Les fouilles menées sur le site de la ZAC du Four à Chaux à Sorigny (Indre-et-Loire) ont été réalisées par le bureau d’études Éveha sous la responsabilité de Florian Sarreste dans le cadre du projet d’aménagement d’un lotissement par la Société d’Équipement de la Touraine pour la commune de Sorigny. Cette opération a permis de mettre au jour, à l’est, une aire funéiraire médiévale, plusieurs concentrations de trous de poteaux et de fosses associées à un habitat ouvert de la Protohistoire et, à l’ouest, une portion d’un enclos fossoyé et une construction maçonnée attribués à un établissement rural de la fin de l’âge du Fer ( -260 à -25 av. J. -C.) et du début de l’époque romaine (1er s. ap. J. -C.), ainsi qu’un tronçon de l’ancienne voie reliant Paris à l’Espagne.
La Préhistoire
Les indices anthropiques les plus anciens mis au jour dans l’emprise correspondent à deux bifaces découverts hors contexte. Ils témoignent d’une fréquentation de cette partie du plateau durant le Paléolithique.
Les premières traces d’une occupation pérenne sont attribuables au Néolithique (-5600 à -2100 av. J. -C.) et sont attestées par du mobilier céramique et lithique associés à des aménagements (foyers, fosses et trous de poteaux). Parmi ceux-ci, le plus marquant est une fosse à pierres chauffées longue de 17,60 m et large de 1,20 à 1,50 m (Fig. 1). Conservé sur une vingtaine de centimètres de profondeur, ce creusement était empli d’un dépôt charbonneux et de blocs de calcaire bleuis par la chaleur. Ce type d’aménagements est connu régionalement durant le Néolithique moyen (-4800 à -3800 av. J. -C.) et correspond à une structure de cuisson culinaire collective.
L’exemplaire mis au jour à la ZAC du Four à Chaux est ainsi à rapprocher de ceux des sites du Barrage à Ports-sur-Vienne (Indre-et-Loire) et de La Grande Sablière à Buxerolles (Vienne). Dans ces cas, les structures étaient inscrites à l’intérieur d’un enclos fossoyé discontinu. Aucune trace de ce type n’a été mise au jour dans l’emprise étudiée à Sorigny mais la question de la présence d’un habitat groupé reste posée. En effet, aux alentours des foyers attribuables au Néolithique ont été mis au jour des fosses d’ancrage de poteau permettant, dans certains cas, de restituer des plans de constructions. À l’issue de la fouille, quatre bâtiments sont clairement perceptibles. Il s’agit dans tous les cas de bâtiments allongés et étroits constitués d’un module porteur principal sur six à huit poteaux. Leur longueur varie de 11 à 15 m environ pour des largeurs de 3,70 à 5 m. D’autres plans seront sans doute mis en évidence lors de l’analyse détaillée des nombreuses concentrations de trous de poteaux reconnues en divers points de l’emprise. Ces bâtiments ne sont pour l’instant pas datés avec certitude. Ils pourraient être liés à l’occupation préhistorique ou protohistorique. Des datations par le radiocarbone seront nécessaires afin d’établir la chronologie de ces constructions et la distinction d’une ou plusieurs phases d’occupation.
La fin de l’âge du Fer
Dans la partie occidentale de l’emprise a été mise au jour une portion d’un établissement rural dont la création peut être située dans la seconde moitié du deuxième âge du Fer (-260 à -25 av. J.- C.). Il est matérialisé par un enclos fossoyé quadrangulaire d’au moins 56 m par 27 m ouvert dans son angle nord-est. Cette enceinte fossoyée se poursuit sur une distance indéterminée hors de la zone étudiée sous la route départementale D910. Il est cependant possible de postuler une forme proche du carré et donc une surface enceinte de l’ordre 2 500 m².
Cet enclos semble succéder à un habitat ouvert dont témoigneraient des constructions situées à sa périphérie mais également deux alignements de fosses circulaires au remplissage charbonneux, interprétées comme de possibles silos. Ce point sera à confirmer lors des études à venir.
Plusieurs plans de bâtiments ont été repérés à l’intérieur de l’enclos. Ils sont formés par quatre trous de poteaux disposés en carré et distant les uns des autres de 3 à 5 m. Les pièces de bois utilisées pour leur édification présentent des diamètres compris entre 30 et 50 cm. Ces troncs ont été installés dans des creusements de plus d’1 m de diamètre et de profondeur. Ce mode de construction est connu localement sur les sites de La Pièce des Viviers et de Montison à Sorigny mais aussi sur de nombreux sites de La Tène finale (-120 à -25 av. J.- C.) du nord de la Gaule. Il renvoie généralement à des bâtiments à parois rejetées dont la surface couverte excède largement celle du module porteur central. Quatre de ces édifices sont disposés le long du fossé d’enclos oriental. Le comblement de ce dernier a livré des ossements d’animaux ainsi que des tessons de céramique indiquant des rejets domestiques. Ces dépôts permettent de supposer qu’au moins une des constructions proches correspond à une habitation.
