quatre portions de fossé courbes. D’autres vestiges archéologiques, susceptibles d’appartenir à des structures funéraires, ont également pu être reconnus au niveau du couloir qui fait le lien entre la cour d’honneur, au nord, et le parc de l’hôtel, au sud. Cet espace de liaison, désigné régionalement sous le nom de « treige », a révélé des niveaux de remblais dans lesquels des ossements humains ont pu être identifiés. Dans ce même espace, des structures en creux, qui pourraient être attribuables à des creusements de sépultures, ont également été reconnues. Cependant, leurs localisations stratigraphiques, le mode de comblement fortement remanié et le mobilier découverts incitent à la plus grande prudence quant à leur identification et leur datation. L’analyse de la stratigraphie environnante ainsi que l’étude anthropologique permettront peut-être d’éclaircir ces premières observations.
Parmi les trois sépultures, deux sont partiellement conservées et recoupées par des aménagements postérieurs. La troisième, dite « tombe du guerrier », est particulièrement bien conservée. Certaines sépultures présentent des squelettes en connexion, alors que d’autres ne présentent que certaines parties anatomiques. La partie ouest de la fosse sépulcrale est recoupée par un mur de fondation de l’hôtel Bouchu Ernesto, oblitérant toute la partie supérieure de la sépulture. Située à l’est, une seconde sépulture ne présente également que la partie inférieure. Cette sépulture est recoupée par le creusement de la fosse sépulcrale du guerrier. La phase d’étude en laboratoire et les analyses complémentaires permettront sans doute de préciser les datations. Le mobilier funéraire recueilli dans ces deux sépultures est sommaire : fragments métalliques dont un bracelet en fer morcelé – un deuxième bracelet ayant été découvert en position secondaire dans les remblais de la dite « treige ». Ce dernier est intact. Il s’agit d’un bracelet à jonc circulaire non fermé, en alliage cuivreux non décoré.
La sépulture du guerrier
Lovée entre les deux ailes de l’hôtel, la sépulture du guerrier se situe au centre de l’emprise de fouille. Remarquablement conservée, elle se présente comme une fosse subrectangulaire de 2 × 1 m. Son fond est plat et recoupe un fossé antérieur. Le défunt, un individu adulte dont les ossements sont en cours d’étude, repose allongé sur le dos, sans doute dans un coffre en matériau périssable. La sépulture est orientée sud-ouest–nord-est. Malgré un aspect fragmentaire, le squelette reste dans un bon état de conservation.
Les vestiges médiévaux
Au sortir de l’Antiquité (IVe siècle), il semblerait qu’un hiatus chronologique s’opère. En effet, malgré quelques tessons de céramique recueillis très ponctuellement, le premier Moyen Âge n’est attesté par aucune structure archéologique. Les vestiges d’une maison d’habitation datée du XIVe-XVe siècle a été mise au jour. Celle-ci se caractérise par des tranchées de récupération d’anciens murs qui délimitaient l’espace intérieur d’une pièce principale ainsi que des niveaux de sols et de préparation associés. Les restes d’un foyer ont été observés et témoignent de l’existence d’une très probable cheminée. La couche de préparation d’un niveau de sol était constituée de mortier de chaux et comportait encore les empreintes des carreaux de pavements. Grâce à ces négatifs, on peut estimer avec précision la taille des carreaux employés (15 × 15 cm). Ailleurs dans l’hôtel, des carreaux vernissés de dimensions similaires ont été identifiés, toujours dans des sols en remploi. Enfin, plusieurs monnaies, datant du XIIIe au XVIe siècle, ont pu être collectées dans certains des niveaux de cet habitat. Ces découvertes semblent indiquer une occupation pérenne sur plusieurs siècles.
La construction du grand hôtel aristocratique
Sous l’Ancien Régime, plus particulièrement au XVIIe siècle, l’occupation connaît un réaménagement complet. Plusieurs agencements de l’hôtel d’Esterno répondent aux critères des grands hôtels aristocratiques du règne de Louis XIII : une entrée principale donnant sur une cour d’honneur bordée de deux ailes latérales abritant des écuries, un grand escalier à deux volées distribuant un vaisseau central où s’agencent des salons en enfilade, dotés de plafonds à la française, un grand jardin à l’arrière de l’immeuble, une architecture en pierre de taille aux chaînages harpés, etc. L’hôtel d’Esterno se développe sur deux niveaux de caves, suivis d’un rez-de-chaussée surmonté de deux étages. Pour une partie de ces caves, il semblerait que certaines appartenaient à des habitations plus anciennes, mais la majorité d’entre elles ont été édifiées dans le même jet que l’hôtel. L’étude de bâti permettra sans doute de répondre à cette problématique. Le programme de construction prévoyait également tous les équipements nécessaires à la vie d’aristocrates de haut rang et d’un personnel de serviteurs. Le rez-de-chaussée, l’étage noble, comporte des salons de réception, des escaliers monumentaux qui desservaient les étages destinés à l’agencement des chambres. Au sous-sol de l’hôtel, tout un niveau était dévolu aux fonctions de service et d’intendance pour ses propriétaires et ses hôtes. Cet espace domestique abrite des cuisines avec des cheminées monumentales, des garde-manger, des caves, des citernes, un four, un puits. Dans l’emprise de fouille, divers équipements en lien avec l’intendance de l’hôtel ont pu être mis en évidence. Il s’agit en premier lieu de trois galeries édifiées en moellons et couvertes d’une voûte en plein cintre. Celles-ci courent le long des trois ailes de l’hôtel (est, ouest et sud) et viennent flanquer l’édifice. Durant leur fonctionnement, ces galeries se trouvaient semi-enterrées par rapport au niveau de circulation de l’époque. Aujourd’hui, elles se trouvent pratiquement enfouies sous les apports de terre végétale. Accolé à la galerie nord, un puits alimentait l’édifice en eau. À l’extrémité des galeries est et ouest, deux éviers en pierre de taille et une citerne carrée de 3,30 m de côté et profonde de 4,90 m ont été mis au jour. Surmontée par une voûte en plein cintre, sa capacité devait atteindre 35 à 40 m³. Connectés à cette structure excavée, deux caniveaux en pierres de taille recouverts de lauzes ont été mis en évidence. Ces caniveaux semblent rejoindre et se connecter aux éviers des galeries, permettant l’évacuation des eaux usées. Notons que le mur nord de cette citerne est relié de part et d’autre aux ailes orientale et occidentale de l’édifice, induisant une contemporanéité des structures bâties. Durant le XVIIe siècle, l’hôtel se voit adjoindre deux pavillons situés dans les jardins. À la fin du XVIIIe siècle, l’hôtel subit les affres du temps et se trouve, faute d’entretien, dans un état de délabrement assez avancé.
Problématiques scientifiques à venir
Les analyses des vestiges et du mobilier menées lors de la post-fouille permettront de caractériser l’occupation protohistorique, qui pour l’heure n’a jamais été mis en évidence sur le secteur intra-muros de la ville de Dijon. Elles permettront de préciser l’aire chrono-culturelle auxquels appartiennent la sépulture gauloise et le potentiel enclos funéraire. De plus, la post-fouille permettra d’étudier les vestiges antiques, médiévaux et les équipements en lien avec l’hôtel du XVIIe et XVIIIe siècles afin de les replacer dans la trame urbaine et de mieux cerner la constitution de la ville et son évolution au cours du temps.