L’époque romaine
L’établissement rural de l’âge du Fer connaît plusieurs phases de refonte. L’enclos d’origine laténienne est condamné au début du 1 er siècle ap. J.-C et remplacé par une enceinte plus vaste dont seuls quelques tronçons ont pu être reconnus dans l’emprise fouillée. Celle-ci ferait au moins 52 m de long sur 70 m de large et se poursuit vers l’ouest sur une distance indéterminée. Sa surface pourrait atteindre 5 000 m².
À une date encore incertaine, une vaste construction maçonnée quadrangulaire, large d’au moins 30 m, est installée au centre de l’enclos fossoyé décrit ci-dessus (Fig. 2). Son plan est incomplet, mais il est probable qu’elle adopte une forme carrée. Ce bâtiment, numéroté 2, occuperait donc 900 m². Ancrées dans le sols sur 40 à 50 cm de profondeur, ses fondations, larges de 70 à 85 cm, devaient supporter des murs hauts de plusieurs mètres. Plusieurs sections de fondations plus légères disposées perpendiculairement aux murs périmétriques témoignent d’un partitionnement interne. Ce dernier a toutefois était en grande partie effacé par le creusement d’une vaste fosse d’extraction de calcaire percée là dans la seconde moitié du 19e s.. L’interprétation a donné à cet édifice reste incertaine. Sa taille et le soin apporté à sa construction en démontrent l’importance au sein de l’exploitation. En l’état des découvertes, il n’est toutefois pas possible de statuer sur son rôle (portion de la résidence ou vocation agro-pastorale ?).
Par la suite, le fossé septentrional de l’enclos antique est partiellement remplacé par un mur auquel est adossé une petite construction de 12 par 8 m. Le bâtiment 1 est connecté à son voisin par deux sections de mur et séparé du reste de la cour par une palissade. Comme pour l’édifice 2, les fondations sont larges et puissantes. Celles-ci se distinguent toutefois par la présence à leur affleurement d’un lit de mortier de tuileau. Le bâtiment 1 est partitionné en cinq espaces (Fig. 3). Le plus vaste abrite, dans sa partie méridionale, une structure de combustion quadrangulaire installée le long du mur de refend et précédée d’une fosse de travail. Interprétée dans un premier temps comme un possible séchoir/fumoir, celle-ci pourrait correspondre à un praefurnium. En effet, les niveaux de démolition associés à ce bâtiment ainsi que le puits situé immédiatement au sud, ont livré de nombreux fragments de tubuli et de briques, témoignant de la présence d’un système de chauffage par le sol. Mêlés à ces terres cuites architecturales, ont été découverts des fragments d’enduits peints, dont certains à décor floral, ainsi que des éléments de placages de calcaire blanc. Ces derniers sont en tout point similaires à ceux provenant de la partie thermale du bâtiment du Pré de La Fosse/Le Clavaux à Sainte-Catherine-de-Fierbois (Indre-et-Loire). Là-aussi, la fonction du bâtiment est difficile à établir.
Une cave non maçonnée est située immédiatement à proximité de son angle nord-est et trois autres ont été localisées au sud. Ces réserves excavées pourraient accréditer une vocation domestique.
Un puits situé à moins de 5 m au sud du bâtiment 1 pourrait avoir assuré l’approvisionnent de ses occupants. Cette structure profonde a été fouillée intégralement à la main. Outre les éléments architectoniques évoqués plus haut, son remplissage inférieur, resté en eau, a livré une grande quantité d’ossements animaux et de matériaux organiques parmi lesquels bois, cuir, fruits à coques, noyaux, pépins, graines et pollens. L’étude de ces restes apportera des données précieuses sur l’environnement du site mais aussi sur la consommation des habitants de l’établissement.
Un second puits, situé à 12 m au sud du premier, le long du mur oriental du bâtiment 2 a également été fouillé entièrement. Il était en très grande partie comblé de gros blocs de calcaire provenant probablement du démantèlement de l’édifice tout proche. Ces deux puits, comme les quatre petites caves mises au jour, ont livré un mobilier céramique permettant de dater leur abandon de la fin du 1er s. ap. J.-C.. Rien ne permet pour le moment d’établir la pérennité de l’établissement au-delà de ce siècle.
Le haut Moyen Âge
Quelques tessons du haut Moyen Âge découverts en surface des constructions antiques pourraient témoigner de la fréquentation ou de la récupération des ruines des édifices d’époque romaine. Cette récupération est peut-être liée à un habitat dont la zone sépulcrale a été mise au jour en limite orientale de l’emprise, à environ 130 m de l’établissement rural antique. Seules deux sépultures sur les 44 mises au jour ont fait l’objet d’une datation pour l’instant. Celles-ci sont datées des 8e – 9e siècles pour l’une et des 9e -10e siècles pour l’autre. Les analyses à venir permettront sans doute de préciser, voire d’élargir, la période de fonctionnement de cette aire funéraire.
Les inhumations sont, à deux exceptions près, orientées et la tête du défunt est placée à l’ouest. Le fort état d’arasement d’une partie des tombes laisse supposer que d’autres ont sans doute disparu. En outre, il est probable que la zone d’inhumation se poursuive vers l’est hors de l’emprise prescrite. Malgré ces lacunes et incertitudes, il est néanmoins possible de discerner une organisation en L formée par cinq alignements au sud et quatre rangées au nord. Trois sépultures, implantées au sud-ouest du groupe principal, se distinguent de ce schéma. La disposition générale évoque cependant le développement de l’aire funéraire autour d’un aménagement situé dans l’angle formé par le L ou au carrefour de chemins passant à l’ouest et au sud. Seule une intervention complémentaire vers l’est permettrait de trancher entre ces deux possibilités.
L’état de conservation des ossements étaient moyen à très médiocre (fig.4) et les observations biologiques sur le terrain ont été difficiles à établir. L’étude des restes osseux est à faire.
La fin du Moyen Âge et l’époque moderne
Dans la partie occidentale de l’emprise fouillée, deux fossés parallèles distants en moyenne de 17 m encadre une bande de roulement de 7 à 8 m de large constituée d’un remblai limoneux gris renforcée ponctuellement d’empierrements de blocs de calcaire (Fig. 5). Cette couche a livré de nombreux objets métalliques parmi lesquels des ferrures animales attribuables au Moyen Âge et à l’époque moderne. La largeur de la voie et de l’espace qui lui est dédiée constituent la marque de son importance. Cette route apparaît sur l’atlas Trudaine, établi dans le dernier quart du 18e siècle. Elle constitue la voie principale entre Montbazon et Sorigny et, plus loin, entre Tours et Poitiers, avant la refonte de cette section à partir de 1754. C’est à partir de cette date que sont engagés les travaux de ce qui deviendra la RN10 puis l’actuelle RD910. La portion mise au jour correspond donc à l’ancien chemin reliant Paris à l’Espagne, voie emprunté par Louis XIV en mai 1660 pour se rendre à son mariage à Saint-Jean-de-Luz. Ce tracé, encore perceptible dans le parcellaire du cadastre du début du 19e s. reprend sans doute un itinéraire plus ancien, dont l’origine ne peut être clairement située. Un héritage antique peut toutefois être exclu car les fossés bordiers recoupent les aménagements liés à l’établissement rural d’époque romaine. Il est plus probable que la création de cet itinéraire soit contemporaine de la mise en place des bourgs médiévaux, à la fin du haut Moyen Âge.
Époque contemporaine
Les traces les plus récentes enregistrées correspondent à de vastes creusements liés à l’extraction du calcaire en vue de son traitement dans le four à chaux installé au nord de Sorigny en 1857 et actif jusqu’en 1914. Ce dernier est toujours visible au sud de l’emprise prescrite pour la fouille et explique l’appellation du futur aménagement. Seules deux de ces carrières ont été sondées lors du diagnostic et de la fouille. Il est néanmoins important de prendre en considération l’impact de ces excavations sur les vestiges antérieurs. Ces exploitations ont détruit une large partie de l’espace interne du bâtiment 2 mais également les abords de la longue fosse à pierres chauffées du Néolithique, nous privant ainsi de la compréhension de ces aménagements ou de leur environnement.
La fouille de la ZAC du Four à Chaux à Sorigny a occasionné la mise au jour de plus de 900 aménagements anthropiques dont les datations s’étalent sur plus de 5000 ans (Fig. 6). Un long travail d’études des mobiliers ainsi que d’analyses des données récoltées sera nécessaire afin d’affiner nos connaissances sur les occupations humaines successives.